Libérateur historique de son peuple de l’une des pires hécatombes de l’humanité (en l’occurrence le génocide rwandais), bâtisseur faramineux d’une révolution humaine et technologique, Paul Kagamé a ceci d’Héraclès : du nom de ce fameux personnage mythologique, aux travaux gargantuesques, qui libéra aussi Prométhée, connu pour avoir créé l’homme d’argile, mais aussi pour avoir volé le feu des dieux (symbole de la Connaissance) pour lui insuffler la vie.
Entre réussite économique, développement technique et mutation numérique, son pays, le Rwanda, l’est tout aussi: Le Rwanda de Kagamé peut se vanter d’un miracle économique envié, avec un taux de croissance annuelle moyen de 8 %, un revenu annuel par habitant multiplié par 5, la chute de deux tiers de la mortalité infantile, l’élargissement de l’assurance-maladie à 91 % de la population, des avancées inégalées au niveau de son enseignement primaire et supérieur, au niveau de la parité homme-femme… Des chiffres qui lui valent le satisfécit des Institutions financières et de la Communauté internationale.
Pragmatique, efficace, l’homme a fait de son pays une véritable « start-up nation » avec un code des investissements incitatif, des attractions fiscales, une culture entrepreneuriale inculquée depuis le primaire et un système éducatif sorti des sentiers battus… Fait remarquable, son mandat à la tête de l’Union Africaine a fini par convaincre les plus sceptiques sur les capacités de ce leader à lever les obstacles, à élaguer les broutilles du vieux monde bureaucratique de cette Institution quelque peu amorphe et aphone. Pour preuve, le projet d’une Zone de Libre-échange Africaine (ZLECAF), dont Kagamé a été l’un des initiateurs, connaît son aboutissement avec l’adhésion des États les plus réticents (Nigeria, Afrique du Sud…).
Derrière ce tableau reluisant, le régime rwandais a su jouer d’un sentiment de culpabilité – culpabilité de la Communauté internationale qui, en 1994, a laissé prospérer le massacre d’environ 1 million de victimes ; culpabilité d’une certaine élite, d’une partie du peuple pour avoir perpétré un génocide – qui prévaut jusqu’à nos jours. Derrière cette embellie, la maîtrise des éléments de langage, appuyée par une pravda locale, les réseaux panafricanistes, qui ont érigé le rebelle Kagamé en un héros national faisant la fierté de tout un continent.
Versant littéraire de cette communication, le projet « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », sans être révisionniste, a contribué, à bien des égards, à l’enracinement de ce sentiment victimaire. En épargnant l’homme fort de Kigali, par une réhabilitation à rebours, une certaine intelligentsia a laissé prospérer les germes d’une dictature silencieuse. Or nous le savons, là où il y a la concession n’est pas loin la compromission.
Dans ce contexte, haro sur les assassinats d’opposants comme André Rwisereka ou Jean Munyeshyaka, rideau sur les arrestations arbitraires d’opposantes telles que Ingabire Umuhoza ou Diane Rwigara (toutes deux candidates aux présidentielles 2010 et 2017), sur le musellement de la presse et les régressions au niveau des droits de l’homme et des libertés individuelles ; voici donc le réformateur Kagamé arpentant les sommets économiques d’Abidjan à Paris, donnant des cours de leadership à Harvard. Héros d’une jeunesse africaine en manque de présidents visionnaires, le Guide du pays des mille collines conjugue les contrastes. Bon tyran, soft dictateur, dictateur éclairé, le syntagme nominal est toujours dilué au sujet de ce dirigeant, à la fois craint et adulé, comme pour commuer la peine d’un crime de lèse-majesté.
Incontestablement, Kagamé et le FPR, son parti, ont réveillé le Rwanda de sa longue léthargie, après la guerre et le génocide, par les réussites économiques et sur le plan des indicateurs de développement humain. Cependant, le nivellement par le bas de l’espace démocratique crée un cadre favorable à toutes les violations des droits humains.
S’il est vrai que la grille d’analyse de cet État doit avoir une approche particulièrement sensible, et que chaque expérience démocratique, comme celle du Rwanda, est un processus à appréhender sur le temps historique, celui de l’évolution et de la vie d’une Nation, l’on ne doit pas pour autant échafauder l’exemple rwandais d’aujourd’hui en valeur absolue. Le faisant, les observateurs passent sous l’éteignoir les répressions que le régime imposent aux voies contestataires.
Daouda Koné est Doctorant à l’université Felix Houphouet Boigny