En convoquant toute la nation au Palais de la République pour la remise du sabre du marabout-résistant El Hadj Oumar Tall par les descendants des colons spoliateurs, pilleurs, voleurs et tueurs, nous avons eu le sentiment de vivre le schéma du « Vieux nègre et la médaille » où l’administration coloniale remercie pour services rendus à la métropole, le vieux nègre Meka en ces termes : « Tu as beaucoup fait pour faciliter l’œuvre de la France dans ce pays. Tu as donné tes terres aux missionnaires, tu avais donné tes deux fils à la guerre où ils ont trouvé une mort glorieuse… Tu es un ami. » Le président Macky Sall ayant beaucoup fait pour notre « amie », il est normal que ses fils lui rendent la monnaie de la pièce en le gratifiant du sabre historique du fondateur de l’empire toucouleur. Mais il faut comprendre que la France n’agit pas par philanthropie mais par intérêt. Et elle ne manquera pas de percevoir le retour sur investissement à l’heure où les premiers barils de pétrole tomberont.
Comme dans un jeu de yoyo, la France ne cesse de miroiter depuis plus de vingt ans le supposé sabre du résistant El Hadji Oumar à l’Etat sénégalais. Finalement, cette relique du saint homme, symbole historique de la résistance omarienne, est expurgée de son essence originelle et est utilisée par nos gouvernants à des fins politiciennes.
En effet, en 1996, Me Abdoulaye Wade, farouche opposant du président d’alors Abdou Diouf promettait aux Sénégalais, une surprise de taille une fois élu président de la République. Parlant de façon sibylline et délurée, il faisait allusion à un objet d’une importance historique et appartenant à un grand chef religieux et qui illuminait les vitrines d’un musée français. Les Sénégalais finirent par être séduits par cette promesse qui cachait des calculs politiciens. Et chaque confrérie pensait que cet objet appartenait à son guide religieux : Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Malick Sy, soit Seydina Limamou Lahi, El Hadj Omar Tall ou Abdoulaye Niass. Et Wade pensait qu’une telle promesse allait lui procurer des dividendes politiques à la présidentielle de 2000.
Mais par on ne sait quel tropisme, le président Abdou Diouf découvrit que la promesse de Wade avait un rapport avec le sabre d’El Hadji Oumar qui trônait au musée des Invalides à Paris. Et c’est ainsi qu’en septembre 1998, dans le cadre de la célébration du bicentenaire de la naissance d’El Hadj Omar Tall, par l’entregent de l’alors directeur de l’Ifan le professeur Djibril Samb, le sabre du marabout guerrier retourna au bercail sous forme de prêt grâce à l’aval du président Jacques Chirac.
Lors du 11e sommet de l’Anoci en 2008, sous les magistères Wade-Sarkozy, le sabre fit son retour au Sénégal après l’avoir quitté depuis une décennie. Mais cette fois-ci, la facture était salée puisque le sabre était loué à l’Anoci pour 100 millions de Francs CFA même si les autorités de ladite structure dirigée par Karim avaient précisé que c’était un prêt et non une location et que seule l’assurance avait été payée. Il faut signaler qu’un tel mercantilisme avait indigné et formalisé la famille omarienne mis à l’écart de ce négoce honteux entre les Etats sénégalais et français. Et voilà après le sommet de l’Anoci, le sabre du résistant avait repris les airs pour retourner aux pays de ses voleurs.
Sous l’ère Macky-Macron, le sabre, pour la troisième fois, quitte les Invalides de Paris pour venir prendre place au Musée des civilisations noires de Dakar. Mais pour combien de temps ? Si Felwine Sarr, co-auteur du rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain avec Bénédicte Savoy, précise que « le sabre est bel est bien restitué au Sénégal et vu que pour l’heure la loi française ne permet pas de restitutions, l’instrument juridique qui permet de restituer de facto (dans les faits) est le dépôt à long terme, renouvelable », pour le Premier ministre français Edouard Philippe « s’il ne s’agit pas encore à proprement parler d’une restitution, ce geste en est la première étape ». Et RFI dans le même sillage que le Premier ministre français de dire « autour de cette restitution historique demeure un flou juridique. Selon la Radio mondiale, il s’agit pour l’instant d’un prêt de cinq ans consenti au Sénégal et que pour rendre définitivement le sabre, le dernier mot revient aux députés français qui devront voter une loi ». Ce qui veut dire que la vérité n’est pas encore dite sur le retour ou la restitution du glaive du chef du royaume toucouleur.
Mais que le sabre reste au Musée des civilisations noires ou retourne tranquillement dans sa salle d’exposition des Invalides, tel n’est pas le problème. Indépendamment de ces allers et retours enquiquinants, la France infantilise le Sénégal avec cette relique dont même l’authenticité est devenue problématique. Un internaute du nom de Marie Ngouda, choquée par ce ping-pong de la France, a vociféré dans Facebook sa rage en ces termes : « Il faut que nos autorités cessent de se faire infantiliser par la France. A chaque fois qu’elle a besoin de leur faire signer des contrats juteux, elle les distrait par des présents qui n’en sont pas. C’est comme si tu veux faire taire ton enfant qui pleure, le premier objet à portée de mains peut faire l’affaire. On se rappelle bien de l’histoire du dessert, un traitement de faveur envers les tirailleurs sénégalais. Sic ! Ce sabre appartenant ou pas à Cheikhou Oumar Tall ne doit pas nous aveugler au point de signer à la France six contrats très juteux. Basta ! »
La France utilise aujourd’hui cet objet historique pour essayer de rattraper le terrain économique que certains de ses concurrents comme la Chine lui ont chipé. Et voilà qu’après la restitution d’un objet qui appartient au patrimoine culturel sénégalais, l’Etat sénégalais lui signe six contrats juteux dans les secteurs de l’eau, la défense, la coopération économique, les domaines de la formation et le sport – dans la perspective des Jeux olympiques de la jeunesse de Dakar de 2022 –, la culture et les transports. Et cela comprend déjà « la vente, pour plusieurs millions d’euros, de trois patrouilleurs OPV58 du groupe français Kership ainsi que de missiles du groupe européen basé en France MBDA. Ils permettront de protéger les infrastructures gazières et pétrolières offshore qui feront du Sénégal un pays producteur aux alentours de 2021 », si l’on en croit le correspondant du journal Le Monde à Dakar.
Si la France infantilise le Sénégal avec cet objet d’art, nos gouvernants font la même chose à l’endroit des populations sénégalaises. Quand, en 1998, le professeur Djibril Samb a ramené dans le cadre des accords et échanges culturel entre Marianne et le Sénégal, rien qu’à la vue de la caisse qui contenu le fameux sabre, certains adeptes du saint homme sont tombés en transe avant que d’autres ne se prosternent devant le contenant. En 2008, la famille omarienne avait failli porter plainte contre l’Etat français, après avoir flétri le régime sénégalais pour avoir loué un sabre appartenant à leur patrimoine culturel. En 2019, on organise une cérémonie en grande pompe en présence de l’aréopage politique, religieux et culturel dans le seul but de réceptionner pour la troisième fois un objet dont l’appartenance à Oumar Foutiyou Tall est douteuse. Le discours de patriotisme béat de Macky est beau, celui d’Edouard Philippe anesthésiant. Mais quid de l’authenticité de cette relique qui a été, depuis 1998, l’objet d’une controverse entre intellectuels ? Le professeur Abdoulaye Sokhna Diop avait soulevé le débat en 1998 en soutenant que ce sabre dont il est question n’appartient pas à Oumar Foutiyou mais à son fils Ahmadou Cheikhou. Il remettait en cause la crédibilité du sabre avec assurance dans le quotidien Populaire en 2016 comme il l’avait fait en 1998 dans le journal Info 7 du Groupe Com7 en déclarant ceci : « Au niveau des archives de Dakar, il y a un fond qu’on appelle le trésor de Ségou. C’est une partie du grand trésor de Ségou qui est resté en France dans des musées où on n’accède pas. Le fond qu’il y avait ici comporte de la documentation qui fait référence à des sabres. Mais ces sabres en question sont des cadeaux offerts à Ahmadou Cheikhou et non pas à Cheikhou Omar. Par conséquent, ces sabres qui n’ont rien à voir directement avec El Hadji Omar, sont des objets qui ont été probablement trouvés après que la ville de Ségou a été prise par le colonel Archinard en 1890 et ses troupes et suite au départ du Cheikh vers l’Est. Et en 1890, El Hadji Omar était décédé depuis 26 ans. Donc, dans tous les cas, ce sabre ne pouvait avoir aucune relation avec le résistant religieux. » Et le professeur de finir en regrettant que la communauté universitaire qui soutenait la thèse inverse à la sienne n’a jamais voulu l’éclairage de cette question nébuleuse à travers un débat télévisé contradictoire.
Malgré tout, le combat de restitution ou retour engagé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy est à soutenir parce que plusieurs œuvres d’art africains qui peuplent les structures muséales européennes et américaines ont été obtenues dans des circonstances peu glorieuses de guerres, colonisation, pillages, par des vols et non par des dons. Mais il ne connaitra des succès que s’il s’inscrit dans un cadre unitaire polarisant tous les pays du Sud qui ont été victimes de spoliation de leurs œuvres d’art.