Nous sommes en Afrique et la voix de ceux qu’on appelle chefs d’Etat n’est pas toujours synonyme de respect de la parole donnée. On peut citer à foison des exemples de chefs d’Etat qui se dédisent!
Le Sénégal aconnu un épisode douloureux avec le forcing de Wade pour un troisième mandat. Résonne encore dans nos oreilles son fameux: « Ma waxone ,waxéett ! » Cette abjuration publique sans aucune gêne, renseigne quelque part sur le manque de respect de nos chefs d’Etat pour leur peuple. Et par ricochet pour eux-mêmes!
C’est pourquoi le débat en cours pour untroisième mandat dans ce pays doit amener démocrates et citoyens à redoubler de vigilance. Sory Kaba vient de payer une note salée à sa sortie du dimanche sur l’impossibilité d’un troisièmemandat. UnSigne assez révélateur qui ne doit pas tromper! Il ne doit pas tromper pour la bonne et simple raison que le monde de la politique en Afrique est un monde trouble qui jure avec toute rationalité. Les palais africains grouillent de la présence de charlatans, de féticheurs, de marabouts, de diseurs de bonneaventure. Ici, la politique n’emprunte pastoujours les chemins de la rationalité et d’un idéal. Idéal dans la gestion correcte et saine des deniers publics! Idéal dans le respect des droits de l’homme! Idéal dans le respect et le règne de la justice sociale!
Ici c’est malheureux à dire, mais c’est comme ça: tout se résume pour ceux qui dirigent à la politique du ventre et du bas ventre pour reprendre la fameuse formule d’un célèbre analyste politique. Pas autre chose avec un seul leitmotiv: se servir et servir les siens!
Quand une logique animalière du genresous-tend les faits et gestes, il faut s’attendre à toutes les impostures. S’attendre à tout parce que ceux ou celles qui constituent l’entourage de nos chefs d’Etat et qui devraient leur faire entendre raison, ontfini par s’aplatir et deviennent à force de courbettes et de contorsions, une caisse de résonance pour le chef. Et dans le parti, rares sont ceux qui osent élever la voix pour dire son fait au chef. Dans les partis politiques en Afrique, les fieffés opportunistes sont largement majoritaires. Le phénomène de la transhumance en est la parfaite illustration.
Cela dit, j’entends de ci de là, qu’il faut arrêter le débat sur le troisième mandat. Ceux qui le disent méconnaissent la psychologie des chefs d’Etats africains. Ces derniers, à de rares exceptions près,- n’est pas MANDELA qui veut!- fonctionnent sur le même tempo mental. La preuve par ce qui se passe un peu partout en Afrique!
Baignant le plus souvent dans un environnement où ils ne reçoivent que les échos de leurs propres fantasmes, avec des béni oui qui leur servent à longueur de journées des discours du genre : « Vous êtes le plus beau, vous êtes le meilleur, vous êtes un démiurge, les populations sont totalement acquises à votre politique », ils se croient tout permis. Dans cette bulle où ils se meuvent, ils finissent par perdre le sens des réalités. N’a-t-on pas entendu un ancien chef d’Etat dire à la face du monde qu’il ne savait que certains produits de consommation courante étaient vendus en détail. Le sommet de l’irresponsabilité pour un chef d’Etat !
S’il avait un bon entourage, jamais, iln’aurait commis une telle bourde. Mais l’entourage des chefs d’Etats africains!? On y trouve quelques esprits brillants mais enserrés dans un système qui surfe sur la médiocrité la plus crasse. Ils finissent par perdre le réflexe d’un intellectuel qui conteste et qui se pose des questions. Ils finissent par faire comme tout le monde : manger et se taire !
Les autres, la grande masse, est constituée d’hommes de paille, aussi assoiffés de pouvoir et de sinécures que leur chef. Dans ces conditions-là, ne soyez pas surpris par les revirements à 19O°.
A ce niveau de ma réflexion, je ne peux m’empêcher de convoquer cette réflexion signée Béchir Ben Yahmed qui en connaît un bout sur les intellectuels africains: « Des dirigeants se dédisent, se contredisent, passant d’une voie à une autre. Les intellectuels sourient (peut-être), mais ne disent rien. Ici, on viole la constitution et les droits de la personne humaine; là-bas, il y a une guerre civile et des massacres; ailleurs, il y a une agression. Nulle part les intellectuels ne bougent. Poser des questions et s’en poser, remuer des idées et les défendre, contester, protester, dire « non » quandle « oui »n’est plus possible, démissionner lorsqu’il n’y aplus rien d’autre à faire…Tout cela qui est le lot-est la mission- des intellectuels depuis qu’il en existe, est devenu aussi étranger aux intellectuels africains que le soleil aux profondeurs de la mer. Phénomène grave s’il en fut, et, qui permet à n’importe quel dirigeant de faire n’importe quoi et d’envisager n’importe quel retournement. » in BECHIR BEN YAHMED, Ce que je crois, Les années d’espoir( 1960-1979)
Excellente grille d’analysequi colle d’une manière sidérante à l’actualité de nos pays installés pour longtemps encore dans le bourbier de la médiocrité par la faute de dirigeants qui n’ont rien compris aux exigences de l’histoire, sinon satisfaire les lubies délirantes de leurs familles et de leurs proches.
Fort de toutes ces vérités énoncées plus haut, je dois dire qu’une lecture lucide sans état d’âme, ni émotion de la mentalité des chefs d’Etat africains, doit inciter les uns et les autres à la prudence relativement aux questions liées à un troisième mandat. Oui à la prudence et à la vigilance exacerbéesurtout que sur le chemin de leur desiderata parfois folles, il n’y a aucune digue institutionnelle, juridique ou administrative qui puisse annihiler certaines de leurs folles prétentions. Ils trouveront toujours des juristes en retard sur l’histoire et surles enjeux du monde pour exploiter des failles supposées de la constitution, afin de leur permettre de faire aboutir leur projet machiavélique à contresens de l’histoire.
Pour revenir à l’affaire SoryKaba ,jes ne trouve pas dans ces propos un mot qui puisse permettre de fouetter , ne serait-ce qu’un chat, surtout que ce qu’il a dit, n’est pas un secret de polichinelle. Le président a dit et répété qu’il ne fera pas un troisième mandat. Cette sortie de l’ex-directeur des sénégalais de l’extérieur, jugée malheureuse par les « amis »de Macky Sall lui a valu de subir une volée de bois vert.
Que certains militants s’agitent pour montrer leur « fidélité » et leur « amour » au Président Macky, on peut comprendre. Mais ce qui est difficilement compréhensible, c’est qu’un homme comme Ya…Xam Mbaye, actuel directeur du quotidien national, le Soleil, se permette de se mêler …à la foule pour tacler sévèrement Sory Kaba.Cette posture de Ya…Xam me pose problème surtout que dans une autre vie, Ya…Xam Mbaye prenait des positions qui ne pouvaient que susciter respect et admiration. Un spécimen des propos d’hier gravés sur du papier et que j’ai gardé soigneusement dans ma bibliothèque : « Oui !J’ai des craintesen pensant à l’inquiétude qu’installent les actes que je pose dans les cœurs de ceux qui me sont proches. Mais il y a une autre crainte, celle-làinfamante, contre laquelle je me bats : figurer demain, dans le troupeau de ceux qui se sont tus alors qu’ils devaient dire « non !» On a envie d’applaudir des deux mains et même des pieds. Mais ce discours-là qui suinte la justesse et la pertinence, c’était dans une autre vie. Les temps ont changé et notre Ya…Xam national a lui aussi changé. Mais pour dire vrai, on attendait autre chose de lui que « fusiller » Sory Kaba qui n’a fait que dire les choses telles qu’il le pense.
L’heure est grave, Ya…Xam : laissons aux sénégalais de tous bords qui le souhaitent le soin de se prononcer sur les questions de l’heure surtout celles qui engagent l’avenir de la nation dans un futur proche. Je ne vous apprends rien, Ya…Xam, nous sommes en Afrique, en face de dirigeants qui nous ont habitués aux retournements les plus spectaculaires et sans aucune gêne. Par conséquent, le devoir de vigilance s’impose à tous ! Et en premier aux intellectuels qui doiventen permanence douter de tout.
Qu’on ne me sorte pas des discours éculés du genre : « discipline de parti, loyauté envers le chef suprême et tutti quanti ». La seuleloyauté qui vaille quand le destin d’unpeuple se joue, c’est la loyauté à ce peuple qui vous a tout donné. Et clamer avec force les aspirations et les attentes de tout un peuple, ne doit nullement susciter dans un Etat normal tout ce branle-bas de combat. Et tout cela rend suspect ! N’y a-t-il pas un agenda caché ?
Ma conviction intime- et cela n’engage que moi-est que derrière tout ce raffut, ilya quelque chose qui se trame. Et je suis de ceux qui croient ferme, mais Dieu fasse que je me trompe, qu’il y a un parfum de troisième mandat en l’air. Et je répète, la répétition est pédagogique : Dieu fasse que je me trompe dans mesprédictions pour le bonheur et la quiétude de ce peuple que nous aimons tant.
Au demeurant, nous devons dans ce pays, cultiver les valeurs de latolérance qui ont permis à d’autres nationsde s’élever haut dans le firmament des nations qui comptent. Il ne faut pas que, par cette guérilla permanente conduite le plus souvent par des ignares, qu’on en arrive à castrer la pensée fécondante et porteuse de lumièrepour toute une nation.
Il est temps de conclure ! Je vais le faire en appelant à la rescousse un brillant espritconnu pour son engagement patriotique sans faille au service de son pays et du continent africain. Mongo Béti nous rappelle quelques sagesses qui défient le temps et sur lesquelles nous devrions méditer, de par la charge de lucidité et de profondeur qu’elles charrient. Trêve de commentaires et place maintenant à la parole-lumière scintillante de Mongo Béti : « Qu’est ce qui est préférable : être un homme de cœur ou réussir dans la vie sans tenir compte de la souffrance infligée aux autres hommes ? Faut-il demeurer fidèle à ses amis, écouter les rêves de justice de son enfance, obéir à sa conscience ou devenir un homme riche mais environné de la malédiction de tous. » Anous de choisir : l’histoire esten marche ! Et en marche forcée, d’où l’optimisme qui m’envahit. Cet optimisme que beaucoup d’esprits ont du mal à intégrer, tellement la vie au Sénégal se conjugue avec une désillusion permanente. Pour autant, on doit garder espoir du fait qu’il y a encore dans ce pays des hommes et femmes de valeurs et de principes .Et même dans les partis politiques, tous ne sont pas pourris ! C’est pourquoi je reste persuadé que le moment venu des hommes et femmes de dignité et d’honneur, au sein de l’APR, selèveront pour dire « non et non » à un troisième mandat.
Fait à Dakar, le 24 Octobre2019
Par Madi Wakés TOURE, Conseiller en Travail Social
tmadi70@yahoo.fr
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