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La Nouvelle Course Folle Vers Le Visa

Le 17 décembre 2012, je m’étais insurgé contre le projet du gouvernement du Sénégal d’instaurer une politique de réciprocité du visa d’entrée aux voyageurs détenteurs de passeport de pays qui exigeaient des Sénégalais un visa d’entrée. J’expliquais que cette mesure était fatalement vouée à l’échec, car le laxisme dans les ambassades et consulats du Sénégal à l’étranger était tel que les touristes et autres voyageurs occasionnels s’épargneraient les tracasseries. Ainsi, les touristes allaient se détourner de la destination Sénégal et iraient dans d’autres pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, ou même d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme les îles du Cap Vert ou la Gambie. En effet, l’instauration du visa d’entrée pour des voyageurs provenant de pays souvent les plus gros pourvoyeurs de groupes de touristes visitant le Sénégal constituera un handicap supplémentaire pour la destination Sénégal. Cette destination souffrait déjà de contraintes comme les difficultés du voyage, la mauvaise qualité de nos réceptifs hôteliers et de leurs services, mais surtout de la cherté du coût de la vie au Sénégal. Le touriste moyen ou ordinaire choisirait donc d’aller dans un pays avec un temps de voyage plus court, un coût de séjour plus bas, de meilleurs hôtels et autres réceptifs et une meilleure qualité de service, tout en s’épargnant les harcèlements de rue et autres tribulations. Mais surtout en s’évitant de devoir chercher un visa avant d’embarquer dans l’avion ou de passer des heures à l’aéroport de Dakar, à l’arrivée, avant de disposer de ce sésame. Le gouvernement ne voulait rien entendre et s’obstinait dans sa logique d’instaurer le visa d’entrée et son argumentaire était notamment de générer des recettes, de contrôler les entrées pour des raisons sécuritaires et aussi de restaurer le blason de la souveraineté de notre pays, devant des pays qui continuaient d’exiger le visa aux citoyens sénégalais. Il s’était trouvé, comme toujours, des gens simples d’esprit, qui ne cherchent à rien comprendre et qui se mettaient à chanter l’hymne national devant «cet acte de bravoure et de patriotisme» qui gonflait à bloc nos cœurs vaillants de patriotes ou autres nationalistes. Même le ministre du Tourisme de l’époque, Youssou Ndour, ne semblait pas comprendre que la mesure allait contrecarrer tous les efforts et initiatives pour relancer ce secteur moribond. Youssou Ndour avait pris de la mouche pour ma fameuse chronique. Le gouvernement ignora également les mises en garde des professionnels du secteur du tourisme qui rapporterait, bon an mal an, plus de 300 milliards de francs Cfa à l’économie du Sénégal. La décision était annoncée d’instaurer le visa d’entrée à compter de juillet 2013. De guerre lasse, devant l’obstination du gouvernement, je leur disais avec prémonition, sur le plateau de la Tfm, que dans deux ans, le Sénégal reviendra sur une telle mesure. On ne savait pas que le marché était déjà réservé à un sulfureux homme d’affaires ivoirien, Adama Bictogo, qui avait des liens très étroits avec des élites politiques du Sénégal. Le Sénégal signera un contrat avec la société Snedai pour une durée de vingt ans, avec un système décrié de partage des revenus. Ainsi, sur les 50 euros du prix du visa, Snedai percevait la moitié.

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Un dispositif de délivrance de visas avait commencé à être mis en place dans les représentations du Sénégal à l’étranger. On observa alors les longues files d’attente à l’arrivée à l’aéroport Léopold Sédar Senghor ; on observa l’agacement des voyageurs ; on releva les voyages groupés annulés par des Tours operators ; et jamais le secteur du tourisme au Sénégal ne s’était trouvé aussi mal en point qu’après la mise en œuvre de la politique de visa d’entrée. Plus grave, les autorités du ministère des Finances fulminaient contre les circuits occultes des recettes engrangées grâce aux visas d’entrée. L’argent servait plutôt à payer des primes et à acheter des voitures de police et à construire des locaux pour des services du ministère de l’Intérieur, avec une opacité ahurissante dans les procédures de passation des marchés. La coupe devenait pleine et en 2015, le gouvernement du Président Macky Sall décida de revenir sur sa politique d’instauration des visas d’entrée. La décision devint effective à partir du 1er mai 2015.

Les conséquences seront encore plus dramatiques pour le Sénégal. Adama Bictogo, qui s’était vu ainsi octroyer le marché dans des conditions qui avaient défrayé la chronique, menaça de traîner le Sénégal devant les juridictions internationales. Ainsi, le Sénégal s’empressa de trouver un accord avec l’homme d‘affaires et lui versa la bagatelle de 12 milliards de francs Cfa à titre de dédommagement. Adama Bictogo réclamait 18 milliards de francs Cfa. Ainsi empochera-t-il un magot, sans coup férir, du fait de la turpitude de nos autorités.

Qu’est-ce qui fait courir Aly Ngouille Ndiaye ?

Ces dernières semaines, on a observé une exposition médiatique peu habituelle du ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, pour annoncer de manière péremptoire le retour de la politique d’instauration du visa. Le ministre de l’Intérieur tenait à réagir contre des propos de son collègue en charge du Tourisme et des transports aériens. Le ministre Alioune Sarr avait, en effet, répondu à une question des médias, en marge du salon du tourisme organisé à Paris, pour réfuter une information donnée par le magazine Jeune Afrique selon laquelle le Sénégal s’apprêtait à instaurer de nouveau le visa d’entrée dans ses frontières nationales. Aly Ngouille Ndiaye a répondu pour dire le contraire de son collègue du gouvernement, tout en précisant dans un premier temps que c’était son opinion personnelle, avant de dire que l’idée de ré-instaurer le visa d’entrée était à l’étude. Pour le ministre de l’Intérieur, des impératifs sécuritaires faisaient que le Sénégal devait savoir qui traversait ses frontières. Et comme s’il ne voulait plus lâcher le morceau, on a constaté que le ministre de l’Intérieur est encore monté au créneau, dans de nombreux médias parus le week-end dernier, pour insister sur la mesure qui, dit-il finalement, sera prise par le gouvernement. Quelle cacophonie dans le gouvernement ! Il n’en demeure pas moins que Aly Ngouille Ndiaye semble être sûr de son fait. Soit ! Mais le plus renversant est que le ministre de l’Intérieur se mette à aller jusqu’à s’inviter, en direct, dans l’émission «Jakarlo» de la Tfm, pour plaider pour cette mesure qui, encore une fois, n’est pas encore officiellement prise par le gouvernement. Qu’est-ce qui vaut qu’un simple projet du gouvernement soit ainsi défendu avec une telle hargne, alors qu’il n’a même pas encore été discuté en Conseil des ministres ? Il aurait été plus logique que l’offensive médiatique du ministre de l’Intérieur soit engagée après que le gouvernement a fini de prendre la mesure. On peut avoir l’impression que le ministre de l’Intérieur chercherait, de manière cavalière, à imposer la mesure aux esprits et au gouvernement. On ne le dira jamais assez, on ne saurait prendre de telles mesures, de manière aussi désinvolte, à la va-vite, car le ministre de l’Intérieur en révèle lui-même le caractère précipité, quand il affirme qu’il n’a pas «connaissance d’une étude qui souligne l’impact négatif sur le tourisme de la première mesure d’instauration du visa d’entrée». En d’autres termes, le gouvernement n’a donc pas fini d’évaluer la première mesure, sur laquelle il avait été obligé de revenir, avant de chercher à la remettre dans le circuit. Les Sénégalais s’arracheront encore les cheveux quand ils découvriront que le marché a déjà été cette fois-ci donné à un opérateur sénégalais, bien connu pour ce type de services. Il est encore à craindre que les ressources financières supposées provenir de la mesure de délivrance de visas alimentent des caisses autres que le Trésor public. Aussi, on peut parier que le Sénégal reviendrait sur une telle politique comme ce fut le cas en 2015. Mais malheureusement, notre pays aura encore à dédommager, à coups de milliards, l’opérateur contractuel. Toutes ces sommes ne seront sans doute pas perdues pour tout le monde. Dans cette affaire, il est essentiellement une question d’argent. Et on risque de n’avoir cure des conséquences sur l’économie nationale et le tissu social ; que des hôtels ferment, que des emplois soient perdus, que l’exploitation du nouvel aéroport Blaise Diagne en pâtisse ou que la compagnie Air Sénégal arrive à beaucoup en souffrir.

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L’argument sécuritaire qui ne convainc pas

Le ministre de l’Intérieur explique la nécessité de faire revenir la politique de visa par des impératifs sécuritaires. Aly Ngouille Ndiaye estime que «dans tous les pays du monde, c’est pour les aspects sécuritaires. Chaque pays veut savoir qui vient chez lui et quand il va partir. Et l’un des premiers moyens de contrôler ceux qui rentrent ici, c’est de pouvoir les canaliser. Cela nous permet d’apprécier les flux, leurs justifications, mais également leurs durées de séjour. Quand un système de visa est là, avec des dates de validité bien précises, quand quelqu’un rentre, on sait quand il doit sortir. Actuellement, on n’a pas de visa. Par exemple, quelqu’un qui entre dans le pays et qui n’a pas de visa, une fois qu’il franchit les portes de l’aéroport, il peut rester à sa guise». On peut concéder qu’un ministre de l’Intérieur dispose certainement d’informations dont le citoyen lambda ne saurait disposer, mais on ne peut pas ne pas relever que cet argument sécuritaire avancé est on ne peut plus spécieux. Tout le monde sait que les actions menaçant la sécurité intérieure des pays de la sous-région sont élaborées, planifiées et même exécutées à partir de pays voisins. Les éventuels terroristes de Boko haram ou de Aqmi n’entreraient pas au Sénégal avec des visas ou des passeports, ils entrent et sortent avec des cartes d’identité de la Cedeao et ne sont pas soumis à la politique de visa. Ils vont continuer à entrer et sortir librement à travers les postes frontaliers ou par des points de passage non contrôlés. Nul n’ignore la réalité de la porosité de nos frontières. Il faudrait également souligner, peut-être pour la bonne gouverne du ministre de l’Intérieur, que le Sénégal exige déjà le visa d’entrée sur son sol aux ressortissants de tous les pays considérés comme des noyaux de groupes terroristes et qui n’appartiennent pas à l’espace de la Cedeao, régi par des accords de libre circulation des personnes. A part les pays membres de la Cedeao ainsi que le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie et la Tunisie, tous les citoyens de la plupart des autres pays d’Afrique et d’Asie sont déjà soumis à l’exigence d’un visa d’entrée au Sénégal. Que changerait alors la ré-instauration généralisée des visas ? Cette mesure est destinée au pays d’Europe et d’Amérique, desquels on escompterait des recettes importantes. Cela donne encore du crédit à l’argument selon lequel la mesure serait plutôt mue par un vulgaire business. En outre, le Sénégal est bien en mesure de savoir qui va débarquer dans ses aéroports, car les manifestes des avions sont systématiquement communiqués au pays de destination. S’il faudrait que, préalablement à la délivrance du visa, les services consulaires obtiennent l’aval de la Police des frontières du Sénégal, on peut bien appréhender la grosse pagaille et les lenteurs. Une telle situation va encore rendre plus difficile le voyage vers le Sénégal. Sur un autre point, qu’est-ce qui pourrait faire dire au «premier flic» du Sénégal que les actions terroristes à craindre seront du fait des étrangers ? L’expérience enseigne que les actions terroristes, les plus meurtrières à travers le monde, ont toujours été perpétrées, sur leur propre sol, par des ressortissants du pays victime. Il faudrait dès lors arrêter de toujours stigmatiser les étrangers, comme du reste on le demande à d’autres pays.

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