Hier, nous évoquions la Teranga (le concept bien sénégalais d’hospitalité).
Si, au Sénégal, l’idée d’hospitalité aura été l’une des signatures du nouvel Etat indépendant, au Ghana, l’on aura plutot privilégié ce que la Constitution du pays appelle « the right of abode ».
L' »abode » n’est pas la même chose que la « teranga » (l’hospitalité). Dans sa version minimale, l’hospitalité repose sur un principe simple. A un moment donné, le visiteur ou l’étranger doit rentrer chez lui. Un visiteur ne peut pas s’installer à vie, auquel cas il n’est plus un visiteur.
L’hospitalité prend fin le jour où l’étranger retourne chez lui. Des qu’il s’installe pour de bon, il n’est plus un étranger. Il est l’un des nôtres. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les traditions africaines de l’hospitalité, et il est urgent que dans le débat en cours sur le gouvernement des mobilités à l’échelle planétaire, nous nous penchions de nouveau sur ces philosophies anciennes.
L' »abode » telle qu’imaginée par les Ghanéens est tout autre chose. Et d’abord c’est un « droit » (right) auquel peuvent pretendre une certaine classe de populations. Dans ce cas, il s’agit en particulier des Africains-Américains. C’est un peu comme « le droit de retour ». Des gens sont partis (ou ont été forcés de partir) il y a des siècles. Mais ils n’ont pas cessé d’appartenir. A leurs descendants, l’Etat octroie le droit de retour. Où ? Au pays de leurs ancetres.
Il ne s’agit pas d’un droit de visite, ni même de l’établissement éventuel d’un étranger dans un pays dans lequel il n’est pas né, comme c’est le cas dans les philosophies de l’hospitalité. Il s’agit d’un droit d’appartenance reconnu à un « parent » qui, en dépit des siècles d’exil, n’aura jamais cessé d’être un « parent ».
Comme pour la « teranga », il y aurait beaucoup à dire sur l' »abode » et le droit qui en découle et ici également, on ne peut qu’appeler à un traitement philosophique approfondi de cette expérience juridique singulière sur le continent, et c’est ce que je compte faire pour ma part lors des prochains Ateliers de la pensée. Je serai dans le même panel que Mehdi Alioua dont les travaux sur les migrations font partout autorité.
En attendant, à peu près sur le continent de nos ancêtres, nous continuons d’éprouver d’énormes difficultés à circuler librement. La décolonisation est donc loin d’etre achevée. Elle ne s’achèvera que le jour ou aucun.e Africain.e se sera tenu.e pour un.e étranger.e en Afrique. Or, justement, cela est possible. Un certain nombre d’etapes concretes sont necessaires pour y parvenir, et l’on s’y penchera.
Pour le reste, à l’échelle planétaire, l’on assiste à une aggravation des inégalites relatives à la capacité de se déplacer. Une planète à plusieurs vitesses et à plusieurs couloirs se met en place et se consolide. Le visa en constitue le dispositif discriminant.
Mais le visa et les technologies de sécurité, c’est aussi une colossale économie. Sont en jeu chaque année des centaines de milliards de dollars. Il s’agit d’une gigantesque rente sur un marché, celui des circulations, ou la vitesse est devenue une marchandise que l’on vend et que l’on achète.
Le Sénégal, puisque nous en parlions, a apparemment décidé de remettre sur le tapis le vieux serpent de mer – le retour à la réciprocité des visas pour un certain nombre de pays qui bénéficiaient jusque-la d’une exemption. « Pour des raisons de sécurite », affirme le ministre de l’Interieur.
Vous lirez ici ce qu’en pense Madiambal Diagne
Texte recueilli de la page Facebook d’Achille Mbembe