Ma lettre sera très courte, car je n’ai pas beaucoup de temps. Je suis quelque part en Afrique, en train de travailler, comme je le fais depuis de nombreuses années, pour que mon pays, comme le continent africain qui me sont si chers, se libèrent des chaines locales et étrangères qui les enlacent depuis de si nombreuses années. Je ne suis pas de ceux qui se plaignent du sort de l’Afrique sans agir pour le changer. J’œuvre à tous les niveaux, du local au global, où j’ai de la compétence et des ressources pour que les choses changent pour le mieux et pour nous.
J’ai appris que vous séjournerez dans mon pays pendant deux jours dans le cadre d’un « Conseil des Ministres» dit «extraordinaire». Pour faire joli, certains ont parlé de «séminaire gouvernemental» conjoint. Une belle escroquerie conceptuelle, institution-nelle et diplomatique ! Si c’était un conseil conjoint, on y parlerait aussi des problèmes de la France. Et vous savez bien que vous en avez aussi, des problèmes. Mais ce ne sera pas le cas. On parlera donc du Sénégal et de ses faux problèmes, parmi lesquels la sécurité et l’immigration. Vous direz à notre président qu’il a bien intérêt à suivre vos suggestions et conseils ainsi que vos stratégies pour continuer à préserver notre pays des hordes djihadistes qui brûlent et pillent nos frères du Mali et du Burkina Faso. Il vous suivra, bien sûr, et ne vous mettra pas face à vos propres responsabilités.
Qui vous dira donc que la tragédie Djihadiste vécue dans le Sahel a été déclenchée, au moins en partie, par votre pays, il y a quelques années, lorsqu’il s’est attaqué à la Libye sous des raisons fallacieuses ? Aujourd’hui beaucoup d’observateurs vous interpellent sur l’incohérence de vos politiques et votre stratégie claire obscure dans cette région. Avez-vous entendu le cri du cœur du célèbre chanteur Malien Salif Keita, visiblement excédé par la faiblesse et l’irresponsabilité de son propre Président face aux actions ou à l’inaction, c’est selon, de la France ?
Vous parlerez aussi avec notre gouvernement de la pression migratoire qui, de votre point de vue, serait encore « élevée » au Sénégal. Évidemment vous direz au président Sall que vous l’aid rez à résoudre ce problème en encourageant, entre autres, l’immigration légale notamment par la réduction, dès 2020, de la durée de traitement des demandes de visa.
Les vrais problèmes du Sénégal seront passés sous silence. Pire, nombres ces problèmes seront niés, pour certains et enjolivés pour d’autres. Après tout, n’a- t-on pas fait visiter à votre président une classe d’école triée sur le volet lors de sa dernière visite au Sénégal, qui répondait presque aux standards internationaux en terme d’effectif, alors que la vérité est que les écoles sénégalaises croulent sous le poids des effectifs pléthoriques, du manque criard d’enseignants, des milliers d’abris provisoires et j’en passe. On ne vous dira pas que le véritable problème sécuritaire de ce pays n’est pas sa sécurité extérieure, bien que celle-ci soit importante. C’est sa sécurité intérieure, à la fois morale et sociétale. Savez-vous que ce beau pays est en train de devenir une plaque tournante du trafic international de drogue ? Savez-vous qu’il arrive que des quantités importantes de drogue saisies et placées sous la sauvegarde de notre administration disparaissent comme par enchantement ? Savez-vous que la corruption a atteint des proportions traumatisantes et qu’elle est impunie lorsque qu’elle touche les hauts placés de la politique et de l’État, si elle n’est pas encouragée tout simplement ? Êtes-vous au courant des scandales à répétition dans la gestion du pétrole et du gaz ?
Vous a-t-on dit qu’un député en ses- sion, une des figures remarquables du parti au pouvoir, vient d’être arrêté pour trafic de faux billets de la monnaie, le francs CFA, que vous avez si gé- néreusement mise à la disposition de vos anciennes colonies ? Eh oui, hélas, on en est réduit à ça depuis que des incompétents se sont emparés des le- viers de la République !
Je ne vous reproche rien, Monsieur le Premier Ministre de France. Ce serait injuste de ma part. Je ferai pareil à votre place. Vous venez défendre les intérêts de votre pays, consolider vos avantages acquis et vos parts de marché dans le partage de notre économie. Vous vous assurerez que vos entreprises soient bien traitées afin qu’elles poursuivent leur stratégie de « la chasse en meute », si brillamment théorisée par les Sénateurs français dans le rapport qu’ils ont publié en 2013 sous le titre évocateur «L’Afrique est notre Avenir ». C’est votre rôle et vous le jouez bien. Je ne vous demande qu’une chose, c’est d’avoir le triomphe modeste car nombre de vos avantages, acquis de longue date, colportées et défendus bec et ongle de régime en régime depuis la période coloniales, sont, pour le moins, illégitimes. Vous signerez bien sûr des accords et conventions pompeux à la fin du séminaire. Comme à l’habitude, ce sera toujours la France qui donnera au Sénégal des aides et des subventions sous les objectifs des caméras. Plus tard, le Sénégal filera à vos entreprises de juteux et lucratifs marchés, qui au demeurant seront calibrés de manière à être hors de portée de nos propres entreprises. Mais cela ne sera pas présenté comme une aide du Sénégal à la France. Total, l’une de vos plus grandes entreprises, sortie sixième dans un appel d’offre international pour des licences d’exploration, a été repêché par votre ami Macky Sall qui lui a accordé sa part de notre pétrogaz. Le saviez-vous ?
Le marché du Train Express Régional a fait beaucoup de bien à Alstom. N’est- ce pas ? Eh bien sachez qu’en ce qui nous concerne, il a non seulement creusé notre niveau d’endettement mais il a aussi fini d’ensevelir plusieurs localités dont Rufisque, Thiaroye, Yarakh, Dalifort, etc. Et il ne roule toujours pas. Pourriez-vous faire quelque chose avant de nous quitter ? Bienvenu donc au pays de la Teranga, Monsieur le Premier de France. Nos portes vous sont grandes ouvertes par notre gouvernement. Quand vous repartirez, dormez tranquille, notre gouvernement veillera sur vos intérêts plus que sur les nôtres.