Le samedi 14 août 2010, plusieurs centaines de Sénégalais avaient marché, à l’appel de Benno Siggil Senegal, de la place de l’Obélisque à la Poste de Médina, contre les délestages et la vie chère. Plus de neuf ans après, une quinzaine de jeunes activistes appartenant à divers mouvements patriotiques se sont vu interdire une marche pacifique contre la hausse du prix de l’électricité, entre la place de l’Obélisque et la RTS et ont décidé d’aller à l’assaut du palais présidentiel.
Ce faisant, cette jeunesse héroïque, qui mériterait le « ballon d’or » du patriotisme, n’avait aucune intention de déstabiliser les institutions de la République, mais voulait surtout poser un acte d’indignation très fort et glorieux, d’ailleurs immortalisé par plusieurs organes de presse.
La comparaison des deux évènements démontre très éloquemment le niveau de régression démocratique atteint par notre pays, dans lequel, le citoyen ne peut même plus protester pacifiquement contre des décisions gouvernementales qu’il juge inappropriées. On aura aussi remarqué l’absence d’implication active des partis d’opposition obnubilés par des questions électorales, dans la défense des droits économiques et sociaux des citoyens sénégalais.
Enfin, ce ras-le-bol de Guy Marius Sagna et de ses amis, qui ont accepté, en connaissance de cause, tous les risques liés à leur entreprise audacieuse, ne fait que traduire la réduction drastique, par le pouvoir apériste des espaces d’expression citoyenne et démocratique.
Tout cela se passe dans un contexte où on observe une déliquescence des institutions et une crise politique se traduisant par l’enlisement d’un dialogue national que des autorités religieuses essaient laborieusement de ranimer. Last but not least, le saccage du tribunal de Louga, emblématique de la perte de crédibilité de notre système judiciaire est venu corser l’addition.
Dans cette atmosphère d’hyperprésidentialisme avec une Assemblée nationale aux ordres, force est de reconnaître l’énorme responsabilité que porte le pouvoir judiciaire, censé être équidistant, dans la survie d’un régime que les citoyens sénégalais ne portent plus dans leur cœur, depuis bien longtemps.
Les dysfonctionnements de notre système judiciaire datent des toutes premières années de notre accession à la souveraineté nationale, se sont notablement accentués depuis 2012, mais semblent avoir atteint leur paroxysme, ces derniers temps.
On peut citer, entre autres, la spectaculaire et courageuse démission du juge Dème, ainsi que le limogeage intempestif du juge Ndao de la CREI, juste au moment même où il avait décidé d’attraire certains dignitaires libéraux au niveau des tribunaux. Lui, tout comme Mme Nafi Ngom avait eu la naïveté de croire à la sincérité du processus de reddition des comptes initié par le régime de Benno Bokk Yakaar.
Mais très vite, des préoccupations purement politiciennes allaient prendre le pas sur les exigences de redevabilité et de bonne gouvernance. C’est ainsi que les 25 dignitaires libéraux, cités par le procureur Ndao, allaient bénéficier d’une impunité inexplicable contrastant avec l’acharnement contre M. Karim Wade. À la fin d’un marathon judiciaire de deux longues années, caractérisé par l’amateurisme et l’utilisation de procédures aussi iniques qu’obsolètes propres à la CREI, l’héritier du Pape du Sopi fut définitivement condamné le 23 mars 2015.
Autant dire qu’il restait très peu de temps au pouvoir de Macky Sall pour préparer les présidentielles initialement prévues en 2017, avec un bilan, qui se résumait à un grotesque règlement de comptes aux allures de chasse aux sorcières.
Il est vrai que les trois premières années du régime de Benno Bokk Yakaar, censé incarner l’espoir et la rupture, ont révélé le visage hideux d’une ”dictature émergente”. Non content de dévoyer la reddition des comptes, le successeur de Wade n’avait de cesse de persécuter ses anciens frères libéraux et tous les autres opposants.
Les élections locales du 29 juin 2014 avaient fini d’acter la perte progressive de popularité des hommes du pouvoir. Le président allait, alors, initier des manœuvres de haut vol en direction du Conseil constitutionnel, en y nommant des personnalités, qui semblaient être bien disposées à l’endroit de son régime en perte de vitesse.
Les dernières illusions de refondation institutionnelle contenues dans le rapport de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (C.N.R.I) allaient être définitivement enterrées lors du référendum du 20 mars 2016.
C’est donc toujours dans cette logique qu’intervint la réforme de la Justice, qui mettra à mal la transparence dans le choix des fonctionnaires de justice, les rendant plus vulnérables aux pressions des décideurs politiques. À contrario, elle essaiera d’amadouer des magistrats d’un certain âge et occupant des positions stratégiques, en procédant à l’allongement de leur âge de départ à la retraite.
Cette domestication de la Justice allait constituer une arme redoutable pour se prémunir d’un éventuel désaveu par les suffrages populaires.
C’est ainsi que des cabales furent orchestrées contre les personnalités dissidentes du parti socialiste et plus particulièrement, l’ancien maire de Dakar, jeté en prison, parce qu’il nourrissait des ambitions présidentielles.
Le processus électoral allait aussi subir des manipulations grâce au concours de certains magistrats. C’est ainsi qu’aux législatives du 30 juillet 2017, le conseil constitutionnel, en permettant l’utilisation du récépissé de dépôt (accompagné de diverses autres pièces), comme substitut à la carte biométrique pour accomplir son devoir électoral, allait compromettre la sincérité du vote. Malgré ce coup de pouce des 5 Sages et l’utilisation abusive d’ordres de mission à Dakar, la Coalition présidentielle n’atteindra pas la barre fatidique des 50% et ne devra sa victoire qu’au mode de scrutin tant décrié, car inique à forte prédominance majoritaire.
C’est alors que les spin-doctors de l’APR, pour parer à la dispersion des candidatures, qui pouvait s’avérer fatale à leur président-candidat, inventèrent la loi sur le parrainage citoyen. Avec l’aide du Conseil constitutionnel, chargé d’évaluer les dossiers des différents candidats, selon une procédure des plus indéchiffrables, le pouvoir en éliminera des dizaines, pour n’en retenir que cinq, au final, permettant ainsi au président sortant de rempiler facilement.
C’est ce parti-pris manifeste en faveur des puissants du moment et cette politique de deux poids deux mesures qui expliquent la défiance croissante des citoyens de notre pays envers la Justice, les poussant parfois à enfreindre des lois et règlements, dans lesquels, ils ne reconnaissent plus.
Tant et si bien que sous peu, la justice dans notre pays risque d’être rendue sous l’ombre tutélaire des khalifes généraux.