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Hommage à Colette Senghor : «j’aime Tes Yeux Les Soirs De Réception…»

Hommage à Colette Senghor : «j’aime Tes Yeux Les Soirs De Réception…»

C’est Senghor lui-même qui le chante dans ses poèmes en s’adressant à sa muse : «J’aime tes yeux les soirs de réception» ! Simple mais si beau ! Quand j’ai eu l’honneur d’assister à une soirée au Palais présidentiel, j’avais hâte de saluer le couple présidentiel et de m’attarder sur les yeux de la première dame, «la Normande aux yeux pers», comme le chantait encore Sédar. Sous les lumières, les lambris dorés et les sourires, j’ai découvert pourquoi le poète Senghor avait évoqué les yeux de son épouse. Elle n’avait pas seulement de beaux yeux, Colette. Elle était un orage ! Elle était lumineuse ! C’est ce souvenir que j’ai le plus gardé et dans mon corps et dans mon cœur de celle qui vient de nous quitter. Je vous en prie, allez relire «Les élégies de minuit» et vous comprendrez combien le poète Senghor était grand et inégalable ! Quand plus tard, beaucoup plus tard, Senghor a retrouvé le chemin de l’écriture poétique, écrasé qu’il était par ses fonctions présidentielles, son recueil de poèmes intitulé «Lettres d’hivernage» reste encore marqué par la présence de sa muse Colette !

Oui, bien sûr, Sédar a chanté d’un chant unique la femme noire ! Ce poème est resté invincible et comme inégalable. Il a bien fait de l’avoir écrit, lui le poète noir que l’on qualifiait de Blanc ! Plus tard, beaucoup plus tard, quand j’ai été de très longues années a son ombre, j’ai découvert tous les jours, toutes les nuits, à table, en promenade, en voyage, dans nos conversations et nos échanges, que ce poète et homme d’Etat -par ordre alphabétique- était le plus nègre de tous les nègres ! Oui, allez, disons-le : Colette arrivait souvent à avoir du mal à «s’adapter» à son nègre de mari ! Celui qui avait chanté la civilisation de l’Universel, le métissage culturel, la Négritude, avait fait le choix d’être un Africain, un vrai sérère ! Colette s’adaptait, s’adaptait, s’adaptait ! Voyez-vous, si Senghor est Senghor, le poète, le penseur universel et l’ambassadeur du Peuple sénégalais de par le monde, c’est qu’il était fondamentalement lui-même, attaché à son terroir, à sa culture. Il n’aurait jamais été Senghor s’il avait écrit comme Victor Hugo, Lamartine, René Char, Aragon ! Il était Senghor le Sérère, l’enfant de Joal et de Djilor !

Mais, c’est de Colette qu’il s’agit aujourd’hui, celle qui a rejoint son prince, celle qui n’a jamais pu guérir de la mort de son fils unique Philippe Maguilène Senghor. Entre Senghor le nègre grec et Philippe le rebelle, Colette a beaucoup enduré, mais entouré du plus grand amour des deux hommes de sa vie. Vertueuse, douce, sereine, attentive, méthodique, organisée, elle a tenu le fil de la vie poétique et politique de son mari. S’il existe une confidence à vous faire, si étonnante soit-elle, c’est celle-ci : Colette s’est battue, s’est battue sans rompre, afin que son époux puisse quitter au plus tôt ses charges de chef d’Etat. Elle n’était pas très à l’aise au sein du pouvoir. Elle en avait presque peur. Le présumé coup d’Etat de Mamadou Dia, l’attentat contre Senghor au pistolet, son long mandat de vingt ans, avaient fini par installer la psychose chez elle. Certes, Senghor lui même l’a avoué : «Je voulais partir très tôt, mais les évènements m’ont contraint à rester pour mieux préparer ma succession.» Dormant et se réveillant dans son Palais, il disait ceci : «Chaque jour quand je me réveille, j’ai envie de me suicider. Mais quand j’ouvre ma fenêtre, que je vois Gorée et la lumière du jour, je reprends goût à la vie.» C’est donc cet homme qui a fini par quitter volontairement le pouvoir et il ne s’est jamais retourné. Colette, cette Première dame discrète, fuyant les fastes de la République, fut décisive dans le choix du Président.

Je présente mes condoléances émues à la famille de Colette en France, à la famille de Léopold Sédar Senghor, au Peuple sénégalais, au Président Macky Sall qui a veillé et qui veille encore sur tout ce qui touche Sédar et je puis en témoigner. Mes condoléances également à un homme qu’il est difficile de ne pas citer, de ne pas saluer : Moustapha Niasse. Sa fidélité et son attachement à Senghor sont à toutes épreuves. Nos condoléances au maire de Verson Michel Marie, qui a tant gardé Colette. Je pense à toi aussi mon cher ami et frère Boucounta Diallo, toi qui as fait oublier à Colette qu’elle avait perdu son fils Philippe, car tu fus son second Philippe. A toute la Fondation Senghor, Raphaël Ndiaye et son Conseil d’administration. A la directrice de la maison Senghor.

A tout Joal, je dis qu’il est enfin permis de voir Senghor regagner sa vraie demeure à Joal, là où il a demandé à venir dormir comme il le chante ici : «Quand je serai mort mes amis / Couchez-moi sous Joal-l’Ombreuse / Sur la colline au bord du Mamanguedj / Près de l’oreille du sanctuaire des serpents / Mais entre le lion couchez-moi et l’aïeule Téning-Ndiaré / Quand je serai mort mes amis, couchez-moi sous Joal-la-Portugaise / … Ci-gît Senghor, fils de Diogoye-le-lion et de Ngilane-la-Douce / Si fort il aima le pays sérère… /.»

A toi Colette qui avait confié que tu voulais dormir sous Joal auprès de ton prince et de ton fils quand «ton cœur rompra», nous avons dit d’une parole haute et fervente, demandé avec respect et grandeur à la famille de Sédar d’exhausser les vœux du poète et de la princesse d’or aux «yeux pers». Joal revivra car arrive le couple de l’alizé ! Le temps ne ferme jamais ses portes à l’espoir !

Et que hantent maintenant les orgues et qu’applaudissent les anges, car Senghor danse et danse de retrouver sa bien-aimée, son soleil et sa lune : Colette belle comme jamais dix lunes sur les ailes des palmiers !

Amadou Lamine SALL

Poète – Lauréat des grands Prix de l’Académie française

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