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Quels Defis Securitaires Pour Le Senegal ?

Quels Defis Securitaires Pour Le Senegal ?

Dans le cadre de la commémoration de ses 25 ans d’existence, l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) organise les 07 et 08 octobre 2019 un forum sous le thème : « UEMOA 25 ANS : Ensemble relevons le défi de la libre circulation des personnes et des biens dans un espace communautaire sécurisé ».

Ce forum est pour moi, en tant que diplômé du Centre des Hautes Études de Défense et de Sécurité (CHEDS), une bonne occasion pour partager mon expertise et souligner la pertinence du thème retenu, d’autant plus que j’ai eu l’honneur de traiter dans le cadre de mon Travail Individuel de Recherche (TIR) du thème: enjeux et défis sécuritaires liés à l’application par le Sénégal du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes.

Le thème retenu pour ce forum de Ouagadougou trouve toute son importance dans le contexte sécuritaire peu favorable à la libre circulation des personnes et de biens dans l’espace CEDEAO, et interpelle tous les États membres, plus particulièrement ceux de l’UEMOA, à relever les défis sécuritaires liés à l’application du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens. Nous saisissons l’opportunité que nous offre le forum deOuagadougou pour passer en revue la politique communautaire en matière de libre circulation dans un contexte sécuritaire marqué par le terrorisme, la criminalité transfrontalière etle crime organisé entre autres. Il s’agira pour nous également de voir les dispositions prises par le Sénégal pour concilier l’impératif sécuritaire et son engagement communautaire d’application du droit à la libre circulation des personnes et des biens de la CEDEAO.

Intégration africaine et Libre circulation. La libre circulation des personnes et des biens est une aspiration fondamentale de la politique d’intégration de l’Union africaine et des organisations sous régionales. Ses principes fondateurs sont déjà annoncés en mai 1963 à Addis-Abeba dans la Charte de l’OUA relative à l’intégration politique et économique du continent, et ensuite clairement définis dans le Traité d’Abuja du 03 juin 199, instituant la Communauté Économique Africaine en son article 43. Ainsi la libre circulation des personnes dans l’espace CEDEAO, telle que définie dans l’article 59 du Traité de la CEDEAO ainsi que dans le Protocole A/SP.1/5/79 de Dakar du 25 mai 1979 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, consiste à permettre aux ressortissants des États membres de la CEDEAO de se déplacer librement sur l’ensemble des territoires des États membres, d’y résider et de s’y établir en vue d’y exercer une activité́ économique salariée ou indépendante. Contexte sécuritaire en Afrique de l’Ouest C’est justement le contexte sécuritaire dans le monde, en Afrique et principalement en Afrique de l’Ouest qui risque de compromettre sérieusement l’application du principe de libre la circulation dans la CEDEAO.

La situation en Afrique de l’Ouest n’est pas pour ainsi dire très reluisante. En plus d’une fragilité́ étatique (seuls deux États de la sous-région ont échappé́ à un coup d’État militaire réussi en cinquante ans), une fragilité́ écologique et une fragilité́ sociodémographique s’opèrent dans un contexte de grande pauvreté.́ A ces menaces structurelles et historiques, s’ajoute toute une série de nouvelles menaces comme le terrorisme, la criminalité́ transfrontalière et les trafics illicites ou encore la piraterie maritime. Les facteurs de conflictualité́ sont donc d’ordres internes, régionaux et internationaux et de nature à la fois politique, économique, socio-culturelle et environnementale.

En raison de la contiguïté́ géographique, de la porosité́ des frontières et de la similarité́ des facteurs, les foyers de conflictualité́ et les acteurs qui les animent, s’inscrivent souvent dans des dynamiques régionales complexes, bien que certains conflits trouvent leurs foyers de départs dans des pays de la sous-région et s’étendent aux pays voisins. Il est alors important de souligner ici l’interdépendance des acteurs et des enjeux sécuritaires dans l’espace de la CEDEAO impactant sur la politique d’intégration visant la libre circulation des personnes et l’émergence d’une citoyenneté ouest africaine.

A ces enjeux sécuritaires dans la CEDEAO, il est important de concilier le droit à la libre circulation des personnes à l’impératif sécuritaire qui s’impose aux états afin d’assurer à ces mêmes populations leurs droits à la paix et au bien-être. Le Sénégal : terre d’immigration et d’émigration Ayant accédé à la souveraineté internationale le 4 avril 1960, le Sénégal n’a pu, à l’image des autres pays africains, manquer d’être secoué par des crises régionales ou sous régionales, assorties de leurs séquelles chroniques : la pauvreté, la maladie, la sécheresse, les réfugiés et les personnes déplacées, l’endettement extérieur, etc. Situé à l’extrême ouest du continent africain, le Sénégal est un pays sahélien qui partage ses frontières avec la Mauritanie au nord, le Mali à l’est, la Guinée et la Guinée-Bissau au Sud. La Gambie forme une quasi enclave pénétrant à plus de 300 km à l’intérieur du pays. Les Iles du Cap Vert sont situées 560 km de la côte sénégalaise.

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La superficie totale du pays est de 196 722 km2. La position géographique fait du pays un grand carrefour de mobilité et d’intégration de peuples d’horizons divers. Après l’indépendance du pays en 1960, les dynamiques de mobilité interne et internationale se sont renforcées tout en s’intensifiant et en se diversifiant. L’importance des courants migratoires saisonniers, internes ou transfrontaliers, favorisés notamment par le développement de la culture de l’arachide, avait fait du Sénégal plus un pays d’immigration que d’émigration. Mais la situation économique difficile que traverse le pays depuis des décennies et la mondialisation de la circulation migratoire font qu’il est devenu un foyer de départ massif et en même temps un espace de transit pour des migrants venant d’autres pays.

Les mouvements d’émigration sénégalaise se sont développés d’abord à l’échelle du continent africain d’une part où les flux se sont essentiellement captés par la Côte d’Ivoire, le Congo et le Gabon d’autre part. A l’échelle mondiale, le champ de l’émigration sénégalaise s’est élargie à l’Europe, à l’Amérique et au reste du monde En retour, le Sénégal est devenu par sa stabilité et son relatif essor économique par rapport aux pays limitrophes une destination très touchée par le phénomène migratoire.

Par ses valeurs de tolérance et d’hospitalité, il est devenu une terre d’accueil pour un nombre toujours croissant de ressortissants de la sous-région et au-delà. Ces étrangers résidant au Sénégal sont constitués de 91% de ressortissants africains principalement originaires des pays limitrophes tels que la Guinée (47%), le Mali (11%), la Gambie et la Guinée Bissau (7%) chacun et la Mauritanie (3%). Le Sénégal est un pays ouvert, appliquant le protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens. Du 1er Janvier au 30 Septembre 2018, deux millions cinq cent quarante mille six cent vingt milles (2 549 621) personnes sont entrées dans le pays, dont un millions deux cent quatre-vingt-deux mille cinq cent quarante-neuf (1 282 549) d’étrangers, contre deux millions quatre cent quatre-vingt-dix-sept mille cinq cent soixante-quinze (2 4 97 575) dont un million cent quatre-vingt-trois mille deux cent vingt (1 183 220) d’étrangers qui en sont sortis Défis sécuritaires pour le Sénégal Les dynamiques de migrations internes et internationales constituent un enjeu majeur lié à la nature et la complexité du phénomène.

Les effets sur la sécurité, le développement économique et social du pays, sur les migrants eux-mêmes et sur les communautés d’origines, de transit et d’accueil posent de réels défis à l’État du Sénégal au premier plan, mais aussi aux autres composantes de la population. Compte tenu de tous ces enjeux, l’État du Sénégal s’est donné comme objectif de relever les défis sécuritaires liés à ces menaces dans le cadre de sa Politique Nationale de Migration (PNMS), principalement dans les Domaines d’Activités Stratégiques (DAS) numéro 4 et numéro 5.

Les orientations stratégiques contenues dans le DAS numéro 3 relatif à la migration à la santé et à l’environnement visent à « améliorer la prise en charge de la santé des migrants et des immigrés au Sénégal » et à « établir un système performant de prévention et de gestion des catastrophes naturelles et humaines et de prise en charge des personnes déplacées internes, des réfugiés et demandeurs d’asile ».

Le DAS numéro 4 relatif à la Migration et à la Gestion intégrée des frontières, quant à lui, donne les orientations visant à « mettre en place un système approprié de gestion des frontières et à actualiser les conditions d’entrée, de séjour et d’établissement au Sénégal ».

 Le DAS numéro 3 fait le lien entre la migration et l’importation de maladies infectieuses un risque sérieux qui fait du migrant un vecteur potentiel de la propagation des épidémies. Souvent, le migrant entreprend de longues trajectoires qui peuvent augmenter les risques de maladies transmissibles comme le Sida et les infections telles que la tuberculose, les hépatites A, B, et C. La mobilité est donc considérée comme un déterminant potentiel de la vulnérabilité en matière de santé publique.

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Les zones transfrontalières principalement sont des sites à haut risque de transmission de maladies et de propagation des épidémies, et doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’État. L’apparition de l’Ébola dans certains pays de la région (Guinée, Libéria, Sierra Leone) a ainsi montré toutes les difficultés liées à la maitrise des épidémies par les gouvernement des pays de la région, notamment au niveau des espaces frontaliers où les risques potentiels de propagation de telles maladies s’opèrent d’un pays à un autre, avec le principe de la libre circulation des personnes.

Le DAS numéro 4 évoque pour sa part les enjeux sécuritaires aux frontières du Sénégal d’ordre économique et social. L’intérêt porté sur les flux d’entrée et de sortie des frontières est motivé par le fait que les frontières, structures spatiales, correspondent à une limite de souveraineté nationale. Ce besoin de contrôle des flux migratoires est de nos jours fortement lié à la nécessité de lutter contre le crime organisé transfrontalier, ainsi qu’aux nouveaux enjeux du protocole de la CEDEAO relatif à la libre circulation des personnes et des biens, au droit de résidence et d’établissement des ressortissants des États membres. Les enjeux sécuritaires liés à la traversée des frontières se présentent comme suit : -Développement du trafic criminel transnational – Menaces terroristes – Blanchiment d’argent – Traite des personnes – Braconnage et contrebande de toutes sortes Les mesures sécuritaires aux frontières La sécurité globale du Sénégal nécessite des mesures de protection des personnes et des biens et de la sureté de l’État.

Devant toutes ces menaces énumérées ci-dessus, accentuées par la porosité des frontières aussi bien terrestres que maritimes, et par l’absence de moyens de contrôle adéquats, il est indispensable d’apporter des solutions durables en renforçant notamment les capacités des forces de défense et de sécurité. Dans cette optique, l’État du Sénégal, par le biais du Ministère de l’intérieur, a élaboré une nouvelle Stratégie Nationale de Gestion des Frontières (SNGF).

L’objectif général de cette stratégie est d’assurer une meilleure gestion des frontières terrestres, maritimes et aériennes, dans le souci de renforcer la sécurité intérieure du pays, la facilitation de la circulation de personnes et des biens et la promotion de la coopération transfrontalière. Sur le plan opérationnel, le renforcement du contrôle aux frontières terrestres avec la Guinée Biseau et le Mali, est pour le Sénégal, un défi sécuritaire majeur. Prenant conscience des menaces sécuritaires liées à l’immensité des frontières, difficiles à surveiller, donc poreuses, le Sénégal a mis en œuvre un processus d’adaptation de son dispositif sécuritaire par :

  • La mise en œuvre des mesures préconisées ou obligations résultant des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies;
  • La conciliation de l’impératif sécuritaire et l’exigence de célérité et de fluidité du trafic dans les zones aéroportuaires;
  • Adoption d’une approche sélective basée sur :
  •  le développement de la fonction renseignement
  •  L’analyse comportementale; q L’analyse des risques (le ciblage et le profilage) fondée sur les Renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV) et les dossiers de réservation (PNR).

Pour relever le défi sécuritaire à ses frontières, le Sénégal, a procédé, en 2018, à l’installation du système intégré de gestion des flux migratoires SECURIPORT au commissariat spécial du port à Diama, Keur Ayib et Karang. Poursuivant l’adaptation de son dispositif de sécurité, dans le cadre de la prévention et de la répression de la criminalité transfrontalière, il est envisagé la mise en place à l’AIBD, d’un système de renseignement préalable concernant les voyageurs RPCV, plus connu sous le sigle API-PNR .

 Son objet est de mettre à la disposition des services concernés, les renseignements utiles pour une action préventive sur la base de la collaboration des compagnies aériennes pour fournir les données de réservation et d’enregistrement des passagers. C’est dans ce but que le Sénégal a pris part, en Aout 2018, au lancement du projet d’adhésion au répertoire des clefs publiques de l’OACI qui permettra, de manière plus fiable, de faire des comparaisons entre les empreintes de l’enrôlement et ceux sur le passeport. L’adaptation du dispositif passe par l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de formation avec des ressources humaines, ainsi que l’équipement en matériels de surveillance adaptés.

En perspectives, une extension de la surveillance sur la ligne ferroviaire Dakar Bamako ainsi que sur le trajet Train Express Régional (TER) serait très opportune du fait de la vulnérabilité que peuvent représenter ces infrastructures. A cela s’ajoute l’opportunité qu’offre le système de l’OIM appelé MIDAS (Meaningful Integration of Data, Analytics and Services), un système d’information pour la gestion des frontières dont le but est d’améliorer la gestion et le contrôle des points d’entrée et de sortie par le recueil, le traitement et le stockage des données des voyageurs, dont la biométrie. Ce système est interopérable et connecté selon la volonté des États, aux bases de données de INTERPOL ou tout autre système. Résilience structurelle nationale C’est d’une vision à long terme avec action immédiate que le Sénégal opère des grands choix stratégiques publics résultant d’une réflexion nouvelle dans les modes de gestion et d’organisation des grands acteurs publics et privés, et réintégrant une pensée très ouverte, collaborative, qui tient compte des enjeux et des mutations afin de préparer les populations et les organisations aux situations d’exception, quelles que soient leurs origines ou leurs natures. Pour ce faire, d’autres mesures et stratégies sur le plan national sont prises ou envisagées portant sur l’anticipation face aux menaces multiformes et multidimensionnelles, mais aussi la capacitation pour faire face aux besoins d’intervention. Nous pouvons citer entre autres mesures l’érection du Groupement National des Sapeurs-Pompiers (GNSP) en Brigade Nationale des Sapeurs-Pompiers BNSP) et la création prochaine de l’Agence Nationale de la Protection Civile (ANPC) conformément aux orientations de la CEDEAO.

En outre, pour ce qui concerne la sécurité publique, le Sénégal, dans sa volonté de s’adapter au contexte « crisogène » exprimée dans la lettre de politique sectorielle, a pris des mesures d’intensification de la lutte contre la grande criminalité, de renforcement des capacités opérationnelles de services de police de proximité et de police de frontières. La coopération bilatérale avec les pays voisins n’est pas en reste, à l’exemple de la Gambie, avec qui le Sénégal a institué les journées annuelles dédiées à la libre circulation entre les deux pays. En effet, le 1er mars 2018, eut lieu la première édition organisée à Karang, poste frontalier du Sénégal avec la Gambie. Cette journée a abouti, à un engagement des deux pays, à assurer une libre circulation des personnes et de leurs biens afin de promouvoir des échanges économiques et commerciaux durables et une sécurité dans leurs transactions. En conclusion, nous pourrons dire que l’une des plus grandes réalisations de la CEDEAO est l’instauration d’une citoyenneté communautaire ouest-africaine jouissant de ses droits de libre circulation, de résidence et d’établissement dans tout l’espace CEDEAO.

A cela s’ajoute l’adoption de cartes d’identité et de passeports biométriques facilitant les procédures d’identification des ressortissants de la communauté ouest africaine dans leurs déplacements hors de leurs pays d’origine. Cependant, le contexte sécuritaire prévalant dans la zone CEDEAO depuis des décennies, mais également les nouveaux défis sécuritaires liés au terrorisme, à la criminalité transfrontalière, aux risques d’épidémies de maladies infectieuses telles que l’Ebola, viennent donner un coup de frein à la politique d’intégration de la CEDEAO et de l’UEMOA dans leur élan de réaliser une intégration politique et économique porteuse de développement.

A ce titre, l’impératif sécuritaire vient impacter considérablement le droit à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO. L’identification des personnes en déplacement à travers les frontières de la communauté s‘avère désormais incontournable dès lors que les criminels et les terroristes jouissent de ces mêmes droits sans distinction et peuvent se mêler à d’honnêtes citoyens pour commettre leurs forfaits. C’est dans ce contexte que le Sénégal, pays membre de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de l’UEMOA, est appelé à concilier l’application du droit à la libre circulation des personnes et des biens et le devoir de veiller à la sécurité et au bien-être de ses populations.

Sidy SAME

Directeur Général du CNRE/MEN

Diplômé en Défense et Sécurité nationales / CHEDS

Doctorant en Linguistique Comparative / UCAD

Master II en Gestion et Finance Publique / ISF Dakar

Spécialiste en Alphabétisation et Didactique des Langues /Uni Münster Allemagne







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