J’éprouve beaucoup de peine avec la disparition de Madame Colette Senghor. Mes relations avec cette grande dame, aimable et discrète, datent de l’année 1951 lorsque j’étais étudiant à Paris et qu’elle était la secrétaire du député Léopold Sédar Senghor qui me recevait souvent à son bureau de l’Assemblée Nationale, au Palais Bourbon.
Sur l’amabilité de Mme Senghor, les Sénégalais apprendront que tous les jeudis à 17 heures, Colette, comme nous l’appelions affectueusement, apportait à notre Siège, Boulevard St Germain à Paris, un gouter que nous partagions avec nos camarades étudiants des autres territoires.
Il n’est donc pas étonnant que Mme Senghorsoit connue et appréciée, au delà des frontières du Sénégal, par les étudiants africains de l’époque devenus, depuis, des responsables dans leurs pays. Senghor était courageux. Alors que les autres responsables africains fuyaient les étudiants, Senghor, averti d’une sérieuse grogne chez les étudiants par les français demanda à venir nous voir. Il vint donc accompagné de Mamadou Dia. Il fut reçu non seulement par les Sénégalais mais aussi les autres étudiants africains. ‘’J’ai entendu dire que vous n’étiez pas contents alors je suis venu prendre la température et vous écouter’’, commença-t-il. Les interventions fusèrent de partout, contre les députés africains qui nous représentaient au Palais Bourbon. Il y eu beaucoup de vociférations et de cris.
D’un calme olympien, Senghor répondit aux questions, parfois agressives. Puis, s’dressant aux vociférateurs il leur dit : ‘’Messieurs, soyez calmes et patients, la patience est la vertu des intellectuels’’. Il fit face au brouhaha jusqu’à la fin de la réunion. Nous l’accompagnâmes jusqu’à sa voiture sous les applaudissements. On entendait dire : ‘’Vraiment Senghor est courageux ! Venir affronter les étudiants chez eux, quel courage ?’’ Plus tard, devenu professeur à l’Université de Dakar, je fis la même expérience en allant affronter pendant toute une soirée les étudiants qui avaient invité les professeurs dans un grand amphithéâtre. Ce fut une défection totale et je dus affronter seul la meute.
Après une soirée mouvementée, la réunion se termina par des applaudissements et, comme je n’avais pas ma voiture, les étudiants, chantant et dansant, me reconduisirent jusqu’à ma maison. Je reviens sur la France. Lorsqu’ un jour deux camarades et moi nous décidâmes de sortir de Paris, nous atterrîmes à Besançon, puis, sept ans après à Grenoble. Successivement Président des deux sections de la FEANF, je faisais toujours passer par Colette, les résolutions dont nous bombardions les députés africains qui siégeaient au Palais Bourbon, y compris Senghor. Et Dieu sait qu’elles n’étaient pas toujours tendres Mme Senghor était très délicate. Je me souviens qu’un jour, me trouvant par hasard avec le couple Senghor dans le même avion qui nous amenait à Dakar, j’ai dit à l’hôtesse de l’air que je souhaitais aller en classe Première saluer le Président Senghor. Informé, il accepta. Quand je suis arrivé, Colette s’est levée pour me céder son siège en me disant très exactement ‘’Vous voulez parler à mon mari asseyez vous’’ et elle est allée s’asseoir sur un autre siège. J’eus, à mon tour, la délicatesse d’écourter ma conversation avec le Président Senghor et, au bout de cinq minutes, je me suis levé pour aller remercier Mme Senghor et l’inviter à reprendre sa place auprès de son mari.
Senghor m’invita un jour à Popenguine. J’étais arrivé là-bas en fin d’après-midi. Nous parlâmes de choses et d’autres pour finir par la littérature. ’’Monsieur je Président, lui dis je, j’ai remarqué que tous vos poèmes sont dans une ambiance clair-obscur, jamais sous le feux d’un soleil flamboyant. Cela signifie t-il quelque chose chez vous ? Il me répondit ‘’cherchez, cherchez vous-même. Moi je ne sais pas’’. Je répondis « la poésie étant un reflet de l’âme, je présume qu’en vérité vous vivez un autre monde qui est de rêve, parallèlement au nôtre ». Il sourit et répondit ‘’Peut être’’. Je repris : mon point de vue est corroboré par l’image, dans votre poésie, de l’oncle Toko Waly.
Vous écrivez, en effet : ‘’Oncle Toko Waly écoutant l’inaudible’’. ‘’Ecoutant l’inaudible !’’. Senghor, existerait-il, parallèlement à notre monde, un monde qui ne serait audible que pour quelques privilégiés ? Et puis, ce n’est pas par hasard que vos premiers poèmes ont été publiés sous le titre ‘’Chants d’ombre’’. Il me répond : sûrement ! Mais Wade, vous devriez écrire tout cela. ‘’J’écrirai, Monsieur le Président, dès que j’aurai un moment.’’. Nous nous séparâmes sur ces mots, alors que le soleil disparaissant à l’horizon, nous laissant nous draper insensiblement du manteau du clair-obscur du crépuscule et de l’inaudible. Je quittai le président poète avec mes rêveries. Un auteur qui avait bien compris la nature des relations et des sentiments qui me liaient à Senghor est le Commissaire ZUCARELLI de l’assistance technique française qui était rattaché au ministère de l’Intérieur comme assistant technique.
Dans son livre sur l’UPS, pourtant parti de Senghor il écrit en substance : ‘’Wade et Senghordialoguent au-dessus du peuple. Ils sont seuls à se comprendre’’. Senghor m’appelait Ndiombor et, pendant la campagne électorale, m’interpellait sous ce nom. La volumineuse correspondance entre lui et moi qui commence en 1951, à l’époque où j’étais étudiant, pourrait être mise à la disposition des chercheurs. Les jeunes générations doivent savoir que c’est Colette Senghor qui a eu l’idée de l’Ecole d’excellence de Jeunes Filles Mariama Bâ de Gorée dont elle couvait les élèves d’une maternelle affection.
A ses nombreuses œuvres sociales il faut ajouter le Centre médical de Diamniadio que nous devons à la Fondation Colette Senghor. Au décès de Senghor, mon épouse Viviane qui l’estimait beaucoup, a exprimé sa compassion pour, disait-elle, ‘’cette grande dame qui se distinguait par son élégance’’. Colette Senghor, bourgeoise d’origine française qui aurait pu rejoindre le caveau familial sur la terre de France, avait souhaité, à sa mort, rejoindre au cimetière de Bel Air, au Sénégal, son défunt fils unique, Philippe, qu’elle aimait tant, très tôt arraché à son amour par un terrible accident de la route et son mari Senghor. La volonté de madame Colette Senghor a été respectée. Elle repose désormais à Bel Air, aux côtés de son mari Léopold Sédar Senghor et de son fils Philippe Maguillen. Que la terre sénégalaise qu’elle a choisie lui soit légère.
Après le départ de Senghor du pouvoir, nous avons conservé nos bonnes relations et je lui rendais visite, comme lorsque j’étais étudiant à Paris, dans son modeste mais bel appartement de bon goût du 1 Square de Tocqueville à Paris. Député et ministre il avait conservé son appartement. Son bureau, la moitié du mien me paraissait trop petit pour un grand homme comme Senghor. Son mobilier d’époque, Louis Philippe si je ne me trompe, était de bon goût.
A sa droite deux grandes baies vitrées s’ouvraient sur la cour de l’immeuble alors que le mur de gauche était visiblement la bibliothèque encombrée d’ouvrages bien rangés de bas en haut. La simplicité de sa demeure était à l’image de l’homme et de sa sobriété. Un jour des amis du Rotary Club de la Seine Saint-Denis avec mon ami Jean Lhopiteau me firent comprendre que le Rotary aimerait recevoir en dîner de gala un intellectuel africain de haut niveau et que certains membres avaient suggéré le nom de Albert Tévoedjré que nous avons perdu récemment. Que son âme repose en paix. Tévoedjré, il est vrai, avec la parution de livre à paradoxes, ‘’La pauvreté, richesse des nations’’ avait enflammé l’opinion tiers-mondiste. Jean Lhopiteau me demanda mon avis. Je conseillai d’inviter Tévoedjré qui était un ami étudiant militant comme moi, dans le MLN, Mouvement de Libération Nationale pour une conférence et de réserver la soirée de Gala à SENGHOR. Enthousiastes mes amis me répondirent oui, fort bien mais nous n’avons pas son contact.
J’ai répondu que je pouvais faire le contact. Senghor accepta, bien entendu. A la soirée de gala, j’étais le seul africain avec Senghor face à 250 convives rotariens. Et c’est à cette occasion que Senghor fit une révélation. En vérité, dit-il, je voulais que ce soit Wade qui me succède mais il est allé créer son parti et a déjoué tous mes plans. SSenghor m’avait proposé le poste de vice-président et l’intermédiaire choisi était M. Mansour Kama président de la CNES. Notre premier rendez-vous fut à Paris à l’hôtel Terminus de Saint-Lazare. Les premières négociations commencèrent à Dakar dans une maison à la SICAP face à Soumbédioune. J’y allais chaque fois avec mon collaborateur Ousmane Ngom à qui je demandais de m’attendre dans sa voiture dehors devant la porte.
A mon premier rendez-vous Collin me demanda de revenir la prochaine fois avec des propositions sur la manière dont je voyais l’organisation de la Présidence de la République à mon installation. Je rendis compte fidèlement à Ousmane Ngom.
Les rencontres suivantes ont eu lieu à l’Hôtel Balzac, Rue Balzac, Champs Elysées, Paris. J’étais accompagné, chaque fois, de mon collaborateur Alioune Badara Niang. Il fut convenu que je serai installé VicePrésident au mois de mars, après le congrès de l’UPS, étant rappelé que nous étions en juillet (1978 ?). Le projet n’eut pas de suite et l’histoire nous fournira les explications. En tout cas pour Collin je ne faisais pas preuve de beaucoup d’enthousiasme pour quelqu’un qui voulait être Président de la République. Le projet traîna et se perdit dans les sables de la politique avant le mois de mars.
Les conditions du départ de Senghor sont moins simples qu’il ne dit et je reviendrai sur cette question dans mes mémoires. Mme Senghor m’appréciait beaucoup et m’avait dans son estime. Ce n’est pas révéler un secret, que de dire que lorsque Senghor a annoncé son départ et que les paris sur son remplaçant furent ouverts, au cours d’un diner de famille au Palais, Mme Senghor et son fils Philippe penchèrent plutôt pour moi. Mais, par la suite, le patriarche en décida autrement. Colette, Léopold et Philippe, dormez en paix. Nous prions Dieu, le Tout Puissant et le Miséricordieux, d’accorder son pardon à la famille Senghor et de l’accueillir en son paradis.