Les faits sont bien connus : l’Afrique n’attire pas les investisseurs – et le langage des chiffres est sans appel ; au plan mondial, quand l’investissement direct étranger (IDE), tous secteurs confondus, faisait un bond de 38%, atteignant 1 760 milliards USD, le continent africain encaissait une chute de 7%… Le détail est encore plus éloquent. Seuls l’Angola (+352% grâce au pétrole) et l’Egypte (+49%) ont empêché la moyenne de dégringoler davantage. C’était en 2015. Pour 2018, certains croient bon de pavoiser parce que les chiffres sont “moins pires”, l’Afrique ayant capté juste 2% de plus que l’année précédente sur le flux global des IDE. En dollars trébuchants, cette pseudo-embellie élève le total à seulement 55 milliards environ – une broutille ; on n’a pas encore oublié que Donald Trump a signé pour près de 400 milliards USD de contrats avec l’Arabie Saoudite en un seul voyage…Certes, le deal est considéré comme exceptionnel, mais restons dans l’actualité ; le fameux Fonds Vert multilatéral, que le même Trump ne veut plus alimenter puisqu’il nie le réchauffement climatique, ne représente “que” 100 milliards de dollars US. Soit tout de même le double des IDE sur l’ensemble du continent…
Face à cette réalité qui montre bien les limites de l’antienne polyphonique acclamant le “boom” africain, plusieurs dirigeants semblent se bercer d’illusions en brandissant le taux de croissance annuel, parfois “à deux chiffres”, comme un talisman qui règle tout. Oubliée l’obstruction insensée pratiquée à grande échelle par les bureaucraties tropicales lorsque se présente un rare investisseur suffisamment téméraire pour envisager de mettre ses billes dans une jungle opaque …
C’est donc avec grand intérêt que j’ai suivi la rencontre des agences publiques d’investissement (API) organisée récemment par le Réseau International des Agences Francophones de Promotion des Investissements (RIAFPI). Dans leurs dénominations diverses – APIX au Sénégal, CEPICI en Côte d’Ivoire ou APIEX au Gabon – ces organismes ont un rôle crucial : attirer les IDE sans lesquels ni la Corée du Sud, ni la Chine, ni bien d’autres pays aujourd’hui cités en exemple n’auraient développé leur économie.
Quelle disparité dans les pratiques ! La palette va du couteau affûté au … gourdin pour assommer le potentiel investisseur – quand il n’a pas déjà fui ! Ainsi la République démocratique du Congo (RDC). Vaste pays surréaliste par son « miracle géologique », mais toujours embourbé dans un interminable marasme politique malgré le départ de Joseph Kabila, la RDC semble vouloir aguicher le chaland en le soumettant aux pesanteurs d’un ministère du plan amorphe dont dépend – malheureusement – l’API locale ; sans pouvoirs et sans ressources, cette dernière se rabat sur les candidats à l’investissement en exigeant d’eux au préalable l’acquittement de “frais” substantiels sans réelle contrepartie… L’histoire ne dit pas combien ont pris la poudre d’escampette !
A l’autre bout du spectre figure Maurice, un minuscule îlot perdu au large de Madagascar, la Grande île qui la sépare de l’ensemble africain dont elle fait partie. Ancienne colonie, comme la quasi totalité de ses pairs africains, Maurice a hérité d’une économie encore moins diversifiée que la moyenne puisqu’elle ne produisait que de la canne à sucre… En 50 ans, elle a néanmoins multiplié son PIB par 50, dépassant actuellement 10.000 dollars US. Loin des clichés, l’île paradisiaque ne vit pas que de ses plages ; avec seulement 8% du PIB, le tourisme contribue avant tout à sa promotion internationale. Douze filières de productivité et de croissance fondent désormais la prospérité d’un pays au secteur privé dont le grand dynamique est reconnu. Comment ? D’abord en développant une vision sur la durée, grâce à un système politique stable tourné vers la continuité de l’Etat. Alternances paisibles et démocratiques. Investissement massif dans le capital humain. Autant de mesures concrètes et de résultats qui ont façonné une image convaincante, notamment de centre financier international, de port franc et de zone franche. Pour expliquer le « miracle », l’orateur mauricien relève quelques points. Il s’agit d’abord de définir l’offre potentielle d’un pays, puis de tenir ses promesses – sur la réalité des ressources, de l’environnement social, politique et juridique. Oui, tenir ses promesses… Fermons la bible des bonnes intentions et retournons aux vieilles habitudes : frein à mains sur les réformes, priorité à la communication en trompe l’oeil, et haro sur le funambule qui pointe à l’horizon avec l’idée bizarre d’investir : il faut vite lui faire les poches ! Faut-il alors s’étonner du nombre effrayant d’aventuriers sans scrupules attirés par l’instabilité, le flou et le chaos ?
A l’origine, il y avait donc Maurice, moins de 2000 km2, même pas 2 millions d’habitants, aucune ressource minière, victime d’une double colonisation anglaise et française, située aussi loin que possible de ses principaux clients, pourtant lucide, visionnaire et volontaire.
Et la RDC… Pourquoi souriez-vous ? Je vois que je n’ai vraiment pas besoin d’égrener ici le chapelet insolent de ses atouts… théoriques.
Cherchez l’erreur…