Dans les années 1940, Montréal avait la réputation d’être une «ville ouverte» où proliférait le vice commercialisé, c’est-à-dire la prostitution, jeu toléré par une police et des politiciens suspects de corruption. Ainsi Mathieu Lapointe, spécialiste de l’histoire de Montréal, dans sa monographie, « Nettoyer Montréal : Les campagnes de moralité publique, 1940-1954 » rapporte que « la corruption, la collusion, la morale douteuse gangrène Montréal et qu’il faut assainir ses mœurs politiques. Ainsi, c’est dans la décennie 1940-1950 que le scandale s’intensifie et des citoyens se liguent pour exiger le « nettoyage » de la ville et de ses institutions. C’est alors qu’entre en scène un dénonciateur-vedette, l’avocat Pacifique «Pax» Plante, ancien directeur adjoint de la police, qui accuse les plus hautes autorités municipales de corruption et de complicité avec la pègre. Et Jean Drapeau est porté au pouvoir une première fois. Il a les coudées franches pour faire des réformes dans la police ». Et Montréal, débarrassé de ses impuretés politiques et déchets sociaux, est devenu plus clean.
Si nous avons évoqué le nettoyage de Montréal corrompu et insalubre moralement des années 1940-1954, c’est pour faire un parallèle avec notre pays, le Sénégal, où une campagne de nettoyage collectif mensuel a été initiée pour rendre propre et sain notre environnement. Mais l’initiative présidentielle du « cleaning day » ne saurait prospérer dans un pays où l’incurie des mœurs de la République est à son paroxysme. Avant de balayer la rue, le président devrait plutôt s’évertuer à nettoyer la moralité publique salie et la turpitude de ses dirigeants peu scrupuleux. La moralité publique désignant la moralité de l’État, c’est-à-dire la préservation de la Res publica contre la corruption de l’administration, le détournement des deniers publics, l’impunité, la répression des opposants, la justice à géométrie variable, la manipulation du processus politique électoral, le tripatouillage du texte constitutionnel, est régulièrement bafouée. Et les lois qui reposent sur les fondamentaux de la République sont constamment piétinées. Les libertés sauvagement réprimées. Au tout début son magistère, lors d’un voyage au pays des Hommes intègres, l’alors nouveau président avait déclaré que « l’une de ses premières missions était de ne pas bâtir des ponts ou des autoroutes mais de reconstruire l’Etat de droit avec une justice égalitaire et de lutter contre le favoritisme népotique ». C’est ce cleaning-là dont le Sénégal a vraiment besoin en lieu et place des balayages folklorisés et tapageurs. Mais malheureusement, sous le règne du président Sall, l’incurie des mœurs politiques s’est telle métastasée au sein de l’Etat au point que l’on se demande si l’on n’a pas atteint le point du non-retour.
Le peu qui restait de l’Etat de droit légué par le président Abdoulaye Wade s’est effondré. La justice sénégalaise, pendant ces sept dernières années, a montré sa face la plus hideuse. Elle a été exclusivement au service d’un homme, de sa famille, de sa formation politique et non du peuple au nom de qui elle doit être rendue. Certains adeptes de Thémis n’ont pas hésité, un tantinet, de briser par des procès iniques la carrière politique de citoyens sénégalais dont l’ambition était de demander en février dernier, au nom de la démocratie, le suffrage de leurs compatriotes au même titre que l’actuel président. Pire, ils ont dénié à ces citoyens leur citoyenneté parce qu’ils ont commis le crime de lèse-majesté de guigner le fauteuil sur lequel le président Sall s’est solidement scotché. Avec de telles pratiques qui subordonnent le judiciaire à l’exécutif, la justice s’est affalée sous le magistère de Macky Sall. Et pour bâtir cet état de droit dont parlait le président du Conseil supérieur de la magistrature au tout début de son mandat, il lui faut fondamentalement débarrasser le judiciaire de ses scories comme l’avait dit, parlant de son pays, Anel Alexis Joseph, le président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et de la Cour de cassation de la République haïtienne, lors de la cérémonie de réouverture des Tribunaux le 6 octobre 2014. A cet égard, il faisait sienne cette déclaration Mme Marie-José Crespin, magistrat, membre du Conseil constitutionnel du Sénégal dans les années 90 : « Par mon engagement professionnel qui ne date pas d’aujourd’hui, disait-elle, je fais partie de ceux qui sont prêts à lutter contre un judiciaire inanimé, paralysé, pour un judiciaire apuré, débarrassé de ses scories historiques, archaïques, en faveur d’une magistrature indépendante, cohérente sans laquelle aucune société ne peut se développer ni économiquement, ni socialement et donc ne peut s’épanouir. C’est bien le pari qui est le nôtre aujourd’hui ! Débarrasser le judiciaire de ses scories historiques et constituer une magistrature indépendante et forte ! »
Indépendamment d’une justice aux ordres, nettoyer les écuries d’Augias des scandales de la corruption répugnante qui le salissent est devenu un impératif catégorique. Mais sous le règne du président Sall, les détourneurs de milliards indécrottables sont protégés s’ils ne sont pas promus à des postes plus juteux où ils peuvent continuer à accomplir impunément leur ignominie. Combien de rapports incriminant des gestionnaires qui occupent des postes de responsabilité dorment profondément à la présidence de la République, à l’Ofnac et à la Cour des comptes au vu et au su du premier magistrat de la République qui a en charge d’instaurer la bonne gouvernance dans la gestion des ressources publiques ?
Au plan politique, il est temps de débarrasser la République de ses sempiternels Pantagruels transhumants qui broutent insatiablement dans les prairies des régimes successifs. Mais la manie du président Sall est de recycler tous les déchets toxiques politiques qui puent et polluent l’espace politique et dont certains veulent instituer niaisement une présidence à vie. Le régime de Macky Sall est devenu le deuxième Mbeubeuss du Sénégal. Elle reçoit et recycle tous les déchets et ordures produits par la transhumance politique. Et sous Macky Sall, tous les déchets du PS, de l’AFP, du PDS, des partis de la gauche communiste en déliquescence dont certains sous le couvert pudique de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar se font appeler « alliés » inondent le dépotoir de la République.
Ainsi, le vrai cleaning auquel doit s’atteler le chef de l’Etat est celui qui concerne la moralité publique de laquelle dépend la santé de notre démocratie et de notre bonne gouvernance. Cleaning day pour assainir l’espace environnemental, c’est bon mais cleaning always pour assainir la moralité publique, c’est encore mieux. C’est la meilleure façon de rendre propre et sain le Sénégal dans son âme.
Ainsi, le président Macky doit méditer ces propos de Gérard Filion, directeur du quotidien canadien, Le Devoir, publiés dans l’édition du 20 octobre 1954 : « Pour que la politique conserve un minimum de décence, il faut qu’il s’opère périodiquement un nettoyage. Autrement, elle finit par se corrompre ».