Acta est fabula ! (la pièce est jouée !). Locution par laquelle, dans le théâtre antique, on annonçait la fin de la représentation.
L’on pourrait en dire autant dans l’affaire de la grâce présidentielle accordée à Khalifa Ababacar Sall. Tout porte à croire que l’on a fait jouer à l’ex-maire de Dakar le rôle de rideau de scène. Dans les coulisses de ce lieu de culte, il y a sûrement des choses que le grand public ne connaîtra jamais. Et le rideau de scène ou de théâtre est justement-là pour rappeler aux curieux la limite de ce qui peut être vu et entendu.
La «grâce impératrice »
Le schéma de la grâce présidentielle semble intégrer en premier lieu Mbaye Touré et Yaya Bodian. Mais les protagonistes étant conscients de sa faiblesse sans Khalifa Sall, ont cherché à cerner les contours de l’équation de l’ex-maire de Dakar, un prisonnier au caractère bien trempé. Ils n’ont aucun doute sur l’intransigeance du socialiste qui a craché sur toute demande de grâce au président, son bourreau. L’alternative est de lui forcer la main, en passant par une robe noire dont le degré d’implication dans ce dossier, a tout l’air de se situer au-delà du gain professionnel. Pour donner tout son éclat à l’acte du président, présenté comme le bon samaritain, il fallait ajouter une marche à l’échelle de la «grâce présidentielle», celle de la «grâce impérative», pour ne pas dire «forcée». Le nom de Khalifa Ababacar Sall est utilisé dans une vaste opération d’agenda setting au relent communicationnel. Une sorte de faire-valoir à un projet où les principaux acteurs cachent leur jeu.
Agenda setting et spirale du silence
Ce n’est pas un hasard si les médias ont fait de cette grâce accordée à Khalifa Sall, leur ordre du jour, en le reliant au coup de maître du saint homme. L’effet communicationnel consiste à ordonner et organiser mentalement le monde à la place du public. Si les médias, le temps d’un week-end, ne disent pas quoi penser, ils ont au moins réussi la prouesse de nous imposer ce à quoi nous devons penser. Ce qui, du coup, met entre parenthèse notre faculté à questionner les choses. Même les plus téméraires sont soumis à la dictature de la «spirale du silence», avec le triomphe de la pensée unique qui impose à tous de présenter la poignée de main entre Macky Sall et Abdoulaye Wade, puis la grâce présidentielle accordée à Khalifa Ababacar Sall, comme un geste de grandeur et de dépassement, mais surtout de paix, du chef de l’Etat.
L’astuce consiste à transformer son propre point de vue en celui du plus grand nombre. On cherche à imposer des modèles de comportements ou d’opinion qui, par une sorte de bluff parfois très audacieux peuvent acquérir le statut d’évidence, pour paraphraser Christian Le Bart.
En faisant appel au désir de la «paix des cœurs», le président Sall nous entraîne sur le chemin de la technique de manipulation dénommée «Généralités éblouissantes et mots vertueux», dont le but est de provoquer une émotion intense chez la majorité des Sénégalais. Comme l’atteste ce concert d’approbations, parfois amplifié certes, par une stratégie de communication bien pensée.
Cynisme du PRS
Le président est subitement présenté comme le bienfaiteur qui a gracié Khalifa Sall jeté en prison dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. D’aucuns diront que Macky Sall a créé le chaos pour l’ex-maire, en sachant que cela va susciter une vague de réactions de la part des populations qui vont demander la clémence pour le détenu, avant de se poser en libérateur avec la solution de la grâce. C’est la stratégie du PRS (problème-réaction-solution) qui consiste à créer un problème, dans le but de susciter des réactions, avant de proposer une solution. On semble ici, toucher le point culminant du cynisme, c’est la figure du renard du Prince.
L’angle de tire
Mais qu’est-ce qui se cache derrière le rideau de scène ? Et si Khalifa Sall et Yaya Bodian n’étaient que le prétexte ? Mais que la vraie finalité de ce qui s’est tramé le vendredi 27 septembre, était la libération de Mbaye Touré et l’amnistie, à terme, de Karim Wade, le fils de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade ?
Entendons-nous bien ! Que le fils putatif retrouve son «père» grâce à la médiation du saint homme, quoi de plus normal, puisque cela se déroule dans une sphère privée. Beaucoup de choses se sont passées entre les deux hommes, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Cependant, la République a ses règles et ses exigences et nul n’a le droit de la mêler aux destins personnels.
Pour sûr, c’est l’avenir politique de Karim Wade qui se joue derrière le rideau de scène. Gracié puis exilé, le fils de Me Wade avait été accusé d’enregistrement illicite. La justice l’avait condamné à payer une amende de 138 milliards de francs CFA. Précisons que sur les 117 milliards de Francs CFA de patrimoine, 69,119 milliards avaient été retenus comme illicites. Quand aux charges portant sur le compte à Singapour (47 milliards de fcfa), elles ont été abandonnées. L’amnistier signifierait mettre un terme à la condamnation déjà prononcée ou à l’exécution de la peine qui ne figure plus au casier judiciaire. Pour Khalifa Sall le même acte aura pour conséquence l’effacement de 1,8 milliard dont on l’accuse avoir détourné.
Ça nous interpelle
Cette demande d’amnistie de Karim Wade et de Khalifa Sall, au-delà de l’émotion, nous interpelle en tant que républicains. Que gagne le Sénégal dans cette transaction politique ? Doit-on passer par pertes et profits l’argent du contribuable ? Dans le procès Karim Wade, combien de commissions rogatoires ont été envoyées à l’étranger ? Quel en est le coût ?
L’amnistie serait alors un geste de haute portée politique, engageant la responsabilité du chef de l’Etat, qui ne doit jamais oublier les intérêts du peuple, le vrai détenteur du pouvoir. Lui n’est qu’un dieu aux pieds d’argile ! Vive le Sénégal !