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L’homme D’état

L’homme D’état

Il est fréquent d’entendre, après la disparition d’une personnalité publique, que c’était « un vrai homme d’Etat ». Par leur longévité aux affaires, ces « gorges profondes » ont dû avaler plusieurs secrets. C’est d’ailleurs ce culte du secret qui constitue le socle de la République. Que serait l’Etat si tout ce qui se tramait au plus haut sommet était exposé sur la place publique ? Jusqu’à une période assez récente donc, rien ne filtrait du Conseil des ministres, si ce n’est, bien entendu, le communiqué officiel, revêtant du coup ce qui s’est dit dans cette enceinte d’un manteau de solennité. C’est seulement après la première alternance de 2000 que les épais murs du palais ont cessé d’être une tour de verrou pour les « administrés » pour devenir une maison de verre, tellement les décisions qui y étaient prises « fuitaient » avant même d’être couchées sur du papier. L’on se souvient du coup de gueule de l’ancien président Abdoulaye Wade, allant jusqu’à faire jurer ses ministres « loyauté et silence ». Il était ainsi fréquent, à l’issue de chaque conseil des ministres, de retrouver dans la presse certains détails livrés par des ministres en « off ». Souvent, c’était pour rapporter les bévues d’un rival politique pour le déstabiliser. Il est vrai que ces fuites étaient à l’image de la gouvernance Wade, où la magie et le dérapage se le disputaient régulièrement à « l’éclectisme brouillon » (Mamadou Diouf), contrairement sous Diouf où le fonctionnement de l’Etat était régi par « l’organisation et la méthode accoudée à la règle administrative ». Sous Macky ces fuites sont devenues très rares ou plus discrètes. Certains puristes diront qu’on est revenu à l’ordre républicain.

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C’est dire que dans la perception de ceux qui incarnent l’Etat – mais aussi des administrés – l’homme d’Etat, c’est avant tout un homme de silence. Quelqu’un qui, comme dans les sociétés secrètes, préfère mourir que de « parler » (révéler certains secrets). C’est pour cette raison que la publication des mémoires d’un président constitue toujours un événement en soi. Même si, là aussi, tout ne peut pas être dit. Au Sénégal, le modèle parfait de l’homme d’Etat, c’était Bruno Diatta, parti il y a un peu plus d’un an, emportant avec lui tant de secrets. Si le silence est une vertu, parfois, il faut le dire, des « hommes d’Etat » ont trempé dans de sordides complots d’Etat. Agissant au nom d’obscures forces idéologiques ou politiques, ces « gardiens de la nation » ont planifié et exécuté sans remords des complots retentissants. De l’affaire Dreyfus (en France) à la guerre en Irak (Etats-Unis) ou certaines affaires internes à nos jeunes Etats, l’histoire récente est riche de complots d’Etat orchestrés par des « hommes d’Etat ». On entend souvent Donald Trump, le président américain, se plaindre du « deep state » (l’état profond) qui comploterait pour le faire tomber. La réalité est sans doute plus complexe – notre propos n’est pas de traiter du cas spécifique des Etats-Unis ici – mais, dans une convergence d’intérêts, cet « Etat dans l’Etat » peut parfaitement neutraliser un président ou commettre un crime d’Etat à l’insu d’un président.

C’est pourquoi, dans notre entendement, plutôt que d’être le serviteur zélé d’un « monstre froid », prêt à broyer quiconque tenterait de contrarier ses ambitions, l’homme d’Etat doit être celui qui prêche la sagesse et la vertu au cœur du « système » pour reprendre le jargon de certains. Car, comme nous le disions dans une précédente chronique, les institutions ne sont pas vertueuses en soi. Elles sont à l’image de ceux qui les incarnent. Ce sont des hommes d’Etat vertueux qui font un Etat vertueux et juste et non l’inverse. Cependant, gardons-nous d’un discours trop simpliste et moralisateur. Dans le feu de l’action et devant la complexité de certaines situations, les décideurs n’ont pas toujours le temps de prendre du recul et d’agir avec discernement.

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Que serait la République sans ces serviteurs ? Le pouvoir est avant tout une affaire de symbole. Un mythe, diront d’autres. Et pour perpétuer ce « mythe », d’une force autonome, dans la conscience collective, la République prévoit tout un cérémonial pour honorer les hommes d’Etat. Le plus souvent après leur disparition. Au-delà de rendre hommage à un « grand commis de l’Etat », l’idée est de le montrer en exemple pour les générations actuelles et futures. Par la même occasion, la République entretient sa propre gloire. En France, Le Panthéon a vocation à honorer de grands personnages ayant marqué l’histoire du pays, y compris des hommes d’Etat. Sous nos tropiques, ils reçoivent généralement la plus haute distinction à titre posthume. Certains se demandent à quoi ça sert si le principal concerné ne peut même pas éprouver la satisfaction morale de cette reconnaissance. C’est oublier que le message est avant tout destiné aux vivants. Le défunt n’ayant été, comme de son vivant d’ailleurs, qu’un instrument au service de l’Etat. Après tout, les hommes passent et l’Etat reste !







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