Je t’ai rencontré alors que j’étais au pied de la falaise et toi au sommet. J’étais donc un apprenant-journaliste et toi, un professionnels accompli. J’étais donc, parmi tant d’autres, un stagiaire du CESTI au quotidien Wal Fadjri en 1995 (avec mes camarades de promotion Mamadou Alpha Diallo, Alassane Cissé,Issa Touré, Cheikh Dia, Abdou Karim Diarra et nos devanciers Aliou Sall et Pape Diomaye Thiaré).
Tu étais le chef du service Politique. Tu venais de signer, avec le Rédacteur en chef de l’époque, Tidiane Kassé, un livre-enquête sur l’assassinat de Me Babacar Sèye. Tidiane m’a confié au très généreux Jean Meïssa Diop pour compléter ma formation. Une des belles rencontres de ma carrière de journaliste. L’ambiance était faite d’une rigueur familiale, entre une forte exigence professionnelle et le rituel intégrateur du thé et du « bol de Sidy ».
En fin de journée, au balcon, les discussions sur l’actualité étaient également des moments de mise à niveau pour nous et de formulation de sujets entre ténors et débutants. Nous étions à l’école de l’originalité dans les angles de traitement, de la collecte sur le terrain et d’un rapport de vérité avec tous les pôles d’influence. Je suis revenu l’hivernage d’après.
En 1997, j’ai intégré la Rédaction comme membre permanent. Grand Camou, entretemps, tu es devenu Rédacteur en chef, Tidiane Directeur de la Publication et Ousseynou Guèye Secrétaire Général. Cette génération a beaucoup donné à la presse sans en attendre les ors d’une gloire monnayée ou la médaille forcée de la République. L’estime du peuple suffit à leur perception du sacerdoce.
L’attitude caractéristique de toi, Red-chef Camou, est celui du meneur d’hommes qui quitte son bureau, entre dans la salle de rédaction et demande, à chacun des reporters: « Tu es sur quoi? » Car il était increvable de se contenter de comptes rendus de séminaires sans aller au-delà des discours convenus et mettre en lumière les enjeux de la thématique. Car il était increvable de ne pas visiter les genres du reportage. Car tu savais que nous devrions affiner notre style au contact du terrain. Ta fameuse question, dite les yeux dans les yeux, nous agaçait quelquefois.
Avec le temps, tes collègues seniors et toi avez fait pour le mieux afin que vos cadets réussissent leur parcours initiatique. Au-delà du professionnel en devenir, vous, nos glorieux aînés, avez forgé l’homme en vos cadets. Avec mesure et humilité. Avec le souci du mot juste. Camou, tu as pris de précieuses minutes pour qu’ensemble, nous trouvions le mot juste dans la même famille de sens traduisant la fatigue chez les pèlerins de retour à Dakar : fatigués, éreintés, harassés, épuisés…
C’est une question d’intensité. À moi le témoin des faits, le formateur a posé des questions pour décrire la situation des pèlerins dans sa juste mesure. Précieux exercice pour la suite de ta part, toi le journaliste doublé d’un fin hommes de lettres. J’ai toujours porté ces valeurs dans mon baluchon. Ce baluchon, je l’ai déposé au quotidien Le Soleil, auprès d’autres références absolues du journalisme. Après mon départ en 1999, tu as gardé sur moi l’oeil du grand frère.
En 2006, Le Soleil à traversé une zone de turbulences sur le plan social. Tu m’as écouté et demandé d’éviter les polémiques stériles. Je t’ai sincèrement remercié. Et là, tombe une phrase qui convainc sur l’état d’esprit de l’homme et du professionnel: » Habib, je te considère toujours comme une part de moi. Et ce qui se dit lorsqu’on me rend compte de tes différents actes. »
Une idée très noble de la concurrence. Au mois de juillet de cette même année 2006, nous avons séjourné à Rabat pour les besoins du sommet du co-développement France-Afrique avec comme thématique centrale « l’immigration choisie ». Nous étions une quinzaine de journalistes africains. Camou, tu prenais le soin de vérifier ma présence avant le départ de la navette. Pieux, tu venais me chercher afin que allions, au petit matin, à la mosquée Mohamed V. Tu avais une attitude tellement protectrice qu’un fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères du Royaume chérifien m’a posé, en aparté, cette question: « M. Habib, vous êtes Directeur des Rédactions du journal Le Soleil. M. Abdourahmane est Directeur de la Publication du quotidien Wal Fadjri, n’est-ce pas ?
On dirait qu’il est votre patron et même votre père. » Je lui ai dit: » Je vais vous donner la réponse ». J’ai pris ce diplomate par la main et je te l’ai emmené avec ce message: » C’est dans le journal qu’il dirige que j’ai publié mon premier article. » Puis, j’ai continué: »
Entre reporters, nous nous disions que le trouble-fête est encore là ». Cette médisance dite à haute voix t’a arraché un rire franc. Tu étais fier du chemin que nous faisions. Treize ans et demi plus tard, c’est cette terre du Maroc qui t’a vu quitter ce bas monde. Je suis retourné à Rabat en mars dernier. J’ai beaucoup pensé à toi, à notre séjour mémorable aux plans professionnel et humain. Je ne savais que tu voulais, Red- Chef, la dernière édition de ton journal sur terre.Du Ciel,tu prieras pour que l’aspirant arpente encore la falaise. MERCI. Que Dieu te reçoive au Paradis. À Dieu Camou, Grand Rédacteur en Chef!