Les corps de contrôle, en tant qu’organes de contrôle des finances publiques ou de régulation du système de passation des marchés entre autres missions, statuent en matière de comptabilité publique ou de marchés publics. Ils participent à améliorer la gestion des ressources publiques donc au développement du pays. Hélas, l’on constate que les rapports de nos corps de contrôle sont sujets à polémique s’ils ne sont pas simplement discrédités par leurs propres commanditaires. En sus, ils peuvent servir de moyens de pression contre des impénitents ou d’armes pour éliminer des adversaires politiques !
« A quoi servent l’Inspection générale (IGE), le Contrôle financier et la Cour des comptes ? Voilà, sans doute, une question que beaucoup de Sénégalais doivent se poser, au regard du nombre de rapports produits par ces corps de contrôle de l’État. Des rapports souvent sans lendemain. Quelle finalité vise la production des rapports de ces corps de contrôle ? Quel est l’intérêt d’envoyer des bataillons d’inspecteurs, de juges pour aller constater d’innombrables cas de prévarications sans leur donner une suite quelconque, malgré les recommandations qui sanctionnent leurs investigations ? Les médiatiser pour la bonne cause politicienne ? », s’est interrogé à juste raison Ababacar Fall « Barros », ancien contrôleur de gestion à la direction du budget au ministère des Finances, dans une contribution parue le 14 septembre 2014 sur le site SenePlus.
Même son de cloche du côté de l’avocat Moussa Sarr qui, dans un entretien accordé au site Senego le 6 août 2019, déclarait ceci : « Quand on organise une administration, il faut qu’il y ait certains qui contrôlent le fonctionnement de l’Etat, l’administration, à travers des démembrements… C’est donc une nécessité. Certains corps de contrôle font leurs rapports et font des observations qui n’aboutissent pas. Des dossiers qui n’arrivent pas à la Justice. C’est une des difficultés (…) Et ceux qui sont dans ces corps de contrôle font partie, en général, des fonctionnaires les plus doués. Parfois avec des budgets consistants… Donc s’ils font des rapports sans suite, il est légitime de nous demander à quoi servent ces corps de contrôle. » Ces questions soulevées par Barros et Moussa Sarr sont largement partagées par les sénégalais qui n’ont jamais eu le sentiment que les corps de contrôle que sont l’ARMP, la Cour des comptes, l’IGE (inspection générale d’Etat), l’IGF (inspection générale des Finances), l’Ofnac servent à grand-chose.
Notre confrère Pape Alé Niang n’a pas dit autre chose au cours de la présentation de son ouvrage. « Scandale au sein de la République : le dossier du Coud s’est interrogé sur « l’utilité de cette pléthore d’institutions de contrôle ».
Sous le régime du président Abdoulaye Wade, les instruments de contrôle ont joué pleinement leur rôle en publiant périodiquement leurs rapports mais la suite judiciaire a toujours failli. L’une des rares fois où l’on a vu la justice donner suite aux rapports de la cour des comptes (CDC), c’était au lendemain de la coupe du monde 2002 où le comité Sénégal foot avait détourné des sommes énormes lors de cette compétition mondiale.
Pourtant le président Macky Sall, dès son arrivée au pouvoir, avait déclaré la guerre à la mal-gouvernance. Ainsi dans son discours-référence du 3 avril 2012, il indiquait ceci : « S’agissant de la gouvernance économique, je serai toujours guidé par le souci de transparence et de responsabilité dans la gestion vertueuse des affaires publiques. Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux. Je compte restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’Etat la plénitude de leurs attributions. L’assainissement de l’environnement des affaires et la lutte contre la corruption et la concussion me tiennent particulièrement à cœur. »
Le président et son entourage sont les premiers à dénigrer les rapports des corps de contrôle
On voyait à travers le nouveau président le champion de la bonne gouvernance, de la vertu et de la transparence dans la gestion des ressources publiques et surtout quand il a mis en place l’Ofnac (office national de lutte contre la fraude et corruption) en le dotant de réels pouvoirs et d’importants moyens. Mais la suite a prouvé que le président n’était mû que par l’euphorie du début puisque, deux ans après sa prise de fonction à la tête de l’Etat, les rapports des corps de contrôle, à défaut d’être publiés, souffrent sous le poids de son coude pointu. Ainsi de 2014 à 2019, les rapports des corps de contrôle se faisaient désirer. Il a fallu que les magistrats de la Cour des comptes tapent sur la table et menacent de publier les rapports concernés pour que le président levât son coude sur les rapports de 2015, 2016 et 2017.
Comble d’absurdité, c’est le président et son entourage qui sont les premiers à dénigrer les rapports des corps de contrôle quand ces derniers épinglent la gestion de hauts responsables de leur parti, l’alliance pour la république (APR). Quand la première patronne de l’Ofnac, Nafi Ngom Keita, avait publié ses rapports 2014 et 2015, les apéristes l’avaient crucifiée pour avoir eu l’outrecuidance de mettre à nu la gestion scandaleuse de certains de leurs camarades à la tête d’entreprises publiques ou parapubliques. Oumar Youm, l’alors directeur de cabinet du président de la république, dont la sœur aurait été recrutée par Cheikh Oumar Hanne (directeur du coud) avait fustigé la démarche de l’Ofnac qui, selon lui, « n’a pas respecté son obligation de réserve ». Une déclaration en porte-à-faux avec l’article 17 du texte de l’Ofnac qui stipule que son rapport « est rendu public par tous moyens appropriés ».
Le président qui a promu un corrompu et détourneur de deniers publics comme ministre n’a pas hésité à prendre sa défense lors de son « khawaré » de presse organisé au palais après son adresse à la nation du 31 décembre 2019. Il disait ceci : « Le cas de Cheikh Oumar Hann, quand il était au Coud, je l’ai appris par la presse. J’ai lu que l’Ofnac a épinglé untel parce qu’il a dépensé 80 millions pour l’accueil du président à l’Ucad. Ce n’est pas le rôle de l’Ofnac de parler des subventions et de ces questions. » Le point d’orgue de ces attaques contre l’Ofnac et sa directrice Nafi Ngom est atteint avec les déclarations farfelues et irrespectueuses de l’ancien Premier ministre Mohammad Boun Abdallah Dionne. Lequel ne s’est pas gêné pour jeter le discrédit sur les personnalités ayant fait de l’institution anti-corruption une réalité.
Selon Dionne, c’est un Français qui a dirigé l’enquête de l’Ofnac ayant éclaboussé Cheikh Oumar Hanne. La Cour des comptes, non plus, n’est épargnée par les tirs groupés des félons du pouvoir en place. Le seul ministre à avoir osé rabrouer et humilier des magistrats de ce corps de contrôle, c’est Moustapha Diop. Alors ministre délégué auprès du ministre de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, chargé de la microfinance et de l’Economie solidaire, Moustapha Diop avait lancé à la figure d’Abdoul Magib Guèye, président de la commission des comptes et de contrôle des entreprises publiques, et de ses collègues ce qui suit : « Vous êtes de petits magistrats de rien du tout, payés pour me déstabiliser… Vous ne faites pas partie de la Cour des comptes, mais de la Cour de règlement de comptes. » Pour récompenser cet insulteur, des éminents membres d’un de nos plus illustres corps de contrôle, le président de la république l’a promu ministre plein ! ce là où l’attitude normale dans un Etat de droit aurait consisté à le limoger immédiatement de ses fonctions de sous-ministre ! outre l’action judiciaire, l’Ofnac avait demandé dans son rapport que Cheikh Oumar Hanne soit relevé de ses fonctions de directeur du coud et que toutes les mesures soient prises pour qu’il ne lui soit plus confié la responsabilité de diriger une structure publique. Recommandations scrupuleusement respectées puisque le délinquant Cheikh Oumar Hanne a, lui aussi, été promu ministre ! il n’y a qu’au Sénégal où l’on ose s’attaquer à des juges financiers et recevoir en contrepartie une promotion à la place d’une punition !
En octobre 2012, l’IGE (inspection générale d’Etat) avait indiqué que la société PétroTim ne remplissait aucune des conditions pour obtenir un permis de recherche et d’exploitation des hydrocarbures au Sénégal. Nonobstant cette mise en garde, l’Etat avait contrevenu à l’article 8 du code minier qui stipule que « nul ne peut disposer d’un titre d’hydrocarbures s’il ne dispose des capacités techniques et financières pour mener à bien les opérations pétrolières ». PétroTim, qui ne remplissait aucune des conditions requises, s’est vu attribuer illégalement des blocs de Saint-Louis offshore profond et de Cayar offshore profond par le président Macky Sall suite à un rapport de présentation de son ministre des mines, Aly Ngouille Ndiaye, et à l’entregent de son propre frère Aliou Sall
Samuel Sarr épinglé se la coule douce auprès de Macky
Le rapport de l’IGE de 2013 avait épinglé la mauvaise gestion de la société africaine de raffinage (Sar) dans les années 2010. Et partant de ces malversations, l’IGE avait suggéré «l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de l’ancien ministre de l’Energie et de l’ancien Directeur général de la SAR, Carmelo Sagna ». Aujourd’hui, Samuel Sarr se la coule douce auprès de Macky Sall qu’il a soutenu lors de la dernière présidentielle. Mais si les rapports des corps de contrôle sont flétris parfois par les gens du pouvoir en place, ils peuvent dans certaines occasions servir de moyens de pression pour pouvoir pousser des responsables de l’opposition au ralliement ou à la transhumance. Ou, simplement, à éliminer des adversaires politiques. En atteste, le rapport de l’IGE 2015 qui a « épinglé » la gestion de l’alors maire de Dakar, Khalifa Sall, et l’a opportunément conduit en prison en l’écartant de la présidentielle après l’avoir privé de ses droits civils et politiques.
C’est donc dire que ces rapports de nos corps de contrôle, au lieu d’aider à promouvoir la bonne gouvernance et la bonne tenue des finances publiques, deviennent des instruments de chantage ou de coercition aux mains de l’exécutif qui les manipule à sa guise pour faire chanter ou briser des adversaires politiques présumés coupables de mauvaise gestion. Aujourd’hui comme par le passé, beaucoup d’hommes ou de femmes politiques ont rallié le parti au pouvoir ou transhumé parce que des rapports les incriminant sont suspendus au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès. En utilisant les rapports de corps de contrôle comme une arme de protection ou de destruction, le régime du président Macky Sall discrédite ses propres institutions pour protéger des prédateurs financiers et des brigands à col blanc. Pis, il viole ses propres lois comme le disait le vérificateur général François Collin, quand, à l’occasion de la cérémonie de présentation du rapport public sur l’Etat de la gouvernance et la reddition des comptes 2014, il décriait la présence de secrétaires généraux de hiérarchie b nommés dans les ministères par les présidents de la république successifs. Mais si le président, qui a l’honneur de recevoir en premier les rapports des corps de contrôle avec la prérogative de mettre sous le coude certains d’entre eux parce que les informations qu’ils contiennent accablent principalement ses propres partisans, c’est parce qu’il n’appréhende pas encore l’importance de la mission qui lui a été assignée par le peuple. Un comportement qui détonne avec son discours-référence où il jurait que, pour la bonne tenue des ressources publiques, il ne protégerait personne. Paroles, paroles en l’air au vu du sort funeste réservé aux rapports des différents corps de contrôle depuis que le président Macky Sall est au pouvoir.