Un bateau de migrants a fait naufrage au large de la Mauritanie. Il transportait environ 150 personnes. Soixante-deux corps ont été retrouvés pour le moment et 85 survivants ont pu être secourus. Selon les survivants, le bateau avait quitté la Gambie le 27 novembre et se dirigeait vers l’Espagne. Cette énième tragédie rappelle encore une fois, l’échec lamentable de tout un système. Nous Africains , pourquoi devons -nous être cette balafre dans la conscience de l’humanité ? Sommes-nous, Africains , historiquement et sociologiquement associés à la catastrophe et au malheur ? Nous peuples d’Afrique, ne sommes-nous pas capables de sursaut et de grandeur ? Refusons-nous le développement comme disait Axelle Kabou ?
Il est temps de situer très sérieusement les responsabilités des uns et des autres non sans analyser en profondeur et dans toutes ses dimensions, ce phénomène qui ressemble bien à un serpent de mer. Pour ma part, j’estime que la responsabilité première est celle d’un Etat qui a failli à une de ses missions régaliennes : l’obligation incompressible et non négociable de ses dirigeants , d’offrir des opportunités et des perspectives à une jeunesse totalement égarée dans l’univers des espérances ensevelies par une mal gouvernance chronique. Cette grave crise de confiance entre cette jeunesse et ses dirigeants, est le facteur qui a généré cette attitude plus que risquée et attentatoire à la dignité humaine des jeunes africains qui, contre vents et marées, prennent le large en désespoir de cause pour ‘’dem fight tekki’’. Cette note chèrement payée par nos frères et nos enfants est le résultat qui met à nu l’incurie et l’incapacité de nos gouvernants à offrir à cette jeunesse désespérée, des raisons d’y croire et d’espérer. Le deuxième niveau de responsabilité est ce trop-plein de pression sociale sur ces jeunes et qui fait que les plus téméraires d’entre eux n’hésitent pas, un seul instant, à se dire que la fin justifie les moyens. Qu’entre une vie sans espoir synonyme d’une mort sociale et une mort sur le chemin du challenge, la différence reste ténue. La famille, la communauté, parce qu’elles se représentent l’idéal de réussite que sous l’angle matériel et financier, ne cessent alors de pousser ces jeunes à se jeter à l’eau et à aller à l’assaut de l’incertitude avec tout ce que cela comporte comme corollaires.
Enfin, le dernier niveau de responsabilité et pas des moindres, est celui qui incombe directement à ces jeunes qui, parce que très faiblement préparés aux nombreuses adversités de la vie croient naïvement, qu’en dehors du voyage vers les pays développés, il n’est point possible de réaliser son projet ici même au pays et de se donner une certaine respectabilité sociale .
Globalement , le traitement de la question migratoire appelle un changement de paradigme . En réalité, nos Etats n’ont pas de politiques migratoires, ils subissent les options migratoires définies et imposées par l’Europe. Il faut que les pouvoirs publics adressent correctement cette question migratoire en ayant une approche dépolitisée et une démarche prospective basée sur une critique scientifique de leurs mauvaises politiques d’emploi et de formation d’une jeunesse qui ne manque point d’ambitions . Ces politiques n’ont engendré qu’échecs et malheurs au niveau de cette frange importante de notre population. Qui disait d’ailleurs avec le charisme qu’on lui connaît, dans une de ses allocutions et qui nous a tous marqué ceci : « je préfère la disponibilité de ma jeunesse aux milliards de l’étranger »? Le développement n’est rien d’autre que la mobilisation des énergies individuelles pour un projet collectif.
En second lieu, nous devons, impérativement, repenser notre rapport à l’idéal de réussite pour desserrer l’étau autour de tous ces jeunes qui, victimes de cette forte pression sociale, optent, de guerre lasse, pour des solutions radicalement suicidaires telles que « Barca ou barsakh ».
In fine, nous devons également dire, par devoir, que ces jeunes qui décident de partir, advienne que pourra, doivent revenir à la réalité et affronter les difficultés de la vie, car comme disait ce grand sage, « ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est plutôt le difficile qui est le chemin » autrement dit, la difficulté est consubstantielle à la vie. Toutes les religions révélées nous y préparent au demeurant. Il faut réarmer moralement nos frères, nos enfants et même nos sœurs pour qu’ils comprennent aussi, en tant que croyants et en tant qu’espoir de ce pays, que partir, et surtout dans ces conditions, est loin d’être la solution à leur angoisse existentielle. Ce continent a besoin de cette force de travail pour relever les nombreux défis auxquels il fait face. Un peu plus de foi et un peu plus de résilience leur feraient du bien. Osons alors poser les vraies questions et ne restons pas insensibles à ce drame de l’immigration. Trop c’est trop! En attendant, inclinons-nous pieusement devant la mémoire de ces garçons et filles qui ont péri dans ce naufrage et prions pour le repos de leur âme .
Amadou Moustapha DIOP
Militant de la société civile
Sociologue