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Le Droit Et La Politique Au Senegal, Un CamaÏeu Infernal

Le Droit Et La Politique Au Senegal, Un CamaÏeu Infernal

« Le contraire de la vérité est la fausseté : quand elle est tenue pour vérité, elle se nomme erreur ». A force de réfléchir sur la relation entre politique et droit au Sénégal, beaucoup semblent croire vrai, ce qui est faux, et faux ce qui est vrai. En droit, surtout en droit contractuel, on appelle cela erreur qui est un vice qui altère le consentement et annihile le lien juridique.

En politique, la transposition est bien faisable dans la mesure où, sur beaucoup de sujets conjoncturels, expert comme quidam, excellent dans leur contrevérité au point qu’on a du mal à sortir de l’auberge anxiogène où loge notre pays à chaque évènement. Les exemples sont légion mais j’en prends juste deux, parce plus récents et plus actuels en ce début d’année où chacun cherche à recevoir une copie sanctionnéepar20/20dans les 12 mois de bonheur. Il s’agit de l’affaire dite « Guy Marius » et de celle relative à la suspension des programmes de SenTV.

Ces deux affaires ont des relents hautement politiques et surfent dans une ambiance foncièrement juridique : le droit rencontre la politique. Chez nous, il existe une constitution qui consacre et garantit la liberté de manifestation. Mais, en droit, une liberté ne s’exerce qu’à travers un droit. C’est pourquoi, il est impropre de parler de liberté de manifestation. C’est aussi une erreur de l’évoquer. A la place, il s’agit d’un droit à la liberté de manifestation. Comme tout droit, son exercice est encadré par la loi. Dès lors, pour éviter le camaïeu et aller plus vers le clair que vers l’obscur, il faut distinguer la proclamation constitutionnelle de la liberté et la légalité du droit de l’exercer.

C’est dans ce sens qu’une loi, appelée Ousmane Ngom, saluée ici et aujourd’hui et décriée ailleurs et hier, a été prise pour interdire l’exercice du droit de la liberté de manifestation dans certains espaces parmi lesquels les abords du Palais de la République.

Appliquée à l’affaire « Guy Marius », le fait d’invoquer strictement la loi Ngom nous pousse à commettre une autre erreur. Le but de la loi, n’est pas d’interdire la manifestation mais cherche à protéger le Palais de la République qu’expert et quidam considèrent subrepticement et machinalement comme la résidence du Chef de l’Etat. Or c’est là aussi une erreur. Il s’agit de sa vocation secondaire.

Le palais est avant tout un bâtiment militaire qui accueille le domicile élu du Président de la République, c’est-à-dire là où il exerce sa fonction et non où il vit obligatoirement. Son domicile fixe est son habitation principale, là où il vit naturellement. Comme bâtiment militaire, le palais est sous la gestion et la protection des gendarmes du bas au sommet, du gouverneur au chef-cuisine en passant par l’accueil et la réception. C’est en cela qu’il est une institution qui, à y voir de plus près, est même plus importante que la personne de son locataire puisqu’il lui survit. Une institution vit au-delà des personnes qui l’ont mise en place.

Dès lors, en tant infrastructure militaire et institution de la nation, lorsqu’on interdit de manifester ses sentiments à ses abords, en dehors de la loi qui le pose, on vise un symbole. Qui aurait osé se pavaner aux alentours des murs des camps Dial Diop, Samba Diery Diallo ou Leclerc sous prétexte que tu manifestes un droit garanti par la constitution ? Quel sénégalais aurait béni untel acte quelles que soient la justesse etla noblesse de sa cause ? L’exercer est une violation flagrante de la loi et une défiance à l’autorité ; aller devant les grilles du Palais de la République est une atteinte à une institution de surcroit bâtiment militaire et un seulement un lieu qui abrite le Président de la République.

Tous masques tombés, le camaïeu se dissipe. L’autre affaire porte sur la suspension des programmes de SenTV. Là aussi, le droit rencontre la politique dans une atmosphère parfumée de clivages politiciens au point que, sans bésicles appropriés, toute myopie serait préjudiciable à la bonne vision des choses. La sanction est adressée à un organe dont le patron se veut un opposant au régime et qui a donné la primeur à un adversaire politique du Président de la République de s’exprimer exclusivement à la télévion pour critiquer ce dernier et séduire sa clientèle politique. L’interdiction qui tomba dru le lendemain pouvait jeter l’opprobre sur l’analyse la plus objective du plus grand spécialiste.

Disons le clairement : la suspension n’a rien à voir avec cette exclusivité. Cependant, il faut relever que la sanction est politique et non politicienne. Une autre erreur qu’on a tendance à commettre. Il s’agit ici d’une question de politique sanitaire. Il existe au Sénégal un fléau, qui est presque érigé en pandémie parce que ses conséquences médicalement néfastes sont attestées et constatées par tous, et qu’on appelle la dépigmentation. L’OMS et toutes les instances sanitaires nationales luttent contre sa propagation à l’instar du tabac, de l’alcool et des MST. Allant dans la même veine, le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel avait pris une décision invitanttous les médias à ne plus passer de la publicité relative aux produits éclaircissants et dépigmentants. A l’issue d’une mise en demeure sans suite, il est passé à l’acte en sommant SenTV à suspendre ses programmes pendant une semaine en raison de l’inobservation de cette interdiction. Mais la proximité de la sanction et l’invitation exclusive d’un opposant, intervenant plus de deux heures à la chaine au moment où le Président de la République débattait autour de ses réalisations et de son programme futur, peut susciter la suspicion. Là encore, camaïeu ! Et c’est curieux. En appliquant la réglementation, certains invoquent un acte liberticide. En sanctionnant une violation d’une règle de droit, on brandit la limitation de la liberté d’expression. Sauvegarde de l’ordre public sanitaire contre recul démocratique.

Or, la politique sanitaire doit être promue partout et par tous. Lorsque la dépigmentation, en plus de son aspect avilissant qui porte atteinte à la santé de ses abonnés, est proscrite par le droit positif ; lorsque pour faciliter son respect, on invite tous à ne pas inciter les personnes à s’y intéresser, tout contrevenant à cette prohibition risque de recevoir la sanction prévue à cet effet: arrêter le moyen qui bafoue la loi. Ni plus, ni moins, c’est ce qu’a fait le CNRA. Il promeut une presse respectueuse des lois et règlements.

La liberté d’expression est-elle plus importante que le droit d’être en bonne santé ? Le cogito cartésien est précédé par le sein de Nietzsche. D’autant plus que plus que celle-là n’est point anéantie en l’espèce puisque la suspension des programmes repose sur la sauvegarde de l’ordre public dont le premier aspect est à la fois juridique et moral. Toutefois, toute règle de droit étant d’essence politique (en relation avec la gestion de la cité), pour ne pas soulever une certaine promiscuité des affaires politico-juridiques avec la proximité des sanctions du mois de décembre (Guy Marius, Dmedia), le CNRA pouvait envoyer au patron de Dmedia une ultime mise demeure en guise de meilleurs vœux et entamer avec joie le dialogue national.

Un dialogue qui nous permettra de mieux y voir plus clair, d’arrêter les amalgames et d’en finir avec cet infernal camaïeu politico-juridique. « Mieux vaut paix que victoire » dit-on chez les bretons même si pour les bantous, « la paix produit, la guerre détruit ».

Mouhamadou Mounirou Sy est Conseiller spécial au Secrétariat général du Gouvernement !







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