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Le Sénégal En Danger D’extinction: Qui Est Coupable ?

Le Sénégal En Danger D’extinction: Qui Est Coupable ?

Suivant le récit biblique, quand Dieu a fini de créer la terre, il a vu que tout était bon (Gen.1, 9-10) et voulant donner un sens à la terre, il a donné à l’homme le privilège d’exister en lui (Gen.1, 26 -31). Et parmi les choses créées par lui, se trouve ce que nous nous approprions comme notre patrie : le Sénégal. Nom que ses enfants associent habituellement à la « Teranga » et à un pays de communion, valeurs, respect, dignité, ngor, foula ak fayda, etc. Mais je me suis demandé si Dieu, au vu de ce qu’il est devenu, ne regretterais pas d’avoir créé un espace appelé Sénégal. Avant tout, je m’excuse auprès de ceux qui considèrent toute allusion à la divinité dans un contexte banal comme un scandale. Mais historiquement, les provocateurs des scandales ont été les grands prophètes de leurs temps : la vérité sort toujours de la bouche des ivrognes ou des exclus. Demandez au prophète Jérémie, aux philosophes Socrate, Zénon, Marx … qui ont vécu dans la solitude pour critiquer et définir leur société.

Mais que peut vouloir dire être martyr au milieu de certaines personnes qui ont perdu leur sens de l’existence ? Quand j’étais adolescent, durant la première et unique année scolaire à Fatick, un après-midi, au moment de la communion familiale autour de la nourriture quotidienne ou sur le chemin, de l’école au domicile familial, on pouvait entendre dans chaque coin les échos qui émanaient de Radio Sénégal, les voix d’illustres hommes comme Ndiaga Mbaye, Samba Diabaré Samb et autres … prêchant l’unité et le sentiment d’appartenance à un pays unique en son genre à travers leurs chansons qui séduisaient plus que les performances des muses grecques. Adolescent, j’ai appris l’histoire de mon pays et le sentiment d’appartenance à travers «Intrahistoria» (comme dirait le philosophe Unamuno) ou à travers les activités simples menées quotidiennement par les composantes d’un peuple parti pour être exemplaire. Je suis tombé amoureux du Sénégal, de ses coutumes ancestrales disséminées dans ses multiples cultures. Dommage que ce SÉNÉGAL n’existe plus ou est en danger d’extinction. Il ne me reste plus que de la nostalgie. Parfois, volonté  de reproche et de punition!

Que s’est-il passé ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Je pourrais parler comme Nietzsche, critiquant la morale et toutes les caractéristiques et dimensions sociologiques de notre société actuelle, mais non, j’exercerai la vertu aristotélicienne et je serai prudent, sans être moins critique. Aujourd’hui, montrer les tares de ma patrie est synonyme d’un crime  de lèse-majesté. Celui qui prêche la vérité expose ses proches au risque de recevoir sa tête sur un plateau comme celle de Jean-Baptiste ; Le sens épistémologique de la vérité et de la cohérence est devenu une erreur et un mensonge qu’on enseigne. Les logos (verbe-parole) créatifs, la parole donnée, qui étaient gage d’honneur, faisaient craindre opprobre, ont déserté l’espace public et la tromperie, la fraude, le faux-semblant, la démagogie, la politisation ethnique … sont devenus monnaies courantes de notre société. Refuser de réciter la litanie ad hoc fait de vous un ennemi, dangereux, arrogant, suspect, s’opposant au régime … bref, « l’autre », et vous êtes perçu par la société comme l’apatride. Désolé encore, je demande juste qui vous a accordé le droit de détruire notre patrie ? Si les erreurs ne sont pas corrigées, la prochaine génération demandera des comptes, que dirai-je quand ceux qui ont tout détruit ne seront plus là ? Nous demandons-nous comment nos enfants et petits-enfants nous verront ? Sûrement, avec dépit. Nous aurons échoué !

Près d’un demi-siècle après notre pseudo-indépendance, prenant du recul, il est honteux de parler d’une société démocratique. J’entends souvent le discours léger qui vend l’image d’un Sénégal comme modèle démocratique. C’est une erreur, une pure erreur, et suffisamment de mauvaise foi. Être autocritique ne signifie pas se renier : c’est la vertu, et le Sénégal est en train de s’en déshabiller. Nous continuons d’offrir une rhétorique vaine tandis que la praxis et le pragmatisme s’éloignent de nos frontières. Même les Grecs de l’ère socratique se moqueraient de nous s’ils nous entendaient parler de démocratie. Platon se moquerait de nous en ce moment. « Elections, élections, élections » résume le sentiment démocratique de notre pays. Et pourtant, mon Dieu, mieux vaut ne pas parler ! Et les autres choses qu’englobe la vie démocratique ?

Tolérance et non-violence (Ahimsa au sens indien), justice (John Rawls), égalité, communication dans l’espace publique (Jurgen Habermas), reconnaissance de l’humanité de l’autre (Ubuntu, comme le prêche fréquemment le Maître Bachir Diagne) … Si démocratie il y en avait un tant soit peu, c’est à ses débuts ; Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, malgré toutes les critiques que nous pouvons leur faire, ont su créer un État, une Nation fondée sur la méritocratie et la crédibilité des institutions. Nous nous sommes suicidés par arrogance, c’est-à-dire en pensant que nous sommes les meilleurs alors qu’en réalité nous sommes la risée dans tous les forums internationaux. Nous avons péché par orgueil et par volonté d’être des mendiants éternels. Des Zarathoustra crient en faveur de l’introspection au milieu de la cite, mais le « monarque » continue de célébrer avec ses amis. Dommage qu’aucun dirigeant ne veuille tirer des leçons de l’exécution de Louis XVI. La chanson universelle reste la même : « Pain et démocratie !» Attention, vous semez les germes d’une violence silencieuse qui peut être dangereuse le jour où les reins exploseront, car Unamuno a dit, contrairement à Marx, que les révolutions sont toujours motivées par les problèmes d’estomac : la faim et la pauvreté provoquent des protestations. Ce fut le cas au Soudan, maintenant en Algérie, en Guinée Conakry … Le Sénégal ne fera pas exception si les erreurs ne sont pas corrigées à temps !

Je ne parle même pas des institutions. Votre image laisse à désirer. Le siège de la communauté est le plus déshumanisé de tous. En fait, lorsque je suis les débats parlementaires, j’ai honte du bas niveau et du comportement peu exemplaire : échange d’idées transformé en terrain de combat, s’embourbant dans des idéologies dépassées lorsque le contexte national et mondial nécessite d’autres alternatives de gestion publique. De loin, j’observe comment la plupart des partis perdent le sens  de leur présence au Parlement. Ils ne représentent pas la vox populi. Certains imitent le caractère héroïque parlementaire d’Aimé Césaire, tandis que les autres s’offrent en tambour-griots pour égayer certains pseudo-dieux. Messieurs, l’histoire a jugé tous les peuples et, par leur courage d’affronter leurs propres démons, aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont les références mondiales  tous les niveaux. Et nous ? 

Le tambour, beaucoup de discours, le machiavélisme, le mimétisme : ce sont les nouvelles identités de l’homo sénégalensis. Ils crieront au scandale et accusations, mais accueillerons le scandale s’il leur permet de remettre en question des choses qui ne vont pas bien : il faut que quelqu’un crie du désert parce que les intellectuels se sont retirés laissant la place aux pseudo-intellectuels. C’est l’un des plus grands péchés et erreurs du pays ! La responsabilité nous appelle à élever le niveau, tant dans la pratique que dans la rhétorique. Sinon, nous continuerons d’entendre les paroles de Napoléon : « Un prêtre vaut plus que mille gendarmes. » Nous y sommes déjà, la liberté coûte désormais la vie. Erreur, et criez le scandale !

Parmi les nombreuses inepties, il y a notre modèle économique qui est de la pure fumée. Cela ne fonctionne pas et je doute que cela puisse fonctionner tant qu’il continuera de dépendre d’un endettement absurde et de l’injection de ressources rares dans des projets couteux qui ne génèrent pas d’avantages pour la société, en particulier sans la participation du secteur privé de l’économie locale. Aucune économie ne peut survivre sans s’endetter, même les familles en ont besoin, mais une économie basée sur une distribution inadéquate et non sur des investissements stratégiques, planifiés perspectivistes et objectifs restera dans un étang ad vitam aeternam. Sans rien avoir contre les familles, et je nie toute politisation de la question, (je n’ai personne derrière moi non plus, ce qui est l’accusation-bateau), le partage et l’aide sociale est un impératif de stabilité, mais la politique de l’aide aux familles (du moins son objectif) est la plus grande erreur stratégique de l’histoire de notre pays. Si ce que nous recherchons est de réduire la pauvreté dans le pays, ce n’est pas la meilleure façon ainsi. Parce que ce qu’il fait, c’est corrompre, favoriser l’appauvrissement politique et créer une dépendance inutile. Solution ? On pourrait parler de mille choses, mais je ne parle que d’une alternative, simple et réalisable sans devoir hypothéquer nos ressources naturelles en échange du paiement de dettes étrangères.

Compte tenu de la dimension géographique de notre pays et de la répartition des ressources naturelles selon les régions, du poids démographique (notamment la force et le potentiel d’une jeunesse bien formée), des intérêts géostratégiques … chaque région a un potentiel qui le distingue des autres. Cela ne doit pas être considéré comme un handicap, mais comme un avantage. Par exemple, dans le cas de la région du sud qui comprend de nombreux avantages pour créer une économie dynamique, la chose la plus sensée serait d’investir  l’argent qui est distribué chaque année pour «nourrir les familles les plus pauvres» et les mendiants politiques au sein de trois ou quatre secteurs de la région et de les industrialiser, dans le secteur de la transformation des matières premières et agricoles, de manière à permettre la création d’emplois stables pour la population et à réduire la dépendance directe, à augmenter la production pouvant être consommée localement et dans la sous-région; de cette façon, nous gagnerions des marchés et deviendrions plus compétitifs; et étant donné que l’industrialisation est associée à la création d’infrastructures, une économie transversale et connectée est générée, tant entre les régions qu’avec les pays voisins. De telle sorte que, outre la création d’un marché intérieur solide, l’État n’aurait pas à s’inquiéter de rechercher des ressources pour donner de l’argent aux populations trimestriellement comme si elles étaient des mendiants, au contraire celles-ci amélioreraient leur économie par leur emploi, ce serait un double profit : les familles, grâce aux salaires de leurs membres et à la consommation qui stimule la production ; les taxes et les exportations généreraient des devises pour l’État. Cela permettrait de réduire la pauvreté et de mettre en œuvre les piliers d’une économie solide et compétitive.

Si les mêmes politiques sont appliquées dans toutes les régions, c’est-à-dire faire en  sorte que chaque année, au moins dans chaque région, il existe au moins cinq industries diversifiées capables de créer des emplois, sur une période de cinq ans, davantage d’emplois pourraient être créés. Nous ne serions plus indexés de pays pauvres et nous ne verrions pas nos jeunes traverser le désert. Ce n’est qu’une alternative, mais il existe de nombreuses formules efficaces et durables pour sortir du blocus national. Malheureusement, la politique et les discours creux signifient que les volontés et les idées sont tributaires de tendances amorales qui retardent notre pays.

Nous avons l’intelligence et les ressources, et la volonté politique de guérir l’épidémie contagieuse sénégalaise ? En pensant à aujourd’hui, j’aurais mille raisons de juger la génération précédente (nos parents et les dirigeants) parce qu’elles ont échoué dans presque tous les domaines. Le pays est dans un labyrinthe, dans une dépression … mais personne (sinon peu) n’ose donner des propositions cohérentes : servir comme fin en soi et ne pas voir l’État comme un moyen de s’enrichir. Certes, j’ai des études diplomatiques et je suis lié à une certaine réserve, mais le contexte m’oblige à parler. Je ne m’inquiète que de ma conscience et de la façon dont l’histoire me verra si je privilégie le mensonge. En fait, sans l’institution militaire (rigueur et discipline), nous prierions actuellement pour l’unité nationale, car toutes les institutions ont succombé : la famille, la religion, la politique et le système éducatif dont je ne parle pas. C’est un système ancien et insoutenable. Il a été créé pour générer une élite au service du Maitre qui continue de réprimer et de dicter, mais jamais pour la conscience de la société. Nous pouvons injecter de nombreuses ressources dans la création de biens, mais sans une population capable de s’approprier ces biens, tout effort est éphémère.

Quoi qu’il en soit, si je peux utiliser le langage religieux, le pays doit être purifié parce que nous avons tous péché d’une manière ou d’une autre. Quelle histoire voulons-nous écrire aujourd’hui ? Le Sénégal des clans, le pouvoir interethnique, la mort-exil de l’académie et des voix critiques, la flatterie de la renommée et du buzz au-dessus de la vérité et de la cohérence, la mort psychologique et physique perpétuelle des jeunes (en Méditerranée) vous devriez réfléchir à la manière de transformer votre pays en un exemple mondial. Si ceux qui nous dirigent veulent continuer à se réfugier dans la sombre grotte platonicienne, alors ils doivent apprendre que le temps du mythe est déjà passé. Le monde progresse à une vitesse (transparence, bonne gouvernance, respect des droits de l’homme …) que nous ne rattraperons jamais car les secteurs qui pourraient nous aider à lever la tête sont ceux que nous liquidons, souvent par de purs calculs politiques. Quelqu’un connaît-il le pragmatisme ? Nous en avons besoin. Détruisons notre maison pour dormir dans la rue, il n’y a pas de plus grande folie que celle-ci. C’est le Sénégal d’aujourd’hui !

Assez d’idéologisation : les estomacs se couchent à jeûn, les malades dans les hôpitaux luttant contre la mort à cause déficit de médicaments, les étudiants dans la rue parce que les enseignants réclament leur salaire … Un pays qui ne connaît pas ses priorités on peut le nommer autrement, mais pas un État : l’État est le symbole où les gens, quels que soient leur âge, leur religion, leur classe, leur sexe … trouvent leur protection par l’unité. Sans être d’aucun parti ni de vouloir l’être, en utilisant la voix philosophique qui prime des positions et des intérêts personnels, ici je dis publiquement que le Sénégal est malade !

Nous pouvons le sauver si nous le voulons parce qu’il est peut-être encore temps, mais Dieu, vous l’avez créé, que votre volonté soit faite !

Maurice DIANAB SAMB

Doctorant, Histoire, Culture et Pensée Critique (Universidad de Alcalá) et Sécurité Internationale (Instituto Gutiérrez Mellado, UNED), Espagne.

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