Sitôt nommé ministre des Pêches et l’Économie maritime, à la faveur d’un jeu de chaises musicales, le ministre Alioune Ndoye multiplie les sorties pour occuper l’espace médiatique et prendre ses marques. En pareilles circonstances, il est toujours utile de prendre le pouls du secteur et de s’imprégner des réalités du terrain. Mais, il est dommage de constater que le nouveau ministre veut danser plus vite que la musique, comme en témoigne sa décision populiste et improductive de subventionner les moteurs hors-bords pour la pêche artisanale. « L’Etat va débloquer 10 milliards de F CFA pour la subvention de 10 mille moteurs de pirogue cette année », déclare M. Ndoye. Avant de s’inscrire dans la démarche de son prédécesseur Oumar Gueye, le nouveau ministre devait tout d’abord faire l’état des lieux de ce programme. Tant du côté des pêcheurs que du côté des fournisseurs de moteurs, les problèmes ne manquent pas. En effet, cette décision de subventionner des moteurs hors-bords au profit de la pêche artisanale ne sera pas sans inconvénients sur la gestion des ressources halieutiques dans un secteur, pour l’essentiel surexploité. La pression sur la ressource sera accentuée par cette mesure annihilant ainsi tous les efforts consentis depuis des décennies pour la réduction de l’effort de pêche. Ces moteurs puissants vont pousser nos pêcheurs à aller encore plus loin en mer, au péril de leur vie. Il y a aussi le risque de favoriser l’émigration clandestine.
Cette option est en parfaite contradiction avec les orientations majeures de la Lettre de Politique Sectorielle de Développement de la Pêche et de l’Aquaculture (LPSDPA) pour la période 2016-2023. L’objectif majeur de ce cadre de référence du secteur est de « faire de la pêche et de l’aquaculture un moteur de croissance durable et d’inclusion sociale, tout en assurant l’alimentation de la population à l’horizon 2023 ». Comment atteindre cet objectif lorsque l’autorité de tutelle fait fi de toutes les recommandations des études scientifiques pour privilégier une démarche populiste en direction des pêcheurs artisans et suivre une logique de profit pour les industriels. En plus de favoriser la surpêche, l’augmentation des capacités de capture des pêcheurs sans la mise en place d’unités de conservation et de transformation est un cautère sur une jambe de bois.
Pour la pêche industrielle, la mafia autour des licences de pêche est connue de tous. Le rapport de Greenpeace publié en 2015 intitulé : « Arnaque sur les côtes africaines : la face cachée de la pêche chinoise et de ses sociétés mixtes au Sénégal, en Guinée et en Guinée-Bissau » a mis un faisceau de lumière sur cette fraude organisée. Le document renseigne qu’au Sénégal, « entre 2000 et 2014, le manque à gagner occasionné par les licences non payées par la China National Fisheries Corporation, plus grande entreprise de pêche lointaine de la Chine, a été estimé à plus de 371 404 800 FCFA ». A ce jour aucune mesure n’a été prise pour mettre un terme à cette fraude opérée par le Chinois en complicité avec des personnes haut placées dans l’administration sénégalaise. Pire, le Sénégal vient de renouveler, en catimini, le protocole d’accords de pêches accordées à l’Union européenne. Au total, une quarantaine de navires de l’UE vont siphonner nos eaux en échange d’une modique somme. Comme par le passé, le Sénégal a accordé des quotas à pêcher sans avoir fait une étude sur ses stocks disponibles. Quelle absurdité !
Autre dossier qui méritait d’attirer l’attention du ministre Ndoye pour la gestion durable des ressources halieutiques est le manque de respect ou de mise en œuvre de la règlementation aussi bien par les acteurs que par l’administration des pêches elle-même. L’exemple des permis de pêche, de l’embarquement des observateurs et de l’utilisation des filets mono filament considérés comme très destructeurs, est toujours d’actualité. Pour ce qui concerne les observateurs, un recul a été noté dans le nouveau Code de la pêche qui crée une discrimination, puisque leur embarquement à bord des navires sénégalais n’est plus systématique. Même pour les bateaux étrangers où l’embarquement est obligatoire, les observateurs sénégalais, au nombre de 10, ne sont pas suffisants pour le nombre de navires qui s’activent dans nos eaux. Concernant l’interdiction des filets mono filament, pourtant prévue par le nouveau Code, son application avait été différée par le département des pêches, confronté aux réalités du terrain. Dans ces conditions et pour une bonne politique de préservation des ressources et du milieu marin, il est légitime de se demander s’il n’était pas plus judicieux de subventionner des filets réglementaires au profit de la pêche artisanale à la place des moteurs hors-bords. Mais pour comprendre ces enjeux, le ministre Ndoye doit impérativement sortir de l’isolement dans lequel il s’est confiné et se départir de sa morgue dédaigneuse qui témoigne d’une condescendance aveuglante. Il doit privilégier une démarche inclusive et être conscient de complexité de ce département. Au lieu d’être engoncé dans ses certitudes. Un peu de modestie lui referait beaucoup de bien.
Ibrahima Diop est membre CLPA de Mbour