Après presque un mois de contestation dont le point d’orgue avait été la première manifestation du collectif « Nio Lank Nio Bagn » du 13 décembre dernier, la colère monte chez ceux et celles qui se battent contre la hausse du prix de l’électricité. Vendredi dernier s’est encore tenue une manifestation pour exiger l’annulation des nouveaux tarifs de l’électricité. Une marche à laquelle ont pris part des milliers de personnes de tous âges et de toutes conditions. En dépit de l’absence très remarquée des partis de l’opposition et de certaines centrales syndicales, la mobilisation a encore été au rendez-vous.
L’énorme arsenal répressif déployé pour intimider les manifestants est un signe que le gouvernement cherche à briser par la matraque et les gaz lacrymogènes la détermination des manifestants, mais aussi à contenir toutes les têtes de pont qui pourraient peser dans le rapport de force contre le gouvernement. Cela n’a pas empêché, en cette énième journée de protestation, que la population descende massivement dans la rue non seulement à Dakar mais aussi dans d’autres villes de l’intérieur. D’ailleurs les slogans frappés sur les banderoles, les coquelicots, les pancartes, les T-Shirts, les bandeaux montrent toute la radicalité et la détermination des manifestants à ne point reculer dans leur combat contre la hausse du prix de l’électricité.
Stratégie de pourrissement ou de containtment
Quand des citoyens se rassemblent et s’organisent pour extérioriser leur mécontentement ou porter régulièrement leurs revendications dans la rue, il est du devoir des autorités en charge de répondre à leurs préoccupations de leur prêter une oreille attentive ou d’amorcer avec eux un dialogue pour trouver des solutions. Hélas, le pouvoir du président Macky Sall fait fi de ce devoir d’écoute et de dialogue.
En effet, l’attitude des autorités étatiques vis-à-vis des manifestants de « Nio lank nio bagne » est tout simplement inacceptable. Nonobstant les marches, les conférences de presse, la saisine de certaines autorités comme le médiateur de la République, les autorités gouvernementales semblent ne point entendre ces plaintes de la rue qui sourdent du mécontentement populaire. Elles adoptent une indifférence effarante, à la limite méprisante, à l’endroit de ces manifestants alors que nous sommes à l’heure du dialogue national. Au lieu d’aménager des plages de négociations avec ces manifestants contre la hausse du prix de l’électricité, elles préfèrent adopter des solutions de riposte agressives ou répressives. Au lieu d’enclencher des discussions avec ces milliers de citoyens qui manifestent pour le mieux-vivre des ménages, les autorités préfèrent faire la politique de l’autruche, employer des méthodes peu scrupuleuses pour déstabiliser « Nio lank Nio bagn » ou casser la dynamique populaire dudit collectif avec des programmes de diversion comme le « Cleaning day ». Si l’autorité préfectorale n’interdit pas de temps à autre les marches de « Nio lank nio bagn » au point même de réprimer durement les récalcitrants, ce sont des jeunes de l’APR qui organisent des contre-manifestations pour saborder leurs rassemblements.
C’est dans cette optique que le ministre de l’Environnement, Abdou Karim Sall, et Moussa Sow, coordonnateur de la Convergence des jeunesses républicaines (COJER), ont promis de faire face aux manifestants de « Nio lank » qu’ils qualifient d’ « imposteurs » et de « marchands d’illusions ». Pour ces responsables apéristes, ce combat contre l’électricité cache un autre qui est de vouloir affaiblir les institutions républicaines avec en tête le président de la République. Pire Aymérou Gningue, président du groupe parlementaire Bennoo Bokk Yaakaar, envisage une proposition de loi interdisant la marche durant le vendredi et le dimanche. Et pourquoi pas les autres jours de la semaine ! Ce, afin de garantir le libre exercice de culte des Sénégalais. Une telle initiative relèverait d’une imbécilité (faiblesse d’esprit) notoire de la part d’un godillot qui ignore qu’en République laïque, l’Etat connait les religions mais ne les reconnait pas.
Le Sénégal n’est pas une République confessionnelle mais, comme le stipule l’article 1 de la Constitution, « une République laïque, démocratique et sociale ». Par conséquent, le principe de séparation entre religion et Etat en République est absolu. Les religions n’ont rien à imposer ni en morale, ni en matière de mœurs à l’Etat. Et l’Etat non plus n’a pas à manipuler ou à instrumentaliser la religion à des fins politiciennes. Il est absurde de vouloir proposer une loi constitutionnellement liberticide sur la base de l’exercice d’un culte. Et parlant de vendredi, certainement Aymérou fait allusion à la prière de la mi-journée alors que les marches ne se tiennent que lorsque les fidèles reviennent des mosquées.
Et si le Président du groupe parlementaire de Bennoo a inclus dans sa proposition le dimanche, c’est pour ne pas être accusé certainement de discrimination vis-à-vis de la communauté catholique car il sait pertinemment que jamais les marches ne se tiennent dans ce pays les dimanches. Et puis, pour les animistes ou les païens que nous sommes au « Témoin », peut-il nous dire, le brave Aymérou, quel est le jour de la semaine où nous exerçons notre culte ? Ça pourrait bien être le samedi, ou le jeudi, ou le lundi… Dans tous les cas, dans sa proposition de loi, il devrait tenir compte de nous aussi…
Puisque la Constitution ne fait pas de distinction entre les différentes croyances, Aymérou aurait dû ajouter dans son propos le samedi, jour du sabbat des juifs, parce que si minime soit-elle, il y a une communauté juive dans notre pays en plus, on l’a dit, des animistes et des athées. Si, dans la stratégie du pourrissement ou du « containment » adoptée par l’Etat pour contrer « Nio lank », la direction de la Senelec n’actionne pas de soi-disant associations consuméristes dirigées par des personnes sans scrupule ou de faux imams pour expliquer à travers les médias le bien-fondé de la hausse, c’est le ministre du Pétrole et des Energies qui monte au créneau pour tempérer les ardeurs et promettre une réduction du prix de l’électricité aux environs de 2023. Et ce, pour un problème qui requiert une solution dare-dare.
Leçons non sues
Aujourd’hui, après un mois de contestation, seul le médiateur Alioune Badara Cissé, du côté étatique, a reçu les figures de proue de « Nio lank, Nio bagn » pour leur faciliter une audience auprès du président Macky Sall. Mais on a le sentiment que le président Macky Sall n’a pas beaucoup appris des événements qui ont été le catalyseur de ce vaste mouvement populaire qui avait déboulonné Wade en 2012. Quand il fallait écouter le peuple qui revendiquait contre les délestages et la dévolution monarchique et le 3e mandat, Wade, sourd et aveugle, avait préféré user de la violence pour répondre.
Ses zélotes avaient préféré soutenir la possibilité d’un troisième mandat à défaut de faire passer à l’Assemblée nationale la dévolution monarchique. Ses courtisans qui manquaient de lucidité lui ont toujours fait croire que c’était possible de faire un troisième mandat. Et au lieu de décrypter la colère du peuple qui investissait systématiquement les rues de Dakar, des ministres comme Ousmane Ngom ont cru lui rendre service en rédigeant un triste arrêté anticonstitutionnel restreignant la liberté de manifestation sur une portion du territoire national. Il s’en était suivi systématiquement une bataille farouche dans la rue entre le pouvoir et le peuple. Au bout du compte, plus d’une dizaine de morts dont les plus emblématiques sont l’étudiant Mamadou Diop et le jeune policier Fodé Ndiaye. Aujourd’hui, les mêmes nuages que ceux-là qui ont libéré la pluie d’un mécontentement déstabilisateur sous le règne de Wade commencent à s’amonceler sous celui de Macky Sall. Et ce dernier, enfermé dans sa tour d’ivoire et entouré lui aussi de courtisans, refuse de voir et d’entendre la trombe de colère qui risque de balayer à terme son régime. Au départ, c’est l’électricité qui était le ferment des revendications populaires avant que ne viennent s’y greffer la dévolution monarchique et le troisième mandat. Ce cocktail explosif sonna l’hallali du régime wadien. Aujourd’hui, c’est encore l’électricité qui fédère toutes les couches sociales et tous les âges autour de la plateforme « Nio lank Nio bagn ». Au même moment bruissent les rumeurs d’un troisième mandat ou d’une possibilité de dévolution du pouvoir au beauf Mansour Faye. Si le chef de l’Etat s’entête à ne pas prendre langue avec les manifestants de « Nio lank », il est fort probable que son dernier mandat ne pourra pas connaitre la stabilité nécessaire pour mettre en action la deuxième phase de son plan de développement à savoir le « PAP II » du PSE.