Tout a été dit sur Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Khadimou Rassoul, un saint d’exception. Mais on ne se lasse pas de le redire.
Tous s’accordent sur l’immensité de son œuvre, la singularité de sa vie, son amour inconditionnel pour le prophète Mohamed (Paix et salut sur lui), son abnégation à vouloir faire de ses disciples des Mourid Allah, aspirant à Allah.
Sa philosophie se fonde en effet sur la quête d’Allah, l’adhésion aux valeurs essentielles en islam que sont la miséricorde, l’amour, la quiétude.
L’homme de paix et de foi qu’il est vivifie les cœurs à travers sa pensée et ses écrits.
En véritable ascète qui s’est nourri de prière et de réflexion, il nous a laissé en héritage de près de 7 tonnes d’écrits, odes et panégyriques et un véritable viatique. Quel saint peut se prévaloir d’avoir bénéficié d’une telle grâce divine ?
Qui d’autre que lui a prié sur l’eau ?
De combien de saint tels Al Ghazali a-t-il versifié les écrits ?
Outre ses connaissances religieuses solides, sa formation intellectuelle ne souffre d’aucune approximation.
Avide de savoir, ouvert d’esprit, il s’est approché de la plupart des savants et saints du Sénégal et de Mauritanie, tissant d’étroites relations avec toutes les familles pieuses. Visant toujours la face d’Allah dans ses rapports avec autrui.
La finalité de sa quête étant hors de portée des Cheikhs qu’il rencontrait, il se tourna vers Allah le cœur vide de tout, vierge, et plongea dans le saint Coran avec détermination.
L’objectif qu’il s’est assigné : se consacrer à l’agrément prophétique.
Aujourd’hui, Serigne Touba fait l’unanimité. Il rayonne dans le monde entier. La maison Guerlain à Paris ne s’y est pas trompée, elle qui a rendu hommage cette année à Serigne Touba à l’occasion du 130ème anniversaire du parfum Jicky que le Cheikh a choisi pour en faire sien.
Ses écrits n’ont pas pris une seule ride. Sa pensée est résolument moderne. Elle traverse les époques et n’a jamais eu autant de résonnance qu’aujourd’hui, où le Sénégal traverse une crise économique doublée d’une profonde perte de valeurs.
Serigne Touba, c’est aussi le courage, la résilience devant de terribles épreuves, le refus et la détermination. Il aura fait face à l’autorité coloniale sans inciter ni à la guerre ni à la violence, la paix en bandoulière.
Bien sûr, Serigne Touba c’est aussi l’amour du travail, le culte de l’effort : «Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, prie Dieu comme si tu devais mourir demain»…
Khadimou Rassoul réussit, près de 100 ans après sa disparition, à séduire un auditoire qui ne cesse de s’élargir en termes d’âge, de pays d’origine, de catégorie socioprofessionnelle.
A telle enseigne qu’il est difficile de dresser aujourd’hui le portrait-robot du Mouride.
Les Mourides sont nombreux et hétérogènes : Mbacké-Mbacké descendant de Serigne Touba, domou Sokhna de mère Mbacké-Mbacké, mais aussi et surtout citoyens n’ayant aucun lien familial avec le Cheikh, qui ont épousé spontanément la philosophie mouride. Combien de Khadim Dupont ?
Mais aujourd’hui, ne devons-nous pas procéder à une véritable introspection : Sommes-nous fidèles à l’attitude et à la pensée du Cheikh ? Au poète, au théologien, à l’humaniste qu’il était ?
Parmi les Mourides, difficile de distinguer la bonne graine de l’ivraie. Le Mouride Sadikh du dilettante Mouride par opportunisme : cela ouvre des portes, il est de bon ton d’être Mouride aujourd’hui au Sénégal.
Par ailleurs, la quintessence de la pensée du Cheikh, c’est le travail.
Pourtant, il y a au Sénégal des gens pour se plaindre de trop travailler.
Que l’on soit Mouride ou non, nous gagnerions tous à adhérer à cette recommandation de Cheikh Ahmadou Bamba.
Sous le prétexte du «kheur» (engagement), beaucoup de Mourides versent dans l’excès, voire l’intolérance.
On peut raisonnablement avancer que l’aura de Cheikh Ahmadou Bamba éclipse celle des autres saints. C’est une évidence. Mais est-il besoin de le crier sur tous les toits ? Là est peut-être le commencement de l’intolérance.
Etre Mouride aujourd’hui, n’est-ce pas aller à la découverte des autres confréries, se rapprocher d’elles, apprendre d’elles ?
Etre Mouride aujourd’hui, n’est-ce pas aller à la quête du savoir, s’ouvrir ?
Au Magal de Touba, devenu au fil des ans un des évènements de la Umma islamique les plus importants, Mouride Sadikh et chasseur de berndel se côtoient. Le premier effectue son pèlerinage dans la ferveur, donne l’aumône. Le second est venu festoyer : ripailles à la romaine, dépenses pharaoniques etc.
Sénégalais et non Sénégalais affluent de toutes parts pour assister à l’évènement : ils sont Mourides, ils appartiennent à une autre confrérie, sont sans confrérie ou parfois même chrétiens.
La ville de Touba n’est pas équipée sur le plan des infrastructures pour accueillir cette foule nombreuse. Ce brassage de personnes venues de tous les horizons est porteur de risques sanitaires et sécuritaires.
Pendant ce temps-là, à Dakar, c’est la paralysie, plus personne ne travaille, les gorgoorlu ont claqué tout leur salaire, toutes leurs économies
Ne serait-il pas opportun de réfléchir à une manière de limiter ces départs massifs vers Touba ? Pourquoi pas des Magal «décentralisés» ? Les pouvoirs publics auront beau travailler sur les infrastructures, l’assainissement, la santé, il appartiendra à un moment donné aux Mourides de s’organiser pour vivre leur Magal sans qu’il n’y ait de nuisances.
Sur le plan vestimentaire, la mise simple du Cheikh témoigne de son détachement des matérialités. Et si nous arborions cette allure dépouillée ?
Khadimou Rassoul se nourrit de spiritualité. A son image, le Mouride gagnerait à faire siennes ces valeurs en adoptant un mode de vie minimaliste.
Massalik al Jinaan, incontestablement un chef d’œuvre architectural. Voulu par Serigne Saliou, réalisé par les talibés. Personne n’oubliera que Serigne Mountakha Bassirou en aura profité pour réconcilier Abdoulaye Wade et Macky Sall, contribuer à faire libérer Khalifa Sall. Du travail, des résultats concrets. Une église aura même accueilli des musulmans afin qu’ils puissent y faire leur prière… Toutefois, plusieurs fausses notes ont été relevées à l’inauguration qui aurait pu être presque parfaite avec une meilleure organisation de la communauté.
Massalik al Jinaan doit rester le symbole du dialogue interreligieux et inter-confréries : un lieu où se rencontrent les aspirants à Allah pour communier.
En outre, cette formidable énergie dont seul le Mouride est capable, pourquoi ne pas la mettre également au service de grandes et belles causes : lutter contre les grandes pandémies, mobiliser des fonds au service de l’enfance, du handicap, de l’illettrisme etc. Etre Mouride aujourd’hui, c’est peut-être aussi cela.
Nous devons relire Serigne Touba dans le texte pour décrypter sa pensée, son ambition, ses attentes à l’égard des musulmans tout d’abord et de l’humanité tout entière.
Tel le Mahatma Gandhi sous d’autres cieux, il est un sauveur de l’humanité.
Il a ceci d’exceptionnel que son œuvre, il l’a réalisée sans tambours ni trompettes.
Beaucoup de Mourides omettent que le Cheikh ne leur appartient pas ; il appartient au monde entier. Il est «patrimoine mondial» de l’humanité tout entière. Il ne sert à rien de vouloir le «privatiser».
Allons confrères mourides, radoucissons-nous, de l’ouverture et un peu plus de sens de la mesure ! Et surtout, plus d’ascétisme !
Soyons des Mourides au sens premier du terme : des aspirants à Allah.
Serigne Touba est la preuve que l’on peut être Mouride et sobre.
Ouvrons nos poitrines et partageons Bamba !
Yacine BA SALL
Directrice Générale de
L’Institut Bda
(Talibée Serigne Cheikh Khady Mbacké (Darou Mouhty))