Khalifa Ababacar Sall, Mbaye Touré, Yaya Bodian, viennent de bénéficier d’une « remise totale des peines principales ». Cette grâce présidentielle de l’ancien maire de Dakar qui survient juste deux jours après les retrouvailles entre le président Macky Sall et son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, scellées devant le khalife général des mourides, préfigure au plan politique d’une possible redistribution des cartes. Dans ce qui prend les allures d’un embrouillamini scénarisé, on pourrait s’attendre qu’après cette étape de la grâce qui comme pour Karim Wade, ne concerne que l’élargissement de prison, soit actionnée l’Assemblée nationale pour le vote d’une loi d’amnistie leur permettant de recouvrer leurs droits civiques. A moins que le président ne choisisse de fermer les yeux. Macky à quitte ou double !
Khalifa Ababacar Sall et ses compagnons d’infortune, Mbaye Touré et Yaya Bodian, viennent de bénéficier d’une grâce présidentielle et cela, deux jours après les retrouvailles Macky Sall/Abdoulaye Wade, s’inscrivant ainsi dans les plis d’une scénarisation qui vise sans nul doute à aboutir à une réconciliation nationale. Qui ne se souvient des images fortes, même si l’émotion ne transpirait pas des jeux de mains et des regards inexpressifs du président Macky Sall et de son prédécesseur Me Abdoulaye Wade qui se sont retrouvés vendredi dernier à la mosquée Massalikul Jinaan, pour les besoins de la prière inaugurale ?
Une atmosphère qui va toutefois se détendre à la suite de l’invite publique à la réconciliation lancée par le Khalife général, Serigne Mountakha Bassiirou Mbacké, en direction des deux protagonistes, laquelle s’est matérialisée par Macky Sall raccompagnant l’ancien président de la République à son domicile. Pour touchantes qu’elles aient pu être pour ceux de nos compatriotes en demande de retrouvailles rédemptrices entre le Père spirituel et l’ancien fils adoptif, on a assisté ce jour là à un remake scénarisé d’une pièce en plusieurs actes.
N’est-ce pas Cheikh Tidiane Seck, Secrétaire général adjoint du Pds, chargé des cadres, qui annonçait dans un récent entretien accordé à Voxpopuli que « le président Macky Sall était à la résidence de Me Abdoulaye Wade à la soirée de la Tabaski ». Alors qu’il s’étonnait de l’absence d’un communiqué sanctionnant cette rencontre, une information vite démentie par des collaborateurs proches du président Macky Sall et des responsables du Pds , des sources concordantes laissent entendre que Me Abdoulaye Wade en avait dissuadé le président Macky Sall, jugeant prématurée une telle initiative. Aussi l’acte de vendredi était-il l’occasion d’officialiser ou à tout le moins de formaliser des négociations entreprises depuis l’embastillement du fils-dauphin, Karim Wade pour ne pas le nommer. Elles avaient ainsi permis à ce dernier de sortir de prison pour rallier directement Doha. Il est vrai que ce dénouement a pu intervenir grâce à l’intérmédiation du Khalife général des Mourides d’alors, le regretté Serigne Sidy Moctar Cheikh Maty Lèye, et de l’émir du Qatar. Tout comme celle des présidents Alassane Ouattara et Ali Bongo . Le Président guinéen Alpha Condé entrera dans la danse à la faveur des préparatifs de l’élection présidentielle de février dernier.
Après une brève visite à Conakry où il fut reçu avec tous les honneurs dignes d’un Chef d’Etat en exercice, Me Wade rentrera toutefois à Dakar lesté de la promesse d’une issue favorable au cas Karim, sujet et objet de son ultime combat. Cultivant l’ambiguïté et l’ambivalence, il organisera un véritable carrousel avec la sarabande des leaders d’opinion et de partis politiques, à la notable exception d’Idrissa Seck et de Madiké Niang, figés par leur ancien mentor dans la figure du traitre, ancien et nouveau. Résultats des courses, Wade apparaît aux yeux de l’opinion nationale et internationale comme le véritable patron de l’opposition et le faiseur de roi par excellence. A défaut de pouvoir introniser son fils, il se servira de certains opposants-candidats à qui il fera miroiter un improbable soutien comme épouvantail pour ferrer le Président-candidat dont la perspective d’un deuxième et dernier mandat de cinq ans arrangerait plus les affaires du fils-dauphin face à des rivaux potentiels qui pourraient s’installer pour dix ans, (durée de deux mandats consécutifs). Faisant dans le clair-obscur pour finalement éluder toute consigne de vote-du moins publiquement Wade n’en indiquera pas moins que le non choix est plutôt un choix en faveur d’un Macky Sall sommé de respecter le « protocole de Conakry » qui impliquait l’amnistie de l’exilé de Doha.
Apparemment déçu et agacé par l’absence de concrétisation de ses engagements par le Président réélu, Karim Wade accentue la pression sur son père dont le réalisme est aux antipodes de la fougue volontariste du fils qu’il est, mais que n’habitent ni l’audace ni la témérité de son vieux guerrier de papa .Touba est dès lors sollicité pour faire prévaloir une sortie de crise qui passerait par l’amnistie ou à défaut une révision du procès de Karim Wade, en s’appuyant sur des avis des Nations unies et de la Cedeao antérieurement écartés par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Autre couac dans l’affaire, les négociations d’avant élection portaient également sur l’entrée de dirigeants du Parti démocratique sénégalais (Pds) dans le gouvernement Sall et une possible désignation de Oumar Sarr en qualité de Chef de l’opposition, tenant compte de la représentation du Pds à l’Assemblée.
Les rebuffades de Karim Wade suite aux promesses non tenues du président Macky Sall, la rupture avec le groupe d’Oumar Sarr sur fond de controverses pro et anti-dialogue ont pu faire croire à un certain fléchissement de la position du Vieux, de son influence sur le cours des événements. Que nenni ! Il n’a jamais perdu la main ni dévié de son cap, confirmant ainsi son hégémonie sur le Pds dont il reste l’unique constante. Pour Me Wade Macky Sall, même niché au sommet de l’Etat n’en restera pas moins… une variable Au demeurant Me Wade et Macky Sall sont pressés par les événements et tenus par l’inexorabilité du temps qui passe. Ils ne peuvent plus jouer la montre tant le temps leur est dramatiquement compté. Wade du fait de son grand âge veut mettre la dernière main sur son projet de créer les conditions pour mettre le pied de son fils bienaimé à l’étrier du pouvoir. De son côté, Karim est conscient que si son père venait à quitter la scène sans avoir réglé son problème, ce serait la fin de son aventure politique.
Pour sa part, Macky est persuadé que s’il ne pacifie pas ses relations avec les Wade, les petits arrangements en cours entre libéraux sauce wade, agrémentée du groupe d’Oumar Sarr et consorts, épicée Idy chef de l’opposition pour isoler notamment Khalifa Sall et Ousmane Sonko et envisager une sortie du pouvoir plus ou moins indemnes, lui et les siens ne sauraient prospérer utilement ni efficacement. Au demeurant, avec cette grâce et ces retrouvailles qui préfigurent d’une aura retrouvée du Pds voire d’un repositionnement de Khalifa Sall, on va à coup sûr assister au plan politique à une redistribution des cartes. Reste à savoir si le président se posera en maître des horloges ou au contraire en sera la victime.
En attendant, retenons que le moment, Khalifa Sall et Karim Wade partagent le même sort. La grâce leur permet d’humer l’air libre mais les confinent à l’exil hors la République, tant que la condamnation qui les frappe et les conséquences pécuniaires qui en découlent ne seront pas levées. Ils ne sont à ce stade, ni électeurs ni éligibles. Or donc, seule une loi d’amnistie votée par l’Assemblée nationale peut leur permettre de recouvrer leurs droits civiques et de participer à la vie publique et aux prochaines joutes électorales. Gageons que si Macky Sall se résoud à payer le prix de la réconciliation réclamée par les Wade, l’ancien maire de Dakar sera intégré dans le package. On pourrait toutefois se demander si Macky Sall aura le désir et/ou la volonté d’aller jusqu’à ce terme ou s’il choisira plutôt, tant qu’il ne se sentira pas politiquement menacé, de prendre le problème par un autre bout, se contentant de fermer les yeux et de ne pas appliquer la loi, en l’occurrence la contrainte par corps pour obliger à payer les amendes dues.
La décision qui sera prise ne sera certainement pas sans rapport avec l’idée de se risquer à un troisième mandat, en test dans certaines officines du pouvoir par des alchimistes recyclés. Ce qui du reste pourrait relever d’une tentation suicidaire qu’aucun consensus issu d’un dialogue de dupes et le couplage des législatives et de la présidentielle ne pourraient légitimer ni accréditer aux yeux d’un électorat passé maître dans l’art de chasser ses dirigeants prompts à renier leurs engagements et avides de jouer les prolongations. La séquence de rabibochage à laquelle nous venons d’assister n’aura pas l’heur de plaire à certains partisans du Président, encore moins à ceux comme les Oumar Sarr qui ont répondu aux sirènes du « Dialogue national, en défiant leur mentor. Ceux qui s’étaient engagés, corps et âme sur la foi de la promesse présidentielle d’une gouvernance « sobre et vertueuse » dans la très sélective « traque des biens mal acquis en auront pour leurs frais et risquent de se retrouver en cale sèche, sacrifiés sur l’autel des retrouvailles néolibérales ».
Tout occupé à réduire les opposants en grenouilles de bénitier pour certains, en bouclier ou pare-feu pour d’autres, Macky Sall n’en devra pas moins se garder de sous-estimer le feu qui couve sous la cendre dans sa maison et que pourraient attiser des membres importants de son dispositif rapproché au sein de son parti, comme dans les rangs de sa coalition hétéroclite déjà gagnée par une frustration endémique et menacée par le spectre d’une reconfiguration déstabilisatrice. Les incantations pour faire taire des ambitions successorales plus ou moins légitimes n’y feront rien. La partie de poker menteur qui se joue sous le regard incrédule des Sénégalais est grosse de risques de déstabilisation quand les masques tomberont et que le choc des ambitions claniques, partisanes et centrifuges, s’invitera avec fracas dans l’arène politique au détriment de la République, de ses citoyens, et de l’intérêt collectif . Macky Sall à quitte ou double ! Pour sûr, il urge de se soucier du pays pendant qu’il est encore temps