Dans un état de morosité économique de plus en plus insoutenable, les Sénégalais cherchent à préserver leurs progénitures de la faim, des maladies, en somme de tout ce qui fait le lit de l’humiliation. Du hameau le plus modeste de la campagne aux quartiers de banlieues de la capitale, Dakar, les citoyens ont le même dénominateur, la même préoccupation : chercher du pain. la soif de vie ou de survie est telle que le phénomène de l’émigration incontrôlée (Barca ou Barsax / Barcelone ou la mort) a ressurgi avec plus d’acuité engendrant encore plus de morts au fond du littoral nord de l’Atlantique.
L’océan est insatiable mais les jeunes désespérés, sous le ciel sénégalais, n’en ont cure. Ils n’en peuvent plus de vivre sous le toit paternel, aux dépens des parents meurtris mais tout de même résolus à assumer leurs responsabilités jusqu’au dernier souffle. Ceux d’entre ces jeunes (marchands ambulants, tabliers, portefaix, mécaniciens etc.) qui ont fait le pari de rester au pays, en trimant sang et eau pour gagner quotidiennement le pain, sont aujourd’hui bousculés pour, dit-on, désencombrer des espaces et faire des aménagements paysagers dans la capitale et sa banlieue. le projet est louable, certes, mais encore faudrait-il que les autorités municipales et les services des domaines arrêtent le mercantilisme qui autorise l’occupation anarchique des rares espaces disponibles.
Parallèlement, le gouvernement se doit de soutenir cette jeunesse par diverses mesures économiques ; sa détermination à s’insérer dans le tissu économique ne doit nullement être émoussée. Dire que le pays va mal est une vérité de la palisse. Malheureusement, il nous coûte de nous en plaindre car il existe une caste d’individus qui estiment être au-dessus de la légitimité populaire et s’arrogent le droit de déverser, à tous vents, des insanités innommables. la bouche incandescente, telle la gueule d’un dragon piquée par une sagaie, ils râlent à l’antenne ou sur les plateaux des radiotélévisions, se paient des supports pour que leurs voix portent le plus loin possible. Tout ce charivari dont le pays n’a nullement besoin est l’œuvre de personnes à l’égo surdimensionné, repues de prébendes, enfants gâtés d’une république en perte de repères.
Dans ce pays, la parole est devenue insensée, le respect, l’esprit de solidarité et la convivialité sont enfouis dans les poubelles ; le mensonge, la médisance, la calomnie et les crimes économiques ont pris le dessus sur la vertu. Comment voulez-vous que nos enfants aspirent sainement à vivre dans cet univers obscurci par des mains et des comportements sales ? Quelles alternatives s’est-on efforcé de créer pour qu’ils ne succombent pas à la tentation de Barça ou Barsax, et parviennent à se démarquer de tout ce qui est susceptible de les transformer en caïds ?
Nous entendrons les thuriféraires du prince rivaliser de zèle pour faire étalage d’un bilan dont les indicateurs traduisent plus l’enrichissement illicite des courtisans et courtiers de la république, que le soulagement de la grande masse des couches sociales appauvries. Des couches appauvries plus que de raison par le renchérissement du coût de la vie. De 1983 à nos jours, les Sénégalais sont à l’épreuve de politiques économiques cruelles : ajustement structurel, plutôt déstructurant, libéralisme déstabilisateur, pilotage à vue décrit, par coquetterie intellectuelle, sous le vocable de Sénégal émergent.
Et comme si tout cela ne suffisait pas à leur malheur, on en rajoute par des projections économiques basées sur un endettement lourd, en nourrissant l’espoir que demain le pays sera un eldorado grâce à l’exploitation de gisements pétroliers et gaziers hypothéqués à l’avance. Voilà sommairement présenté le Sénégal de la gouvernance « sobre et vertueuse ». Un tableau peu reluisant, certes, mais il semble qu’il en faudra beaucoup plus pour sortir les Sénégalais de leur fatalisme, pour ne pas dire leur torpeur, entrainés sans doute en cela par le lion endormi qui les gouverne.