Le premier janvier 2020, les résultats provisoires du deuxième tour de l’élection présidentielle du 24 novembre 2019, opposant Domingos Simões Preira, candidat du Paigc, à Umaro Sissoko Embalo, candidat d’un jeune parti politique dénommé Madem-G15, formé par des dissidents du même Paigc, ont été proclamés par la Cne (Commission nationale des élections). Le Président José Mario Vaz a été éliminé dès le premier tour. Il n’est arrivé qu’en quatrième position. Cas inédit, pour un candidat à sa propre succession. Mais le fait, qui nous avait marqué et consolidé notre espoir d’une Guinée-Bissau en voie de l’apaisement, a été le suivant : c’est la première fois, qu’un président de la République, malgré une chronique crise politique, que les gouvernants n’arrivent pas encore à surmonter, a terminé son mandat, sans bruit de bottes et sans coup d’Etat. Est-ce la preuve que l’Armée bissau-guinéenne est en train de s’éloigner du champ politique, pour devenir une Armée républicaine, tout en s’adaptant au fonctionnement d’un régime démocratique ? «Wait and see», aurait-on répondu un anglais. Pour mettre l’Etat de la Guinée-Bissau sur les rails du fonctionnement d’une République démocratique, il faut que les citoyens changent de comportement et, par le biais d’une Société civile mieux organisée, obligent ceux qui sont engagés dans la politique, surtout les gouvernants, à changer le leur. Il faudrait aussi que l’organisation, ainsi que le fonctionnement des Forces armées, soient revus ; que le recrutement des hommes de tenue se fasse sur la base de critères définis par la loi, mais également que leur effectif, et l’implantation des casernes, réponde à une stratégie globale de la défense nationale, tout en tenant compte des possibilités matérielles et financières du pays ; sinon, demain ne sera jamais la veille.
L’annonce des résultats provisoires du second tour de cette élection présidentielle, dont le candidat Umaro Sissoko Embalo a été déclaré vainqueur, a donc coïncidé avec le premier jour de l’an 2020. Tout un symbole, pourrait-on dire. Mais le candidat du Paigc, Domingos Simões Preira, n’a pas tardé à réagir, pour contester les résultats provisoires de ce second tour, au motif qu’il y aurait beaucoup de tricheries et d’irrégularités qui, selon lui, exigent une révision des procès-verbaux, voire le recomptage des voix. Liant la parole à l’acte, il a saisi le Suprême Tribunal de Justice qui, conformément à la loi électorale a, ipso facto, saisi la Cne, pour la révision des procès-verbaux. Sans tenir compte de la recommandation du Suprême Tribunal, la Cne a publié, deux semaines après, les résultats définitifs, qui ont confirmé la victoire de M. Umaro Sissoko Embalo. Et nous voila devant un bras de fer, jamais connu auparavant, entre ces deux institutions. Le Président du Niger, et à la fois président en exercice de la Cedeao, s’est impliqué dans le dossier, pour voir comment aider les Bissau-Guinéens à sortir de l’imbroglio. Il a dépêché une délégation à Bissau. Après s’être entretenu avec les deux institutions et les deux candidats, cette délégation a recommandé la vérification des procès-verbaux, en présence des représentants de cet organisme inter-Etats et des deux candidats. Le résultat de ce travail est tombé le 4 février, confirmant, une fois de plus, la victoire de M. Sissoko Embalo. Mais le Paigc, parti de Domingos Simoes Preira, n’est pas d’accord. Une simple vérification des procès-verbaux ne le satisfait pas, il exige le recomptage des voix, voire l’annulation de cette élection présidentielle. Quant à M. Umaro Sissoko Embalo, il s’est déjà fixé la date du 27 février, pour son installation. «Quelles que soient les conséquences», a-t-il prévenu. Cette crise postélectorale pourrait mettre en péril la stabilité du pays, si nos deux candidats et leurs souteneurs ne maitrisent pas leurs nerfs, en faisant attention aux propos qu’ils tiennent. Mieux vaut perdre une élection, fût-elle présidentielle, que de perdre la paix et la démocratie. Le seul et unique Projet, qui intéresse les Bissau-Guinéens, est le développement de leur pays, ce qui va de pair avec le raffermissement des bonnes relations qui ont toujours existé avec les pays voisins et le reste du monde. Au-delà de cette polémique à distance des deux candidats et de leurs souteneurs, nous pensons que le Suprême Tribunal de Justice, institution arbitrale des élections, doit dire au Peuple où se trouve la vérité. Et rien que la vérité, celle des urnes.
«Un homme ne doit pas se considérer comme un être borné à une simple existence passagère et isolée. Il doit plutôt se considérer comme une partie d’un tout, le coopérateur de l’Ouvrage universel», écrit Condorcet. Quant au Président Senghor, il souligne que «pour vaincre la mort, il faut se marier, se multiplier par deux, et avoir des enfants». Mais le poète-président, pour qui l’utilité d’une vie dépend de l’usage que l’on en fait, ne s’arrêtait pas en si bon chemin, il ajoutait que le plus important, «c’est de créer des œuvres de beauté, qui résistent, survivent et, devant les générations futures, témoigneront pour vous». L’Ouvrage universel, dont nous parle Condorcet concerne tout le monde, mais, il appartient aux gouvernants de remplir correctement leur mission, qui consiste à servir leur Peuple pour laisser un bilan que ceux qui viendront plus tard pourront commenter, critiquer, et, au besoin, poursuivre, tout en faisant les corrections qu’elles jugeront nécessaires. «La différence entre un politicien et un homme d’Etat», dit Clarke Freeman, «est le suivant : le premier pense à la prochaine élection, tandis que le second pense à la prochaine génération». Pour Clarke Freeman, un homme politique doit être vertueux, autrement dit, quelqu’un qui ne se soucie que de sa modeste contribution à l’Ouvrage universel, sans chercher à tirer un profit exclusivement personnel.
Les Bissau-Guinéens doivent extirper les démons de l’ancien régime ; ceux de la haine, de l’exclusion et de «ronka forsa», qui grouillent encore dans le cœur de certains. La stabilité politique d’un pays exige que les détenteurs du pouvoir soient des femmes et hommes vertueux, qui ne travaillent que pour l’intérêt général, ce qui suppose que les responsabilités soient démocratiquement partagées. Le problème de la décentralisation du pouvoir s’impose sérieusement en Guinée-Bissau. Rappelons que c’est après l’instauration du multipartisme que le problème s’est posé. Le gouvernement avait voulu, à travers un projet de loi, qui ne tenait pas compte de l’ensemble du territoire national, ériger certaines contrées en «freguesias» (municipalités). Bissau et les chefs-lieux régionaux avaient été sélectionnés, pour être érigés en municipalités. Le monde rural fut, pour ainsi dire, complètement ignoré. Si ce projet de loi avait été voté et mis en application, la majorité des Bissau-Guinéens, particulièrement le monde rural, n’aurait pas la possibilité, au moyen d’un bulletin de vote, de choisir librement et de sanctionner leurs représentants au niveau local. Cet insolite charcutage administratif et discriminatoire ne pouvait être acceptable, parce qu’il n’allait pas dans le sens de la cohésion nationale et de la consolidation de la démocratie. Ce fameux projet de loi, puisqu’il ne visait pas à mettre tous les Bissau-Guinéens sur un pied d’égalité, mais plutôt à les hiérarchiser en deux catégories : les Urbains, d’une part, et les Ruraux, de l’autre, a finalement été rangé aux oubliettes.
Et pourtant, l’un des problèmes qui se posent avec acuité, en Guinée-Bissau, et qui est à l’origine de toutes ces crises politiques qui n’en finissent pas, de l’indépendance à nos jours et dont les Bissau-Guinéens de la diaspora, comme ceux de l’intérieur, en ont marre, réside dans le fait que le pouvoir y est excessivement centralisé. La preuve en est qu’après chaque élection, les dirigeants du parti vainqueur chamboulent l’Administration, dans le seul but d’y placer des personnes de leur bord politique ; des béni-oui-oui, dont le mérite est d’appartenir à ce parti. De l’instauration du multipartisme à nos jours, aucun chef de gouvernement ne parle sérieusement d’élections locales, tout simplement parce que cela n’arrangerait pas sa formation politique. L’intérêt général est le cadet de leurs soucis. Or, le développement d’un pays exige que tous les citoyens soient associés à la réflexion et au partage démocratique des responsabilités. Les administrateurs de secteur (préfets), à l’instar des gouverneurs de région, dont celui pompeusement qualifié de «presidente da camara municipal de Bissau», ne sont nommés que dans le cadre du clientélisme politique. Sans feuille de route, comme le prouve la dégradation des infrastructures du pays, ces derniers ne font que se tourner les pouces, tout en se sucrant sur le dos du pauvre contribuable. Soyons clair : nous ne sommes pas en train de critiquer ces «fonctionnaires», nous voulons simplement dire que le développement d’un pays exige une vision et un programme bien ficelé, que chacun, à son niveau, se charge de mettre en œuvre.
A bon entendeur, salut !
José Catengul MENDES
Acteur politique bissau-guinéen