Les grands combats entres « bêtes politiques » ont toujours quelque chose d’épique et de passionnel dans la charge qui porte leurs idées et dessine leurs projets. Wade contre Diouf, ça avait de la gueule, avec « Monsieur Moulin et Madame Forage », qui affrontaient « Fantômas ». Avec le FRTE, et Dansokho en sang dans un altier et fier cortège, il y avait des parfums d’alternance possible, donc de rêves structurants. Les joutes étaient âpres, les bagarres essentielles, qui traçaient notre Histoire. Et Abdoulaye Wade advint et ses larmes qui coulèrent sur l’épaule d’un Moustapha Niasse, avec lui perché sur une antique Mercédès, au soir du 19 mars 2000, firent plus sens de la satisfaction intime d’un homme, que de l’immense défi qui se proposait à eux devant une foule en extase, et nous donnèrent la sensation étrange que ce moment aurait plutôt du les faire frémir, face à la page d’Histoire que le peuple sénégalais écrivit ce jour-là. Puis il y eut la satisfaction ricaneuse des « problèmes d’argent qui seraient terminés » racontée sans rire par le compère d’alors Idrissa Seck, et une prophétie du vainqueur qui asséna « qu’ils étaient là pour cinquante ans ». Dans l’euphorie d’une alternance conquise avec panache, cette phrase sibylline, passa inaperçue, ne prêtant pas plus que ça à réflexion, venant d’un homme qui portait beau ses 75 hivernages.
19 ans plus tard, années émaillées de bien des meurtres en famille libérale, cette prophétie du patriarche, « seule constante de son parti », au vu des séquences que lui-même a orchestrées avec son inégalable talent à donner le tempo et à nous jeter avec une régularité jouissive un os à ronger et à nous proposer des émotions comme seuls les sénégalais savent en raffoler, commence à « faire sens ». Depuis 2000, c’est la même bande de garnements ébahis devant celui qui n’hésitait pas à défier son créateur pour leur jeter à la figure « qu’il les avait faits et créés de toutes pièces », qui se disputent les places devant le transat sur lequel il est allongé, et d’où il distribue, bonbons et biscuits, enfin, postes et sinécures, et qui évidemment se battent avec âpreté, pour fayoter au premier rang, n’hésitant pas à dénoncer au vieil homme susceptible, bougon parfois, irascible souvent, d’improbables complots qui provoquaient disgrâces et bannissements.
Wade arrive au palais, encore maître du jeu, jeu qu’il a mené à son rythme, faisant et défaisant les carrières, initiant des ambitions qu’il pulvérisait ensuite en toute désinvolture césarienne. Ces affrontements ont des allures de combats de catch, où toutes les prises sont truquées, et qui dans une parfaite chorégraphie donnent l’impression d’un vrai combat. Idrissa Seck, Karim Wade, Macky Sall, l’imprévu qui les coiffe au poteau, tout cela sent le ballet destiné à maintenir au frais le gâteau qui doit être partagé…50 ans durant. Et tout le monde veut sa part, ce qui transforme notre champ politique en foire d’empoigne où tous les coups sont permis, bagarre générale qui aura eu pour effet de désintégrer les partis structurés, et historiques, comme Le PS, La LD, le PIT, et même le parti le plus porteur de valeurs qui accueillit dans l’effervescence de leurs turbulentes jeunesses la plupart des impétrants, dont l’actuel chef d’état n’est pas le moins illustre, le parti AND Jëf.
Et si Wade venait au palais pour refaire le rang. Et remettre dans la file son fils qu’il verrait bien délesté de sa contrainte par corps. On va nous seriner avec le statut de chef de l’opposition, particularisme tropical aberrant, et une union nationale, concept pompeux qui signifie « partage du gâteau », on va vanter cette singularité sénégalaise de pays apaisé, où il ne peut y avoir de désordres, puisque c’est connu, les hommes religieux qui constellent nos contrées, ont écarté ces désordres grâce à de savants coups de chapelets. Et le tour est joué. Plus que 25 ans. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils ont de belles montres, mais que le peuple lui…a le temps.