Ci-gît, le FCFA! C’est de prime abord ce qu’on pouvait retenir de la déclaration faite le 21 décembre 2019 à Abidjan par le Président Emanuel Macron (Président de la France, pays garant de la convertibilité) et du Président Alassane Ouattara (Président de la Côte d’Ivoire, la première économie de la zone et par ailleurs Président en exercice de l’UEMOA). Ce fut incontestablement, le «faire-part de décès» le plus controversé de la vie d’un instrument monétaire au regard des prises de positions des acteurs de tout bord qui s’en sont suivies.
Quoi qu’il en soi, aujourd’hui après cette annonce, il reste indubitable et j’en suis convaincu que c’est une décision d’étape dans la bonne direction à saluer dans le processus devant mener vers la souveraineté monétaire des Etats ayant en commun le FCFA. C’est dire donc que c’est une bonne réponse politique adressée particulièrement aux acteurs qui militaient pour si l’on sait jusqu’ici que le débat semblait galvaudé. Tout de même, cette sortie conjointe des deux présidents français et ivoirien est bien éclairée par celle en dernier du Professeur Kassé (L’ECO ou la continuité des fondamentaux du CFA) constituant une saillie érudite et intelligente aux nombreuses zones d’ombre qu’un débat infertile et infécond entretenu par un groupe de néophytes a voulu laisser planer. Tout le monde peut avoir droit au chapitre sur tout.
Alors, tant qu’on y est, tout le monde se dit maintenant économiste. Que n’avons-nous pas entendu ? Que le FCFA, vestige de la France Afrique, empêche l’industrialisation. (Ce qui empêche l’industrialisation est en nous). Que tous les pays de l’euro, hormis l’Allemagne qui a une industrialisation forte, ont des problèmes avec l’euro. La Finlande et le Luxembourg avec une industrialisation forestière et une industrialisation en balbutiement respectueusement seraient donc pas des pays de la zone euro). Diantre ! Quelles âneries ! Il faudrait que l’opportunité soit donnée véritablement aux acteurs de débattre des questions de fond. La science n’accepte pas l’activisme et lorsque l’éméritat entre par la porte, l’ignorance sort par la fenêtre.
La dernière sortie du Professeur clôt le débat. Il clarifie les avantages des fondamentaux du FCFA et les réformes qui peuvent être introduites en mettant l’accent sur les cinq avantages des apports du futur défunt système que sont la stabilité de la monnaie, la convertibilité, l’accroissement des échanges, le levier pour l’assainissement des finances publiques et la lutte contre l’inflation et l’espace de solidarité et de coprospérité que constitue la zone.
L’essentiel, comme nous avons eu à le faire remarquer dans une interview que nous avions accordée au quotidien l’Enquête du 7 novembre 2017, dénonçant le fait que beaucoup de non-initiés se sont invités au débat ignorant totalement le bien-fondé du maintien ou non du FCFA, est alors la nécessité de se pencher sur les questions fondamentales que sont :
1) Pourquoi la parité rigide Euro-Fcfa puis Euro-Eco?
2) Quel fondement du choix du régime de change fixe ?
3) Quel rôle et quelle gouvernance pour les éventuelles nouvelles institutions monétaires ?
Toutes ces préoccupations trouvent leur justification légitime à présent et de manière non évidente au changement de paradigme tant souhaité. La Genèse et la structuration du FCFA depuis 1939 à nos jours, faite de manière authentique contribue à élucider l’énigme de la parité rigide (comme motif la contrepartie de la garantie de la convertibilité) (I). (Parité rigide ou rigidité de la parité : est-ce tout comme ?).
Le choix du régime de change apparaissait évident avec l’abandon du FCFA et l’avènement de l’Eco comme monnaie sous régionale (II). (Pas si simple que ça !) Et après… !
Que faudrait-il faire de l’outil monétaire face à nos nouvelles formes de défis relatifs, à l’industrialisation, à l’instabilité financière, à l’inclinaison financière, au changement climatique, à la transition écologique et à l’économie verte, à prendre en charge. Une autre gouvernance des institutions monétaires jouant un rôle réajusté d’un instrument monétaire paré de ses attributs les plus modernes et de ses missions les plus avant-gardistes s’impose dans un tel enjeu.
I) Le FCFA : Genèse et structuration depuis 1939 jusqu’à nos jours Faut-il le rappeler ; le FCFA, dans toutes ses formes de mutations, a existé près de 80 ans depuis que le Général De Gaulle l’instituait après les accords de Bretton Woods. A l’époque le fondement originel de la Zone Franc restait le pacte colonial. Celui-ci se présentait comme un mécanisme exclusivement commercial avec une dimension monétaire. Le système des monnaies coloniales procédait du même état d’esprit qui fait croire que « la colonie devait être un moyen d’enrichir la métropole, ainsi qu’un atout pour lui donner poids et prestige dans le concert des pays les plus forts. Donc, créé initialement en 1939, juste avant la seconde guerre mondiale, de fait le Franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifia les accords de Bretton Woods.Il signifiait alors « franc des colonies françaises d’Afrique ». En 1958, le Franc CFA devient « Franc de la Communauté Française d’Afrique ». Avec l’indépendance, date à laquelle une première critique de nature « idéologique » traversa la Zone Franc, celle-ci entendait renoncer au pacte colonial pour lui substituer un pacte postcolonial lui procurant un rôle d’acteur au même titre que la France.
Aujourd’hui, avec l’appellation Franc CFA signifiant Franc de la Communauté Financière d’Afrique pour les pays membres de l’UEMOA et Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale pour les pays membres de la CEMAC, la Zone Franc s’articule autour de la fixité du FCFA arrimé d’abord au Franc Français puis à l’Euro en vertu de l’article 234 alinéa 1 du traité de Maastricht. Du point de vue de sa structuration , depuis la création du Franc CFA le 26 décembre 1945, 1 F CFA était égal à 1,70 FF. A la suite de la dévaluation du Franc Français (FF)le 17 octobre 1948 on a eu 1 F CFAq ui équivalait à 2,00 FF.
Le 27 décembre 1958 avec l’instauration du nouveau Franc Français (FRF), 1 F CFA coûtait 0,02 FRF. A la dévaluation du Franc CFA de 50 % le 11 janvier 1994, 1 F CFA était estimait à 0,01 FRF. Depuis le 1er janvier 1999, 1 € est égal à 655,957 F CFA d’où l’arrimage du Franc CFA à l’Euro qui offre une convertibilité (une crédibilité internationale) pour le rapatriement des réserves provenant essentiellement des recettes d’exportations par le mécanisme du compte d’opération du trésor français. Ce compte d’opération disparaît avec la naissance de l’Eco. II) L’ECO: de l’Abandon du FCFA et de la création d’une monnaie sous régionale L’abandon du FCFA, du moins dans sa forme actuelle, requiert à juste titre une réflexion profonde étant entendu que les pays membres ont des situations économiques fortement asymétriques. Au-delà du changement du nom (Fcfa à l’Eco), de la fin de la centralisation de la moitié des réserves de change de la BCEAO au Trésor Français ainsi que le retrait des représentants de la France des instances de gouvernance où elle était présente, de la suppression du compte d’opération, tout autre changement brusque (notamment la levée de la contrainte liée à la régulation institutionnelle et à l’impression et la fonte de la (nouvelle) monnaie, l’Eco) ne se fera pas sans conséquences.
Pour tourner la page du passé monétaire amphigourique – sans tout à fait le renier – le franc CFA rebaptisé Eco maintient le lien de parité fixe avec l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA). Ce qui garantit la même valeur de la monnaie pour les consommateurs et pas de brusques dévaluations possibles. Toujours à cause de ce lien avec l’euro, l’Eco est une monnaie plutôt forte, ce qui devrait faciliter les importations. En revanche, les pays de la zone franc sont pénalisés pour les exportations.
L’arrimage à l’euro empêcherait les Etats de proposer des prix compétitifs au détriment des exportations. Dès lors, il est important de faire une analyse fine en termes de coûts/bénéfices pour la Zone Franc. Les arguments pour ou contre le système du FCFA tournent autour de la convertibilité (une crédibilité internationale), la mise en commun des réserves (pot commun de devises), la maitrise des dépenses publiques (le Trésor français consent des avances mais, en aucun cas, elles ne peuvent dépasser 20 % des recettes budgétaires, pays par pays), l’évaluation par l’Union européenne (le rattachement à l’euro comme ancrage du taux de change est généralement reconnu d’avoir eu des effets favorables dans la région en termes de stabilité macroéconomique).
Aussi, pour ne pas tomber dans les travers d’une « catastrophe monétaire », il est important de considérer l’apprentissage de la gestion monétaire si l’on se réfère aux monnaies zambienne, angolaise, kenyane, ou encore vénézuélienne ou argentine qui « toutes ont été ou sont dans des situations difficiles », car ne pouvant pas « supporter des chocs exogènes ».
Dans la Zone Franc, le niveau actuel des déficits budgétaires (-6,7%) et de l’éventuelle monétisation de la dette pourraient également engendrer des effets négatifs importants qui seraient un prix exorbitant à payer pour l’abandon radical du FCFA, du reste pour sa forme actuelle. Mais il est clair que le FCFA, avec des clauses qui sont dépassées, doit être réformé pour faire place à une monnaie africaine au service du développement.
L’ECO est une étape importante mais pas la mort du serpent de mer, la prochaine étape nous mettra en face de ce que j’appelle nos nouvelles formes de dépendance. III) Et après, il faut redéfinir le rôle et la gouvernance des (nouvelles) institutions monétaires devant nos (nouveaux) défis de développement En juillet 2020, l’ECO deviendrait la monnaie de la Zone UEMOA. Et après ?
Pour autant est-ce que les importations des pays de la Zone en provenance de l’UE continueront-elles de reculer ? Elles ont chuté de près de 10%. L’Union importe du Japon et des Etats-Unis respectivement de façon négligeable 2% et 5%. Avec l’ECO la tendance serait elle renversée ?
La prépondérance des importations en provenance de la Chine se situant à 15% dans l’UEMOA sera-t-elle renforcée par l’Eco pour à terme remettre en cause l’hégémonie française en la matière ? Aujourd’hui, la Chine adoptant un régime de change flottant et devenant de plus en plus le premier partenaire commercial de la zone, ne remet-elle pas en cause la pertinence d’une monnaie fut-elle appelée FCFAou ECO qui n’est pas arrimée à un panier de devises où l’on retrouve le yuan, le dollar et l’euro ?
Quel avantage la zone UEMOA (avec un régime de change fixe) tire-t-elle à commercer avec des partenaires commerciaux (avec un régime de change flottant ou fixe) ? Il est vrai que la zone monétaire constitue selon la nature du régime de change qui y appliqué un atout pour les pays y appartenant mais aussi pour les pays partenaires commerciaux.
La France, dégringolant de la 5éme à la 7éme place dans les pays riches, par exemple en commerçant avec la zone UEMOAy tire bon nombre d’avantages. La France profite du libre transfert des capitaux, la parité de change, le faible niveau d’inflation qui offre non seulement aux entreprises françaises la possibilité de rapatrier leurs bénéfices, mais aussi la garantie dans le temps de la valeur produite par leurs investissements estimés à plus de 40% du total du stock des investissements avec la présence de plus de 700 filiales d’entreprises françaises. Certainement les zones d’ombres notamment les conditions de la convertibilité, le maintien ou non de la clause de la convertibilité « illimitée ». Les choix du système choisi sont-ils fondés sur des études scientifiques en particulier le Nigeria (71% du PIB et 52% de la population de la CEDEAO) La persistance des déficits extérieurs courants est la conséquence d’une multitude de goulots d’étranglement à la transformation structurelle des économies des Etats membres et leur capacité́ d’offre de biens et services à forte valeur ajoutée.
Il s’agit notamment de la disponibilité de facteurs de production et de leurs coûts de fourniture qui constituent des obstacles majeurs à l’essor des chaines de valeur dans les économies de l’Union. En conclusion Il appert évident aujourd’hui qu’avec ce changement de paradigme, le point d’attraction de l’ECO ne saurait être que d’assurer solidairement la force d’indépendance monétaire. Je reste persuadé qu’une zone monétaire est un atout, c’est vrai, mais qu’il faille se pencher sur les caractéristiques des politiques monétaires, outre que classiques, auxquelles nos nouveaux défis nous obligent. De nombreuses études empiriques menées sur les régimes de change admettent l’absence d’unanimité sur le choix du régime de change. Aucun cas d’école ne le dicte.
Il faudra alors que le régime de change pour la nouvelle monnaie Eco de l’UEMOA se conforme à la politique monétaire adoptée. Il se trouve que les quatre (4) régimes de changes possibles à adopter (régimes de rattachement de taux de change, régimes de change flexible, régimes de marges de fluctuation, régimes de taux de changes doubles ou multiples) obéissent à la fois aux quatre (4) catégories de politique monétaire à appliquer (politique d’ancrage du taux de change, politique de ciblage d’un agrégat monétaire, politique de ciblage de l’inflation, politique monétaire discrétionnaire).
Dés lors, il est bien clair qu’il serait assez pernicieux de défende un régime de change flottant alors que dans certains pays à régime de change flexible avec un leadership irresponsable, le financement monétaire de déficits budgétaires a été souvent à l’origine de forts taux d’inflation. Le seul régime de change qui vaille est celui permettant d’amortir nos chocs extérieurs, de renforcer la diversification de nos économies, leur résilience et facilitant la transformation de notre inclusion financière en un capital national qui sera complété par des investissements étrangers pour des ressources nécessaires à la transformation structurelle. Nous en avons besoin car tous nos projets ou programmes d’émergence voir de développement, de quelque nature que ce soit, dépendent principalement de l’extérieur.
En ce sens, je suis convaincu avec le professeur Kassé que quatre (4) solutions devraient être mises en avant pour l’utilisations des réserves de la BCEAO. D’abord, penser au transfert d’une partie des réserves extérieures aux Trésors publics des États membres. Ensuite, répartir les avoirs entre les États de l’Union au prorata de leurs parts respectives, Puis, compléter par l’émission d’obligations publiques pour financer le Programme Economique Régional PER).
Enfin, affecter une partie des ressources excédentaires à la BOAD qui emprunte sur les marchés externes pour prêter aux États membres à taux compétitif. C’est tout le sens de ce que j’avais évoqué il y’a un peu plus de deux ans que nous ne pouvons envisager le futur de l’Afrique avec la vision des autres comme avec la monnaie des autres. S’il est vrai de croire avec Bruno Cabrillac qu’on ne peut douter de la capacité de la Zone franc à atteindre les deux objectifs classiques de la zone notamment le maintien de la parité fixe et l’efficacité de l’ancrage nominal, il n’en demeure pas moins qu’il est d’une grande nécessité de mettre en place une monnaie africaine au service du développement accompagnée d’un Fond Monétaire Africain (FMA) et d’une Banque d’Investissement Africaine (BIA).
En réalité, les éventuelles nouvelles missions d’une éventuelle Banque Centrale Fédérale Indépendante (BCFI) appellent au préalable à préparer le renforcement de sa gouvernance pour lui permettre d’être à l’abri des défis majeurs liés à l’instabilité financière, le changement climatique, la transition écologique et l’économie verte, tous imbriqués à l’enjeu monétaire. Il faut savoir ce que l’on veut. Une monnaie pour ses attributs ou une monnaie pour sa politique !
Mundell avec son triangle d’incompatibilité nous avait très tôt prévenu sur l’impossibilité d’avoir à la fois une politique monétaire indépendante (1), un régime de change fixe (2) et une libre circulation des capitaux (3). Il faut choisir deux de ces trois objectifs, pour incontestablement subir le troisième. Je suis convaincu avec Michael Klein, Tufts University, que les gouvernements (de l’UEMOA) font face à ce trilemme. Ce n’est pas une sinécure. Le reste ce (ne) sont(que) des commentaires».
Dr Thierno THIOUNE
Maître de Conférences Titulaire en Economie à la FASEG
Directeur des Etudes du CREFDES
Membre du Comité Scientifique du LARED – UCAD