Une anecdote, une seule pour témoigner de l’incroyable influence que le Sénégal est en train d’exercer dans la sous-région: quelques jours seulement après le départ de Yahya Jammeh du pouvoir, sous la pression des forces de la Cedeao dirigées par le général Francois Ndiaye, Ousmane Bargie( Badji), l’inénarrable chef-d’Etat major de l’armée gambienne, vêtu d’un jean et d’un T-shirt, portant des tongs, au grand désespoir d’un jeune officier qui le supplie en vain de changer de tenue pour passer sur la Tfm, m’accorde un entretien exclusif dans les jardins de State House. Ceci, après m’avoir fait visiter le sidérant parc automobile du dictateur, le reste des bolides de luxe que Jammeh n’avait pas pu embarquer dans le Cargo que lui avait envoyé Idriss Deby. L’antre du satrape, qui aura régné d’une poigne de fer sur la Gambie pendant 22 ans, est désormais sous bonne garde des redoutables éléments du bataillon commando venus de la Casamance par Selety.
Quelques coups de semonce d’obus de 105 mm tirés à Kanilai par les artilleurs sénégalais et un survol de State House par un Alpha Jet nigérian sur ordre du président Buhari, ont eu raison des rodomontades de la terreur de Banjul qui n’a pas pu être sauvé par ses amis Mouhamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie et Alpha Conde de la Guinée venus à sa rescousse. Deux de ses rares amis avec Idriss Deby Itno du Tchad, qui ont tenté un ultime coup de poker pour lui sauver la mise.
En vain. Sentant que sa proie était désormais acculée et ferrée, le Président Macky Sall se montrera intransigeant: le départ de Jammeh ou un assaut frontal sur Banjul. Ayant réservé sa première visite à l’homme fort de la Gambie, le président sénégalais nouvellement élu était au début de son mandat plutôt décidé à s’accommoder du comportement erratique et des foucades de l’ex-lieutenant putschiste qui avait donné tant de fil à retordre à ses prédécesseurs Diouf et Wade.
En utilisant, entre autres méthodes peu orthodoxes, l’épouvantail du Mfdc, offrant notamment le gite et le couvert à Salif Sadio, le plus radical des chefs de guerre de la rébellion casamançaise (…)
Mais, une provocation de trop avait scellé le sort de Jammeh et il l’ignorait: l’exécution à Banjul de la dame Tabara Samba et d’un autre jeune compatriote, condamnés à mort, avait été très durement ressentie à Dakar. Ce jour-là, dans une colère rentrée, de retour d’Afrique du Sud, répondant à un conseiller qui lui demandait s’il resterait sans réagir à ce camouflet , Macky Sall lui répondra calmement : « Ce n’est pas le moment mais il ne perd rien pour attendre!» Aussi bien les militaires que les politiques attendaient en effet depuis belle lurette l’occasion en or qui leur permettrait de se débarrasser d’un président devenu une menace permanente contre la sécurité nationale du Sénégal, sans violer les lois internationales (…) Ainsi, dans son tout premier entretien à la presse accordé à l’auteur de ces lignes, le Président Adama Barrow ne cessera de donner des gages au Sénégal. Au point que sa propre sécurité est assurée aujourd’hui encore par les éléments du Gign sénégalais (…)
En Guinée-Bissau, j’ai eu l’impression d’assister à un bégaiement de l’histoire, en décrochant un autre entretien exclusif avec Umaro Sissoco Embalo, dans des circonstances qui ne relèvent absolument en rien de la prouesse journalistique mais purement et simplement d’une veine de pendu. Au départ de l’aéroport de Diass, mon cameraman Khaly Ndiaye et moi avions réussi un exploit peu commun: rater tous les deux le vol d’Air Sénégal en direction de Bissau, moi pour avoir présenté dans la précipitation un passeport expiré, lui pour une simple erreur d’orthographe sur son billet, le « Khaly » étant devenu un « Khady » ! Résultat des courses: nous avons été obligés de nous rabattre le lendemain sur Transair pour atterrir à Ziguinchor et continuer sur Bissau par la route en négociant très difficilement le passage de Mpack, les militaires Bissau-guinéens ayant fermé la frontière le jour du scrutin. C’est un coup de fil donné par une connaissance très bien introduite à Bissau qui nous fera passer exceptionnellement. Et à 18 h, un autre coup de fil d’une dame très proche de Sissoco Embaló nous vaudra le jackpot. Une interview reprise par la Bbc et Rfi au cours de laquelle Embaló avait expliqué les relations très anciennes qui le liaient à Macky Sall dont il était un membre presque fondateur de son parti l’APR quand il était en galère à Dakar et était alors hébergé par l’opposant au président Wade dans sa résidence de Mermoz.
Mais, surtout un passage dans l’entretien avait retenu l’attention: la forte inimitié qui l’opposait à son désormais homologue et voisin Alpha Condé. (…) Évidemment, l’impétrant au keffieh palestinien avait réservé sa première visite de chef d’Etat à Macky Sall. Tout comme George Weah du Liberia et Julius Maada Bio de la Sierra Leone, appuyés discrètement pendant leurs campagnes électorales par le président sénégalais.
Une politique souterraine d’influence au sein de la Cedeao, coachée par des hommes de l’ombre, qui échappe pour le moment aux radars de la diplomatie occidentale. Macky Sall, homme très secret qui ne revendique jamais rien et passe son temps à envoyer des leurres aussi bien à ses proches qu’à ses adversaires, sera-il assez habile pour faire profiter ce « soft power » inédit au privé sénégalais ? Pour le moment, c’est le plus grand talon d’Achille de l’homme qui est en train de redessiner la carte politique et diplomatique de la Cedeao. Sans tambour, ni trompette.
Ps: Ceci est juste un extrait d’un bouquin à paraître bientôt in challah, où je reviens sur les anecdotes, coulisses et entretiens recueillis dans mes différentes pérégrinations au Mali, en Guinée, Guinée Bissau, Gambie, Burkina Faso et au Rwanda, etc.