La Crei est la mère adoptive de la Convention des Nations unies sur la prévention et la répression de la corruption de juillet 2003 à Monterrey/Mexique et le Sénégal devrait réclamer des droits d’auteur à l’Onu.
En tant que défenseur de la première heure de la Crei, je voudrais d’emblée porter mon désaccord contre tous ces détracteurs de la Crei et relever cette bourde langagière pour dire que la Crei n’est pas «une forfaiture juridique», elle tire sa légitimité juridique du droit interne sénégalais et au plan international, de la Convention des Nations unies de 2003 sur la lutte contre la corruption.
En vérité, beaucoup de personnes qui s’épanchent sur la nature de notre justice et particulièrement sur la Crei font un mauvais procès à l’une et à l’autre, qui n’est souvent pas fondé sur la réalité du système juridique interne garant de notre souveraineté, mais plus grave, qui l’est sur une lecture partielle et parcellaire, non exhaustive et non croisée de toute la littérature sur les multiples conventions que l’Organisation internationale des Nations unies a édictées et qui, parfois si elles ne se contredisent pas, se neutralisent, surtout dans un champ aussi vaste que celui des droits humains. Dans ce cadre, il est à regretter que les droits humains et leur éventuelle violation soient analysés strictement sous le prisme réducteur des dispositions du seul pacte sur les droits civils et politiques de 1976 qui protègent plus l’individu que la collectivité.
A mon avis, le Comité international sur les droits humains (18 experts) gagnerait à étendre son champ et à être étoffé par des experts d’autres domaines de droits humains (droits humains au travail, droit à l’environnement, à l’éducation etc.).
Faut-il le rappeler, la Crei est à l’instar de toutes les Cours spéciales ou d’exception qui existent dans tous les pays du monde comme ici au Sénégal avec les Cours spéciales à caractère politique (Haute cour de justice, Cour de sûreté de l’Etat) ou les autres Cours à caractère simple comme la Cour de discipline budgétaire, une Cour spéciale, émanant de la loi 81/51 de juillet 1981 qui est dans sa substance une loi modifiant certains articles de notre Code pénal (art. 30 , 161, 162, 363) et insérant d’autres dispositions (163-bis) pour endiguer le phénomène nouveau des temps modernes de corruption et d’enrichissement illicite. La Crei a donc été mise en place sur la base de ces nouvelles dispositions insérées dans notre Code pénal depuis. Au plan de notre droit interne, la Crei et le traitement qu’elle fait de l’enrichissement illicite sont bien conformes à notre système juridique. Par conséquence, la Crei ne viole nullement le droit fondamental interne et c’est cela qu’a révélé l’arbitrage courageux et éclairé de la Cour suprême suite au recours de la défense de ceux qui ont été attraits devant la Crei.
Ce statut de Cour spéciale permet de balayer d’un revers de main toutes ces arguties sur l’absence du double degré de juridiction sur lequel s’accrochent ces associations de droits de l’Homme et sur le renversement de la charge de la preuve.
Concernant l’argument sur la prétendue «Norme standard», «universelle» ou l’impossibilité de faire recours à une juridiction supérieure, l’on oublie qu’une Cour spéciale ou d’exception statue sur une question délimitée par une loi, sur laquelle elle juge en premier et dernier ressort. Nous sommes dans un cas de figure, d’exception et d’urgence qui ne concerne plus un fait classique avec une procédure classique et que la seule possibilité de contester repose sur la conformité au droit interne, ce qui est du ressort de la Cour suprême et la Crei l’a acté. Donc, offrir la possibilité d’appel reviendrait non seulement à dépouiller ces Cours de leur caractère spécial, mais serait un non-sens dans la mesure où si l’on fait attention à la composition de ces Cours, on retrouve les éléments clés de la Cour d’appel (président ou procureur) ou de la Cour suprême (Haute cour de justice). C’est des Cours de plein pouvoir, au faîte de leur hiérarchie (justice militaire, Cour de discipline budgétaire), sur leur matière, avec des procédures voulues spéciales, mais conformes au système juridique interne. C’est des questions de souveraineté qu’il n’appartient pas à un fonctionnaire de chercher à dénouer.
Concernant le renversement de la charge de la preuve, c’est une vue de l’esprit, car en réalité il y a une phase de pré-enquête et de constatation du supposé délit où il est obligatoire d’entendre le présumé sur les prétendus acquis, avoirs qui ne seraient pas en adéquation avec les revenus. Mais parallèlement, la Cour envoie une commission d’enquête et d’investigation ou des commissions rogatoires qui rassemblent des preuves et c’est au terme de ces deux phases que l’inculpation est faite et le procès est enclenché, avec les garanties de la défense. Même si c’était le cas, il faut avouer qu’en matière d’enrichissement illicite, de corruption, personne mieux que le délinquant ne saurait justifier l’origine du produit de son crime et ce ne serait pas un crime de lèse-majesté que de lui demander l’origine licite de son patrimoine. D’ailleurs, la convention 2003 n’y va autrement que dans le même sens que la Crei en exigeant d’entendre l’incriminé sur l’origine de sa fortune. Cela participe d’ailleurs du jugement équitable et juste.
Faut-il le souligner et soit dit en passant, le Sénégal a toujours eu et continue d’avoir de bons juges férus en droit. Malheureusement, la cabale malsaine orchestrée contre notre justice par des politiciens «œillèrés» et mal en point, une société civile encagoulée, amplifiée par un amalgame entre les pratiques d’un Parquet en rapport avec le maintien de l’ordre public (question éminemment politique) et la justice en tant que telle (issue des conflits entre parties), mais surtout par certains praticiens du droit qui ont délibérément décidé de brûler la maison familiale. C’est vraiment dommage, car comme le dit l’adage, à force de cracher de façon ininterrompue sur une chose, on finit par la mouiller. Notre justice est injustement mouillée et c’est cela la véritable forfaiture. J’avais à l’époque tiré sur la sonnette d’alarme dans un article contre le manifeste de 50 Professeurs de l’Université que j’avais intitulé «Chers professeurs, ne dansez pas le deuil de la justice», parce que à l’époque, ne prenant pas la posture académique, scientifique requise, face à l’impossibilité de réduction d’un mandat en cours, sauf par voie référendaire ou de démission, ils avaient préféré se fondre dans l’émotion populaire en suggérant des pistes qui juraient d’avec le droit pur, manifeste utilisé depuis comme piédestal pour certains et référence hâtive et opportuniste pour d’autres.
Quant à l’ancrage de notre chère Crei dans l’arsenal des conventions et la conformité de ses procédures avec les dispositions de celles-ci, il ne fait aucun doute. Au besoin, je renvoie les détracteurs et tous ceux qui le désirent à la Convention des Nations unies de 2003, citée ci-dessus. En effet, au regard de cette convention qui tente de prendre à bras-le-corps une problématique nouvelle d’importance capitale pour tous les pays, mais complexe, celle de la corruption dans toutes ces facettes et dont l’enrichissement illicite est la principale résultante, le Sénégal, avec sa loi sur l’enrichissement illicite de 1981 et la Crei comme organe, devrait être reconnu comme précurseur dans la prévention et la lutte contre la corruption, contre le détournement de deniers publics et le blanchiment d’argent, en citant sa loi sur l’enrichissement illicite comme une des sources de la convention des Nations unies de 2003, au même titre que les textes internationaux référencés sur la question, de l’Union des Etats américains, du Conseil de l’Union européenne ou des décisions des sommets de Monterrey sur le financement du développement et Johannesburg (1992) sur le développement durable, instruments adoptés postérieurement à 1981. Ce mutisme pour ne pas dire mépris pour tout ce qui est innovation venant du Tiers-monde peut s’expliquer aussi par la mise en veilleuse précoce de la loi de 1981 et de la Crei, par manque de courage politique ou faute d’assise sociale forte pour mener à bien cette noble mission, cette initiative originale et osée.
En 1981 pourtant, au moment de la création de la Crei, ni à l’intérieur ni à l’extérieur, personne n’avait objecté avec véhémence, car le contexte de gouvernance calamiteuse de nos gouvernants était décrié par les puissances occidentales qui faisaient remarquer que certains de nos dirigeants et hauts cadres détenaient des fortunes dans des comptes de banques européennes qui égalaient les budgets de nos Etats ou dépassaient l’Aide publique au développement, et c’est en partie pour ces raisons que le corset des ajustements structurels a été mis en place avec l’aide conditionnée et le souci grandissant à travers le monde pour le contrôle et la régulation des transferts massifs d’argent et pour une norme qui prenne en charge ces délicates questions de détournement, de blanchiment et de corruption, est né dans les pays occidentaux et a débouché sur l’élaboration de la convention sur la prévention et la répression de la corruption, vecteur de l’enrichissement illicite.
C’est pourquoi la loi sur l’enrichissement illicite du Sénégal et son organe de répression, la Crei, ont non seulement un lien historique et organique avec la convention de l’Onu contre la corruption, mais répond parfaitement aux procédures juridiques de ladite convention qui, tout au long de son développement, renvoie les Etats parties à une conformité aux dispositions législatives, réglementaires et administratives internes à chaque pays et non à une quelconque norme internationale. Ainsi, la nécessité de l’indépendance de l’organe de répression, la nécessité de prendre des mesures juridiques, réglementaires, conformes au système juridique interne, pour prévenir et lutter efficacement contre la corruption et par conséquence contre l’enrichissement illicite constituent de fortes recommandations de la convention.
Je ne saurais conclure cette contribution que m’inspire la relance de critiques virulentes de certains compatriotes et certaines organisations dites de défense de droits humains, relance qu’un analyste politique ne peut pas détacher de la nouvelle donne politique où les clins d’œil politiques ne manqueront de faire légion, sans souligner que loin de rougir pour notre Crei, nous devons être fiers d’avoir imaginé avant la communauté internationale un instrument très efficace de lutte contre un fléau mondial, mais plus destructeur pour les économies africaines avec ses corollaires d’insécurité, de pauvreté, de criminalité organisée, fléau que l’humanité peine à endiguer à cause d’entraves qu’elle s’est posée elle-même à travers une certaine conceptualisation biaisée et statique de la démocratie et des droits de l’Homme.
Au demeurant, le Sénégal devrait se battre au sein de l’Assemblée générale de l’Onu et des Conférences de Etats-parties au Pacte sur les droits civils et politiques et à la Convention sur la corruption, à travers un plaidoyer diplomatique, persuasif pour vendre sa Crei à tous les Etats, y compris les pays développés qui ne croient pas souvent aux conventions et aux textes internationaux qu’ils nous imposent. Une illustration que les lois et les conventions sont faites pour les faibles a été administrée à notre pays en violation des dispositions de cette convention sur la corruption et le blanchiment d’argent, en termes de communication et de partage d’informations ou de coopération internationale pour le recouvrement des produits du crime, dans le cadre des décisions de la Crei. Cependant, ces échecs voulus, car un outil comme la Crei dérange dans un système mondial bâti sur la corruption, le blanchiment d’argent dans les paradis fiscaux, les détournements, n’enlèvent en rien le caractère salvateur et dissuasif de l’institution si tant est que la volonté politique et l’adhésion des populations qui souffrent le plus du fléau restent effectives.
En conclusion, je réaffirme mon attachement, comme dans mes précédents articles, dont l’un qui est resté sur la toile plus de 3 ans et intitulé «La Crei comme instrument efficace de bonne gouvernance, une spécialité sénégalaise», à cette Crei et pour apostropher l’honorable député en lui disant, ne touche pas à ma Crei, ne serait-ce que pour la gravité des propos qu’il avance sur l’état de déliquescence de notre société et au Monsieur du Forum du justiciable, je dis également ne touche pas à ma Crei, exclusivement pour l’intérêt de tes justiciables, car pour moi la société reste le premier justiciable et il n’y a pas de justice pour elle sans reddition des comptes.
Walmaak NDIAYE
Militant
Praticien des Droits humains, particulièrement des Droits humains au travail
wandiaye@gmail.com