La magie de la Banque mondiale opère toujours sur nos élites. Elles ont leur propre agenda fleuri de rêves et d’ambitions. L’édition annuelle du classement « Doing Business » est attendue comme une délivrance, suivie de moments jubilatoires à l’étonnement du grand public qui n’en saisit guère la portée. Pour faire simple, il s’agit d’une entité de l’Institution chargée de classer quelque 190 pays suivant des critères centrés sur les facilités à faire les affaires.
D’inspiration libérale, elle préconise des réformes censées redonner du souffle à l’économie en la débarrassant de la complexité administrative pour encourager la souplesse et favoriser la performance. Plus ça change, plus c’est la même chose, car avant cette trouvaille, il y en avait une autre d’appellation plus rébarbative, parce que rude et crispante : l’ajustement structurel. A plus de trente années d’intervalle, les deux concepts renvoient aux mêmes recettes économiques dictées par des considérations d’économie d’échelle, de rationalisation de la dépense publique, d’efficacité aléatoire et de résultats improbables.
Par un savant glissement sémantique, les conditionnalités des années 80 ont cédé la place aux réformes qui passent mieux dans l’opinion. Celle-ci est mieux édifiée cependant grâce au débat démocratique et à la diversité des avis. Si bien que la Banque mondiale, tenant compte de ces évolutions, qu’elle ne contrôle plus du reste, opte désormais pour un assouplissement de ses méthodes, moins heurtées, plus apaisées. Elle n’impose plus. Elle négocie.
Si ses équipes changent au gré des générations, la pratique de la Banque fléchit très peu alors que son pouvoir d’influence s’érode à vue d’œil. L’Institution de Breton Woods s’écarte de ses principes fondateurs en épousant l’air du temps sans en avoir l’air. Voilà qu’elle agite maintenant le drapeau blanc de « Doing Business », expression plus séduisante en anglais que traduite en français dont la finalité consiste à snober les classes moyennes supérieures tournées vers le futur et très branchées « high-tech.
Il y a un an la Banque était secouée par la démission avec fracas de son économiste en chef l’Américain Paul Romer, Prix Nobel d’économie, très critique à l’égard de Doing Business justement. Selon lui, les concepteurs de ce mécanisme sélectif font tourner des modèles mathématiques « sans rapport avec le réel ». Il prône la croissance endogène, s’appuyant sur la connaissance et l’information comme une ressource qui crée de la valeur, donc de la croissance.
Selon Romer, la connaissance « bien plus qu’abondante, est infinie. » Il s’appuie sur ses riches travaux consacrés à l’urbanisation et à la croissance des villes pour préconiser l’utilisation de la croissance rapide des villes afin de créer des opportunités de croissance économique en envisageant à la clé des réformes sociales d’envergure. Le Prix Nobel d’économie 2018 appréhende le Doing Business comme un leurre et l’économiste Moustapha Kassé qualifie le projet de « séduisant mais trompeur. »
Jeudi dernier, le Directeur Général de l’Agence de Promotion des Investissements du Sénégal (APIX), Mountaga Sy ne se retenait pas face à la presse conviée à célébrer la performance du pays, qui passe de la 141ème place à celle plus « honorable » de 123ème, soit dix-huit places conquises en un an. Pour mieux mettre en exergue cette prouesse sénégalaise, le DG ce l’APIX passe sous silence les résultats obtenus par le Togo qui, dans le même classement, gagne 40 places et se retrouve à la 97ème position.
Mieux, l’Ile Maurice occupe le 13ème rang et le Rwanda, 38ème. Alors pourquoi cette jubilation si notre économie est encore immergée ? Rien ne justifie l’enthousiasme entretenu si le Sénégal se hisse encore au peloton de… queue ! En clair, la 123ème place n’est guère très enviable. Autrement dit, le Doing Business pointe des performances en indexant des pays dont les environnements attirent les investisseurs potentiels. Entre le Sénégal 123ème et le Rwanda 38ème y a-t-il photo ? Sans doute, non.
Le développement n’est rien d’autre qu’un cumul de progrès. Sur ce plan, Kigali aligne des avancées très significatives : santé pour tous, décentralisation administrative, équilibre territorial, désengorgement des villes, équipement conséquent des zones rurales en infrastructures de base, succès écologiques, préservation de la nature, engagement citoyen et leadership assumé.
Que ce soit au Rwanda, au Kenya ou en Ile Maurice, des filiales des Groupes industriels ou de services s’implantent. En plus des incitations fiscales, elles bénéficient de lieux taillés pour les grands évènements, à l’image de KCC qui abrite des locaux fonctionnels susceptibles d’accueillir quelque 5 000 congressistes sur ses 10 mille mètres carrés de compound. Entendons-nous bien : le Doing Business instaure une course contre la montre. Tous les pays s‘époumonent pour bien se classer et être dans le viseur des investisseurs potentiels. Au fait qu’est-ce qui déclenche la décision d’investissement ? Regarde-t-on le haut ou le bas du tableau pour pointer sur une carte les pays performants ?
En vérité, les gains de productivités que ciblent les détenteurs de capitaux incorporent l’hospitalité, une offre de loisirs, la sécurité, la qualité des infrastructures, l’absentéisme, la multiplicité des fêtes, un secteur hôtelier de haut niveau, une richesse artistique incomparable adossée à l’avant-garde touristique et gastronomique de premier plan. Approche centrée sur les usages, donc les pratiques et surtout leurs attentes
L’APIX se vante de la création de PME, mais a-t-on idée du taux de mortalité pour mieux se représenter l’efficacité des politiques dédiées ? Le gouvernement du Sénégal voudrait-il simplifier la vie des entrepreneurs qu’il s’en prendrait autrement ! Il doit tout au moins mettre du baume sur le cœur endolori des entrepreneurs. Ceux-ci se retrouvent-ils dans les différents chantiers ouverts au Sénégal ? Le TER, par exemple, a-t-il impacté l’économie sénégalaise ?
Au-delà du débat sur le coût, jugé faramineux par certains analystes, se pose avec acuité les études et la maîtrise d’œuvre confiée à une société française, Systra en l’occurrence. Avant même l’exploitation, le TER a montré des signes de faiblesse par de fréquents déraillements et une détérioration des équipements à un rythme inquiétant au point d’épuiser avant terme les stocks de sécurité, cas des traverses mis à l’indexe par des spécialistes du secteur ferroviaire. Une fois achevé et fonctionnel, le TER devrait transformer l’axe Dakar-Diamniadio en un hub stratégique au fil du temps tout en continuant de capitaliser sur cet atout de singularisation.
La plateforme Web d’informations et de services, mise à disposition est saluée pour les innovations qu’elle contient. Elle ambitionne également de mettre en œuvre les projets d’investissement grâce à des fiches pédagogiques pour prendre les bonnes décisions. Dans certaines villes africaines notamment, la pollution est domptée par le big data dans le but d’accroître le pouvoir d’attraction avec de nombreux atouts de démarcation.
Les récits d’invraisemblances jalonnent le parcours de l’APIX qui fait de la communication le levier de sa séduction. Le Sénégal goûte peu les signes ostentatoires de démonstration, d’effets de manche et d’arrogance.