Les supporters de l’équipe nationale de football du Sénégal, en pleine euphorie et enivrés par l’auréole de la gloire promise par une constellation d’étoiles, ont souvent été victimes de désillusions et obligés d’endurer les frasques de leurs «héros» insensibles à leur désappointement. Le vedettariat, l’ostentation et l’arrogance des «demi-dieux» du ballon rond ont accentué la désaffection du public.
Sadio Mané, meilleur joueur africain de l’année 2020, apparaît ainsi comme une éclaircie dans la grisaille, une fraîcheur dans la relation qu’entretiennent les masses et les footballeurs choyés et pleins aux as, pour ne pas dire la figure de la réconciliation entre le «surhomme» et l’encenseur. C’est pourquoi, cette récompense individuelle dans un sport collectif est accueillie comme la «chose» de tout le monde, l’œuvre méritoire d’un génie de toute une Nation fière de célébrer son prodige. Il a su développer une personnalité attachante, antistar, pondérée et très peu portée sur le clinquant qui répugne dans un espace dont il connaît la misère. Le bonhomme a presque connu le dénuement et vu ceux qui s’y enlisaient. Sa grandeur est d’avoir consigné cette période «ante-gloire» dans sa mémoire et conquis l’Afrique et le monde en chérissant les vertus de son terroir, à en faisant son accotoir. Il a su faire de l’«autrefois», où on l’appelait certainement «come on town», un aiguilleur de sa trajectoire.
L’ancienne étoile de Southampton donne ainsi une leçon de vie à tous ces footballeurs brésiliens issus des favelas qui insultent leur passé et rebutent les «petites gens» de leur temps de galère, à tous ces athlètes africains s’égarant sur le chemin de la gloire, à tous ces internationaux plus prompts à réclamer des primes qu’à gambader dans les prés…Mais Sadio Mané, c’est surtout l’archétype de la morale à se fixer en public. Il est l’antithèse des nouveaux envahisseurs de l’espace partagé, perdant leur temps à des bagatelles, montrant leur munificence devant les caméras du monde et répugnant par l’insolence de leur étalage sur les scènes bouffonnes et louangeuses de la «gentry». Par pure gloriole. L’enfant de Bambaly est une bouffée d’oxygène dans une société en proie au délire narcissique. On s’époumone quand «marmonner» aurait suffi. On offre quelques quignons de pain aux âmes miséreuses qui s’en gavent avec une avilissante mise en scène que l’on a bien voulue nommer «machin du cœur». Sommes-nous ainsi passés de ce que Jean François Bayart a appelé «un commerce étroit avec Dieu» dans «La cité cultuelle en Afrique noire», parlant des religieux musulmans (ce qui n’est pas l’objet de notre réflexion, ici) à un commerce étroit et infâme avec la misère du peuple. L’espace public est devenu l’exutoire «du moi» indisposant au mépris des codes de convenance les plus élémentaires.
Le triomphe du joueur de Liverpool, en espérant qu’il y en aura d’autres, est pour ainsi dire la célébration de l’humilité, de la simplicité dans un cosmos de vains plaisirs, d’éclat et d’apparat. Ce plébiscite de tout un peuple et des sensibilités d’un ailleurs conquis n’est pas seulement un témoignage d’amour et d’affection. Il est aussi un message fort envoyé aux âmes inconsidérées dont les cœurs sont peu accessibles à la compassion, et qui, heurtant la pudeur, narguent ceux qui s’enlisent dans la misère, plastronnent et font des largesses par pur égocentrisme. Sadio Mané a tant fait pour les siens. Il leur a construit une école pour que, demain, contrairement à lui, que des jeunes puissent s’y fabriquer un destin, un hôpital pour soulager les malades. Et il n’a pas eu besoin d’ameuter les hommes rapaces, louangeurs de ceux qui «puent» l’opulence. Plus que l’artiste du ballon rond, c’est cette personnalité si attachante, si simple que les Sénégalais aiment. En espérant que les dithyrambes des laudateurs ne l’inciteront pas, un jour, à l’esbroufe. Nos éphémères «héros» nous ont si souvent déçus.