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La France N’en Peut Plus

La France N’en Peut Plus

Les différents sujets traités ces dernières années, dans notre pays, ont de quoi donner froid dans le dos pour trois raisons. La première est le refus systématique voire la complaisance dans l’ignorance, surtout des élites sur les questions majeures. La deuxième est le populisme sans limite qui est prêché à tout va, sous le sceau d’un combat pour le pays, avec des gens aux agendas précis.

La troisième est la démission totale des intellectuels et de l’opinion publique, leur lassitude sur presque toutes les questions publiques. Sur le Dialogue national, la question de l’électricité, les stratégies du Sénégal pour l’exploitation de son potentiel en hydrocarbures, les arguments des plus fallacieux sont présentés.

Que des acteurs politiques ou motivés par des intérêts divers justifient de telles contradictions n’est pas un problème en soi, mais que des cadres de notre administration ou de diverses autres sphères de cette société tombent dans le panneau est problématique. 

Le Sénégal sera à plaindre. La complaisance dans l’ignorance est le constat qui peut être fait quand les cadres politiques ou même de l’Administration du pays n’ont aucune lisibilité sur les politiques conduites par l’Etat du Sénégal, de même que sur les enjeux majeurs. Se satisfaire des brèves de comptoir et rumeurs alors que toutes les sources d’informations et ressources sont à portée de main, est condamnable au plus haut point. Se faire colporteur ou relais de tous les raisonnements et théories «complotistes» sur la marche du pays renvoie une image peu crédible de nos institutions et des populations qu’elles servent.

Des circonstances permettent au «complotisme» de se faire une audience. Il faudrait se questionner s’il gagne les rangs de nos administrations et s’invite dans les mécanismes d’interprétation et d’analyse de nos cadres.

L’opium des imbéciles

On ne peut pas ne pas s’arracher les cheveux quand chaque fois qu’une question essentielle est posée dans ce pays, faute d’arguments, de grands esprits se réfugient derrière une réponse simpliste, alléguant un complot ourdi par on ne sait qui, contre qui et pour quel but.

Il suffit de relever par exemple que jamais le Sénégal n’a mis autant d’argent dans la gestion de la Senelec et qu’il faudrait savoir où sont passées toutes ces ressources publiques, pour qu’on trouve dans la démarche le déroulé d’un complot contre Mouhamadou Makhtar Cissé ou d’un agenda politique quelconque pour la succession du président Macky Sall. Et il se trouve des relais à de telles élucubrations !

Il suffit de poser la question de savoir comment le Sénégal a pu engloutir plus de 30 milliards de francs Cfa dans quelque quatre bâtiments inachevés de la future université Amadou Makhtar Mbow ou que jamais les bourses payées aux étudiants n’ont été aussi chères pour le budget de l’Etat, ou que les finances publiques ont été braquées pour payer des écoles privées, que l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane, se pose en victime d’un complot fomenté au profit de son rival politique à Saint-Louis, Mansour Faye. Sans doute que se poser en victime procurerait une immunité dans ce pays.

Il suffit de révéler un trafic de faux passeports diplomatiques sénégalais pour que des proches du ministre des Affaires étrangères, Amadou Ba, voient derrière une telle information un coup tordu ; il suffit de relever une baisse des performances économiques du Sénégal et des tensions de trésorerie ayant causé l’arrêt de nombreux chantiers de l’Etat pour que Abdoulaye Daouda Diallo crie au complot.

Les médias n’auraient pas le droit de relever les ratés répétés au niveau de la politique sécuritaire de l’Etat pour ne pas donner l’impression de chercher à faire couper la tête de Aly Ngouille Ndiaye. Quand des vieillards qui ont eu à vivre pleinement leurs belles années de jeunesse passent leur temps à ne rechercher sur internet que les actes de sexualité concernant leurs compatriotes, pour les brandir comme des menaces contre notre société, nul n’a le droit de relever cette inquisition au risque de passer pour faire partie de groupes homosexuels, maçonniques ou de dépravés.

D’ailleurs, chaque fois, on menace de publier des listes dont la réelle existence reste toujours dans l’esprit de ceux qui prétendent les détenir. Finalement, c’est tout le monde et personne qui serait franc-maçon, homosexuel, trafiquant de drogue ou dépravé sexuel. «Le complotisme ne relève pas de la psychiatrie. Il est avant tout une ressource discursive mise au service d’une lutte politique», soutient Rudy Reichstadt dans son essai L’opium des imbéciles.

Les théories complotistes ont des idéologies et des agendas précis pour notre société et accompagnent le combat politique de certains acteurs. Elles font leur jeu, car tous les raccourcis farfelus et simplistes sont utilisés pour faire des relations, faire paraitre une main invisible et ingénieuse qui fixerait tout. Cette main dans notre Sénégal, passe de lobbys économiques tapis dans l’ombre, aux loges maçonniques, en passant par la France, ou de barons du jeu politique.

Au gré des intérêts, on se complait à donner toutes les prérogatives à un grand manitou, à la précision d’un métronome, pour décider de la pluie et du beau temps dans nos sphères politiques et économiques. Les réseaux sociaux n’aidant pas, les plus folles rumeurs et théories sont propagées à une telle vitesse, que bien de mal est fait à toute une communauté qu’on fissure, offensive après offensive.

Le doute, une fois qu’il est semé, rend complexe la crédibilité pour tout autre discours véridique. Qu’une partie croissante de la population tombe dans ce piège est un mal regrettable, mais voir les élites et intellectuels dans cette spirale est bien regrettable.

Napoléon disait : «Quant au courage moral, il est fort rare celui de deux heures après minuit ; c’est-à-dire le courage de l’improviste qui, en dépit des événements les plus soudains, laisse néanmoins la liberté d’esprit, de jugement et de décision.» Le Professeur Moustapha Kassé, dans une tribune publiée dans ces colonnes, revenait sur la démission des intellectuels, malgré leur rôle crucial dans «le processus de transformation progressiste de toutes les sociétés humaines».

Triste est de dire que les constats posés par le Pr Kassé en 2004, sont les mêmes, une quinzaine d’années plus tard, avec un plus grand laisser-aller. Le savoir et l’expertise se sont tus, laissant le champ libre à des agitateurs du débat. Les intellectuels n’engagent plus le débat et ne l’orientent plus. Ils le subissent, jouent à partir des règles que fixent les politiques et activistes en tous genres ; nul besoin de rappeler l’aspect partisan et intéressé des combats de ces deux catégories d’acteurs du débat dans notre société.

Les intellectuels en arrivent à ne plus oser parler des avantages du Franc Cfa sur d’autres monnaies africaines. On craindrait de passer pour des valets et autres suppôts de la France. Ainsi, le débat public sur cette question cruciale est laissé à l’homme de la rue, à des personnes qui n’arrivent même pas à aligner deux phrases correctes au cours de leurs multiples conférences de presse couvertes à grands renforts médiatiques.

L’inanité du discours n’empêchera pas de grands médias de leur redonner la parole, encore et encore, pour débiter des inepties. Un populisme sans état d’âme est ainsi nourri, car la population sénégalaise dans sa majorité, n’étant pas outillée à détecter toutes les subtilités des messages qui lui sont transmis, ne cesse de se faire abuser.

On ne cesse de magnifier un peuple avec des valeurs suprêmes qu’une élite corrompue et faillie ne cesse de trahir. Pierre Rosanvallon décortique le populisme actuel comme une obsession pour un peuple sublimé et homogène face à une élite à bout de souffle.

Ce peuple pétri de valeurs et qualités s’incarne dans la figure d’un leader messianique, en plus d’une passion particulière pour le protectionnisme économique, soutient Rosanvallon dans Le Siècle du populisme. Le complotisme comme le populisme, qui se servent mutuellement, ont comme dénominateur commun la poursuite d’agenda idéologique clair. On a bien le droit de nous demander ce qu’on a fait au Bon Dieu pour que tout ceci se retrouve chez nous !

La coupe est pleine pour la France

Il est de bon ton d’accuser et d’accabler la France. Mais, on ne le dira jamais assez, le plus absurde est que nombre des personnes qui pourfendent la France font le tour du monde avec un passeport français. Leur esprit panafricaniste et d’attachement à la terre de leurs ancêtres ne les poussera jamais à préférer le passeport d’un pays africain à celui de la France.

Ainsi, dans une certaine logique idéologique d’un autre âge, ces personnes sont invitées pour donner des conférences rétribuées, à des fora notamment en Chine ou en Russie, pour plaider la nécessité pour des pays africains à rompre avec la France.

Pourtant, les pays qui les jouent ainsi contre la France ne manquent aucune occasion ou opportunité pour faire du business lucratif avec la France. Dans un pays comme le Sénégal par exemple, quand des contrats sont donnés à des entreprises chinoises, britanniques, turques, indiennes ou russes ou arabes, personne ne trouve à redire. Par contre si l’entreprise contractante a une origine lointaine en France ou que ses dirigeants ont un lien quelconque avec ce pays, on va vite crier au scandale de la spoliation.

Cette question n’est pas nouvelle, en janvier 2019, nous avions publié un papier pour dire : «Attention aux clichés sur les intérêts français.» Les peuples africains ont sans aucun doute de gros contentieux ou un lourd passif vis-vis-vis de leurs relations avec la France. Les négriers et colonisateurs ont longtemps eu des comportements de salauds à l’endroit des populations opprimées. Les historiens nous diront si l’attitude de la France à ces moments de notre histoire a été plus hideuse et plus ignoble que celle des autres nations, mais on constate aujourd’hui que la France se trouve être le pays le plus stigmatisé par les Africains.

Nos retards et nos échecs sont imputés à la France et la mal gouvernance de nos pays est du fait de la France qui maintiendrait encore le rapport d’exploitation des peuples africains. Du reste, on ne peut tomber à bras raccourcis sur le président Macky Sall qui a indiqué assumer son soutien à la France dans le combat au Sahel contre les terroristes islamistes. A la vérité, les soldats des autres pays qu’on voudrait préférer à la France n’ont pas accouru pour stopper les colonnes «jihadistes» aux portes de Bamako.

Les militaires étrangers tués au Sahel sont français mais pas britanniques ou chinois ou russes ou japonais ou arabes. Pourtant, on ne reconnaîtrait même pas ce mérite à la France. L’agacement du président Macron est justifié quand il dit : «Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements anti-français, parfois portée par des responsables politiques.»

La France ne pouvait pas donc continuer de faire comme si de rien n’était, quand des officiels africains, au dernier Forum de Dakar sur la Sécurité ou à travers des médias, se permettaient de stigmatiser la France présentée comme responsable de l’inefficacité de la lutte contre les terroristes au Sahel.

La France a même été accusée de laisser pourrir la situation afin de réaliser un dessein de partition du Mali ou de continuer à charger des aéronefs militaires, de lingots d’or ou de pouvoir exploiter, sans payer de redevances, l’uranium du Niger. La coupe est pleine. Le ras-le-bol de la France exprimé par le président Macron n’en a pas moins des relents économiques.

La France ne semble s’accommoder de continuer à se voir réserver le boulot ingrat de voler à chaque fois au secours des pays africains pour des urgences sécuritaires, des appuis budgétaires vitaux ou dans leurs négociations avec les institutions internationales, alors que quand il s’agit de donner des marchés, ces mêmes pays africains choisissent de faire le business avec la Chine, l’Inde, la Russie ou la Turquie ; parce que les hommes d’affaires de ces nouveaux pays-partenaires manipulent plus facilement des sommes en cash, en dehors des circuits sous contrôle. 







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