Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a listé, lors de la troisième édition des Ateliers de la pensée (30 octobre-2 novembre), les cinq défis que, selon lui, le continent africain doit relever pour faire face au « basculement des mondes » en cours, un des axes mis en débat : l’urgence écologique, les défis démographique, des inégalités, du « branlement démocratique » et de l’automatisation.
Au sujet de l’urgence écologique, Diagne a plaidé pour un changement de paradigme, estimant que « rien, évidement et probablement, ne justifie davantage un langage d’apocalypse comme celui de basculement des mondes que ce défi écologique ».
Il a indiqué que les projections qui avaient été faites pour 2050 concernant l’élévation du niveau des mers et la disparition de certaines régions du monde à cause de cette élévation des mers, avaient été très fortement sous-estimées. La projection et la situation pour 2050 est encore pire que ce qui avait été prévu.
« Quand il s’agit de s’interroger sur la capacité dans les temps des défenses côtières que nous pourrions élever, ici au Sénégal nous pourrions avoir la fragilité de notre propre littoral », a-t-il précisé.
« Il nous faut changer de paradigme. Il nous faut sortir de ce paradigme associé au nom du philosophe René Descartes. C’est lui qui a fait de l’humain le maître et le possesseur de la nature. Sur ce point, le changement de paradigme, l’Afrique, notre Afrique, a un rôle important à jouer, pour plusieurs raisons : d’abord sur le plan économique, on convient aujourd’hui, d’une certaine manière, que l’heure de l’Afrique a sonné », a plaidé Diagne.
Il a admis que les défis « restent immenses – on peut énumérer tous les désastres que l’on veut et, malheureusement on n’en manque pas – mais il est également admis que les germes de changement sont là », a-t-il ajouté.
Dans ce processus, a estimé le philosophe, « il s’agit de donner une signification nouvelle, aujourd’hui, ici et maintenant, à ce qui a été appelé +des économies naturelles+, celles qui ne réduisent pas la nature à être de simples ressources naturelles livrées à des rafles, celles qui protègent la biodiversité menacée sur un continent, le nôtre, qui est un des tout premiers en la matière ».
S’agissant du défi démographique, il a dit que « déforestation » et « désertification » sont les mots qui peuvent être compris comme ayant une incidence particulière sur les migrations ». « Pour caractériser ce défi en un mot : la population la plus jeune au monde et le développement exponentiel de la population urbaine, c’est ici chez nous », a-t-il expliqué.
Dans une trentaine d’années, a-t-il souligné, un peu plus que l’horizon habituel d’une génération – qui est en général de 25 ans, sur les 9,8 milliards d’humains qui seront sur la planète, un sur trois âgé de 15 ans vivra sur ce continent africain, dont 56% de la population sera alors urbaine.
« Une telle prospective qui sera la projection de nos analyses et de nos imaginations, pendra la mesure des défis en ce qui concerne l’environnement, les infrastructures, les transports, l’éducation », poursuit Souleymane Bachir Diagne pour qui « cette prospective sera attentive aussi au dynamisme, à la force de vie, à ce que Yala Kisukidi appelle la +Laetitia africana+ ».
« Elle verra dans les villes africaines, qui sont aujourd’hui conjugaison de smart cities et de bidonvilles les promesses que portent la créativité le potentiel d’innovation de nos jeunesses », a-t-il ajouté.
La question des inégalités, quatrième défi exposé par Souleymane Bachir Diagne, est, pour lui, « au fondement de bien des indignations qui se transforment ici ou là en révoltes contre les élites (…) politiques ou les élites du monde de la finance, mais aussi les élites académiques ». Il y a, relève-t-il, « un anti-intellectualisme qui se développe aussi sur notre continent, dont nous devons prendre la mesure et qui pourrait être un des objets des Ateliers de la pensée dans le futur », estimant que, « de manière générale, il y a là un basculement qu’il faut effectivement penser ».
Souleymane Bachir Diagne, abordant « le défi du branlement de la démocratie », a relevé qu’on voit, « dans des pays, pourtant de vieilles démocraties, émerger des leaders qui s’emploient à tester les moyens de contourner les exigences » qui sont essentielles à l’existence même de la démocratie ». Ces leaders, précise-t-il, « voient en celle-ci (la démocratie) non pas le pire des régimes à l’exclusion de tous les autres, selon la parole bien connue, mais quelque chose qui les gêne et dont il faut savoir jusqu’à quel point on peut s’en désencombrer ».
Rapportant sa réflexion à l’Afrique – « où les alternances démocratiques ne sont plus heureusement des phénomènes rares voire impensables qu’elles étaient il n’y a guère » – « ce jeu avec l’esprit de la démocratie prend surtout la figure de la tentation d’un troisième mandat alors que l’on avait convenu que la bonne respiration démocratique des sociétés rend plus que souhaitable, rend nécessaire que des termes de deux s’imposent à ceux qui souhaitent servir leur pays ».
Sur « le défi de l’intelligence artificielle et de l’automatisation », le philosophe a dit : « On pourrait se dire que cela ne concerne pas vraiment l’Afrique, que c’est trop technique pour nous concerner. On aurait tort de penser ainsi, ce serait une erreur fatale ». « D’abord, la devise de nos ateliers c’est que les questions africaines sont les questions planétaires et que les questions planétaires sont des questions africaines », a-t-il souligné. Cela veut dire qu’il y a cette exigence que les Africains soient présents sur toutes les grandes questions qui vont intéresser le monde. « Et croyez-moi, l’intelligence artificielle, ça va être très important. C’est déjà très important ».
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