En introduisant son Traité politique, Spinoza écrivait : « L’État sera donc très peu stable, lorsque son salut dépendra de l’honnêteté d’un individu et que les affaires ne pourront y être bien conduites qu’à condition d’être dans des mains honnêtes. Pour qu’il puisse durer, il faut que les affaires publiques y soient ordonnées de telle sorte que ceux qui les manient, soit que la raison, soit que la passion les fasse agir, ne puissent être tentés d’être de mauvaise foi et de mal faire. Car peu importe, quant à la sécurité de l’État, que ce soit par tel ou tel motif que les gouvernants administrent bien les affaires, pourvu que les affaires soient bien administrées. La liberté ou la force de l’âme est la vertu des particuliers ; mais la vertu de l’État, c’est la sécurité. »
Au moment où le débat sur l’éventualité d’une 3ème candidature et la possibilité d’un 3ème mandat (de trop) s’invite dans le débat politique et l’organise, il convenait de partir de cette philosophie de la bonne foi. Car, il semble que l’honnêteté et la sincérité soient les derniers remparts contre les risques d’instabilité nés de l’incapacité à tenir sa parole et la mauvaise foi. Si la vertu de l’Etat, c’est la sécurité, la clé de la paix et de la stabilité sociale, c’est la sincérité du parler-vrai et la clarté de l’agir-vrai. Tout ceci présuppose de bien-dire et donc de se conformer à une éthique de la clarté.
Les gens honnêtes et de bonne foi n’ont pas besoin de prêter serment pour tenir leur parole. Jurer devant le peuple n’est qu’une pratique républicaine plus symbolique qu’autre chose ; une pratique qui est plus de l’ordre de l’éthique que du juridique.
Les gens honnêtes et de bonne foi n’ont pas besoin de s’en référer à une interprétation de l’esprit ou de la lettre de la constitution pour être à la hauteur de la dignité qui caractérise leur fonction. Tout ce qui est dans la constitution n’est pas du droit constitutionnel. Derrière la lettre restreinte, il y a l’esprit immense du texte qui ne doit aucunement servir de prétexte pour interpréter abusivement en sa faveur des évidences contraignantes.
Les gens honnêtes et de bonne foi n’ont pas besoin de subir la pression populaire pour reculer devant la tentation de franchir le cap du raisonnable. La démocratie limitative invalide le « jamais deux sans trois » pour lui substituer le « jamais trois après deux ».
Les gens honnêtes et de bonne foi sont aussi et souvent des gens de bonne volonté qui n’attendent pas que le pire écrase tout sur son passage pour réagir. Ils agissent en amont pendant que les clignotants sont encore au vert, pour freiner les chauffards de la démocratie qui cherchent à passer au feu rouge limitatif des deux mandats.
Les gens honnêtes et de bonne foi n’ont pas besoin de marcher sur des cadavres pour se maintenir au palais, surtout après avoir quémandé auprès du peuple votant, à deux reprises et avec succès un mandat pour les servir, sans pour autant le mériter forcément à l’échelle des compétences et des vertus.
Les gens honnêtes et de bonne foi n’ont pas besoin de faire parler les armes de la grande muette pour faire entendre leur volonté de se maintenir au pouvoir. En Afrique malheureusement, on observe, de plus en plus, que derrière chaque défaite électorale, il y a un mandat de trop qui interpelle sur la vraie valeur des élites au pouvoir ; sur leur honnêteté et leur patriotisme.
La parole donnée a une valeur contractuelle ; de même que le mandat confié avec soin qu’il faut rendre, sans aucune tâche, à la souveraineté du peuple, et non le pendre à sa volonté personnelle obsessionnelle de se maintenir au pouvoir, en invoquant des dispositions fallacieuses pour réunir les conditions d’une inflammation bactérienne du nombre de mandats.
Sans foi ni dignité, le risque est d’attraper cette maladie tropicale apparemment contagieuse qu’est la « révisionnite » constitutionnelle virale, à laquelle les peuples sont de plus en plus allergiques en Afrique notamment.
Le leadership c’est l’exemplarité. Si l’on considère que limiter les mandats à deux est une bonne chose, pourquoi ne pas commencer par se l’appliquer en donnant l’exemple. Il ne faudrait pas trahir ce principe d’égalité ou plutôt d’équité en rajoutant du flou à la mauvaise foi ; pour qu’on n’ait pas à faire exceptionnellement trois mandats. Cette exception ne confirmera pas la règle. Cette tentative de prendre un tel raccourci arithmétique pour prolonger sa durée au pouvoir ne fera que fragiliser la règle.
Pour donner une chance à la règle des deux mandats au maximum, il faut renoncer à toute arithmétique machiavélique et cynique qui ne participera qu’à dépouiller l’esprit constitutionnel de son idéal démocratique. Car, le risque est de voir demain un nouveau président arriver et organiser un référendum, déverrouiller la constitution et proposer un nouveau mandat unique de 10 ans par exemple. Le premier de 5 ans qui l’a mis au pouvoir ne comptant pas, il aura ainsi la possibilité de rester 15 ans au pouvoir (soit 3 quinquennats), s’il ne prend pas dans le décompte son premier mandat de 5 ans. Si l’actuel président s’applique l’esprit et ne complique pas l’idéal, la question du mandat aura une chance historique d’être définitivement réglée. Les belles idées que l’on défend et promeut doivent en principe être fidèles aux actes. Envisager un 3ème mandat, sous quelque principe que ce soit, serait apporter une très mauvaise nouvelle au peuple qui ne comprendrait point l’essence de ce type de principes qui n’intéressent que les juristes.
Il faut préciser toutefois qu’une candidature ne donne pas forcément droit à un mandat. Troisième candidature ne veut pas dire troisième mandat. Il ne faut donc pas poser le débat uniquement en termes de mandat, mais plutôt de candidature qui pourrait se révéler infructueuse du fait du vote sanction qu’encourent ceux qui cherchent à ruser avec le peuple.
Mais l’enjeu aujourd’hui, c’est d’écarter cette éventualité. Car le mandat est un sujet tabou, un objet sacré et un jeu dangereux, surtout pour le régime en place qui en interdit le débat interne ; pour se protéger de quelle (s) vulnérabilité (s), sommes-nous tentés de nous interroger ? Les pensées et les volontés sont, pour l’instant, assujetties à des plans inavoués et inavouables, d’où une censure qui ressemble à une profession de foi, comme si nous étions dans une campagne électorale silencieuse. Répéter ce que le président avait dit haut et fort semble même relever du crime de lèse-majesté.
Ils savent mieux que quiconque, ces férules de propagande et pseudo-spécialistes de la communication, qu’en sortant du silence à propos du mandat, ils rajouteraient des mots et des maux à la mauvaise foi.
Le silence est un crime contre la clarté. L’évitement de la clarté s’explique par ses issues politiques décisives. Mais, il n’est peut-être pas nécessaire de briser le silence, parce que ce qu’on est parle plus fort que ce qu’on dit. Vous nous avez habitués à des dires dédites à peine les aviez-vous dites. Vous êtes « silencieusement bavard » comme l’indiquent vos actes.
Il n’est pas nouveau que la question du mandat s’invite dans le débat politique et l’organise. On pensait en avoir définitivement fini avec le référendum de 2016, taillé sur mesure, et le verrouillage supposé. Les hommes politiques semblent aimer ce jeu dangereux quitte à y laisser des plumes face à la maturité recouvrée du peuple imprévisible qui crie quand il faut se taire et qui se tait quand il faut crier.
L’homme politique n’est jamais assuré d’un règne sans fin, quels que soient la crainte qu’il inspire, la ruse dont il fait preuve, les moyens légaux ou illégaux, légitimes ou illégitimes, conventionnels ou non qu’il pourrait détenir pour se tirer d’affaire des plaintes citoyennes. Les peuples finissent toujours par retirer les faveurs qu’ils ont généreusement octroyées.
Chaque échéance qu’on pensait dépassée nous replonge dans des assauts qu’on pensait révolus. Et l’on voit des hommes plus obnubilés par leur souci de continuer à profiter du pouvoir que de la liberté à s’exprimer sur une question banale devenue très sensible du fait du flou qui l’entoure. Les fâcheux précédents contraignent aujourd’hui nombre de citoyens à regarder l’horizon avec suspicion. La possibilité de croire s’est dissipée. De même que celle d’exercer sa citoyenneté électorale, d’où l’abstentionnisme.
Le déni de la légitimité du débat sur le mandat ressemble à un défi lancé à tous ceux qui seraient tentés de lever le voile sur leur prétentions et ambitions présidentielles, trahissant là comme un besoin de faire peur pour se faire respecter ; pour tenir en respect des troupes jamais totalement conquises et soumises qui avalent des couleuvres pour se donner des chances de survivre politiquement.
Tout ceci s’explique par la hantise de la fin de règne ; du pouvoir qui s’effrite ; de la peur au ventre de celui qui n’est pas rassuré par les lendemains judiciaires qui pourraient l’attendre du fait de l’esprit revanchard de ceux qui ne lui pardonneront jamais d’avoir activé le levier des procès politiques et des lois injustes pour nuire leurs chances d’accéder au pouvoir.
L’actuel président est soupçonné de travailler secrètement à sa candidature. Telle est la vérité de l’instant jusqu’à preuve du contraire clairement énoncé. Telle est la force de l’évidence. Seule une simple et petite déclaration de haute précision de trente secondes pourrait mettre fin à cette polémique et clore l’acharnement médiatique légitime et salutaire sur le mandat. Le peuple mérite ces 30 secondes… pour une adéquation du discours à la réalité. Dire clairement les choses participe de sa crédibilité. S’engager par rapport à son propre discours est un exercice républicain normal. Le devoir d’apporter des gages par rapport à son propre discours est une exigence citoyenne et républicaine. Ce devoir de clarté est un exercice beaucoup moins coûteux que le devoir de résistance du peuple. Ce peuple qui est encore aujourd’hui dans la crainte d’être trompé de nouveau avec la marque de discrétion qui entoure l’élan de sincérité. Car la parole de l’autorité est discréditée, au point qu’elle doit être répétée pour espérer revêtir un soupçon de sincérité. La répétition est pédagogique dit-on ! Elle est aussi cynique quand elle concerne plus de deux mandats.
Au droit de savoir du peuple doit correspondre un devoir d’informer, car ne pas clarifier ce débat participe à nourrir la présomption de mauvaise foi qui ne permet pas d’avoir une idée claire sur l’agenda politique et le casting électoral. Communiquer clairement sur la question du mandat n’est que le seul antidote pour écarter toute ambiguïté ou logique politique du flou. Les ambiguïtés du silence sont source de tensions et de conflictualité.
Le moment n’est pas de fournir des preuves sur la recevabilité ou non d’une candidature. Nous sommes à l’heure de répondre par oui ou par non sur une éventualité à prendre en haute considération, pour conjurer dès à présent le pire. Le débat ne doit pas se situer sur le terrain de la polémique constitutionnelle, mais sur celui de la clarté politique et donc des effets positifs pacificateurs de la sincérité, de la fidélité à soi et ses propos. La crédibilité se construit dans la sincérité. Après la mauvaise communication sur la question du mandat, il est temps de passer à la bonne information sur la candidature éventuelle, synonyme de « suicide politique ».
Dire clairement la possibilité de sa candidature ne relève pas de la raison ou de la sûreté de l’Etat au point de l’inscrire dans la politique du mutisme. Ce n’est pas une question de disponibilité ou d’opportunité à dire la vérité, mais de la nécessité de la clarté qui permet d’écarter toute présomption ou suspicion. La parole du président a une valeur pacificatrice qui peut contribuer à éviter toutes possibilités de désarticulation du corps social : « message is massage », dit Marschall Mac Luhan. Le silence n’est pas la meilleure des parades et des pommades en politique. S’enfuir dans le silence pour ne pas être pris dans les filets de ses propres mots ne détournera pas les Sénégalais de cette question qui pourrait devenir demain un vrai problème.
La page de la polémique ne sera pas tournée tant que durera la politique du flou. Des bâillons peuvent être posés sur la bouche des partisans qui n’en ont certes pas besoin, eux habitués à l’autocensure et à la parole sur mesure, mais la parole des vrais patriotes, soucieux de la stabilité du pays, ne sera pas momifiée. La sortie de secours que vous cherchez à emprunter par le silence est une impasse voire une prison. Cette tyrannie du silence a trahi vos pensées. Pensées coupables. Pensées condamnables. Pensées mesquines. Mais comment résister à l’envie de partager avec vous cette pensée soufie qui dit que : « la parole non prononcée est un lion en cage. Mais dès qu’on la libère, elle nous dévore. » Réfléchis-y pendant qu’il est encore temps !
Ibrahima Silla est enseignant-chercheur en science politique à l’UGB Saint-Louis