Dakaroises, Dakarois
Au moment où la rue réclame la fin des abus, la baisse du coût de la vie et la pacification de l’espace politique, des thuriféraires du pouvoir en place, dans leur rôle de caresser le président de la République dans le sens du poil, de lui plaire et de le perdre, agitent l’idée d’un statut spécial pour la ville de Dakar qui fut capitale de l’Afrique occidentale française (Aof) de 1902 à 1959, de la Fédération du Mali de 1959 à 1960, avant d’être celle du Sénégal indépendant. Ils parlent de conflits d’intérêts à résorber, d’appétits politiques à ravaler et de dépolitisation de Dakar. Ils parlent d’une mesure préventive visant les possibles confrontations entre le pouvoir central et local qui naîtraient du surcroît d’envergure que donnerait au maire son élection au suffrage direct et qui ferait de lui, disent-ils, un président de Ville. En vérité ce qu’ils veulent, c’est que nous n’élisions plus nos maires comme nous le faisons depuis 1887, mais qu’ils soient nommés par son Excellence avec le titre d’administrateur de Commune ou autre. Ce qu’ils veulent, c’est nous retirer notre pouvoir de contrôler et de sanctionner positivement ou négativement nos élus librement choisis.
Dakaroises, Dakarois
Ce qu’ils veulent, c’est que cette ville ne soit plus nôtre, mais celle du Président, se colorant à ses nuances, à l’image de l’Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental (Cese), du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), etc. Ils oublient peut-être ou feignent d’oublier qu’en vérité, il s’agit de décentraliser (ce qui était centré) et non du contraire et que l’administrateur de Commune perd de fait la caution populaire, gage de la légitimité du maire bien élu. Ils ne savent pas, les pauvres, aveuglés qu’ils sont par leur position de pouvoir, leur intérêt propre et leur éloignement du Peuple, qu’ils voguent à contresens de l’histoire, créent une rupture d’égalité sans précédent entre les citoyens du Sénégal indépendant et rendent un mauvais service au premier des Sénégalais qu’ils prétendent servir et de qui il est attendu, non pas de phagocyter tout et tout le monde, mais de renforcer toujours plus le système démocratique, de libérer les institutions de la République de la tutelle de l’Etat, de respecter et de faire respecter les droits humains, partout et toujours, de réduire les inégalités entre les citoyens de ce pays et entre nos villes et nos campagnes et nous sortir du sous-développement, de la pauvreté et de l’insécurité.
Dakaroises, Dakarois
Aider le Président, c’est dire non à la proposition à lui faite de mettre Dakar sous tutelle, car cette ville est nôtre, que nous lèguerons à nos enfants qui nous jugerons comme nous jugeons nos pères. Oui, aider le Président, c’est parfois lui résister, c’est toujours lui rappeler ses engagements, son serment et son parcours. Aider le Président, c’est lui dire ce dont souffre le Peuple, c’est lui dire ce dont rêve le Peuple, c’est lui dire ce que dit le Peuple, mais c’est presque toujours lui déplaire, hélas !… Aider le Président, c’est le sauver des thuriféraires qui l’abusent et usent son pouvoir. Il est vrai que nous devons repenser notre ville, l’évaluer par rapport à elle-même et sa trajectoire propre, évaluer les reformes passées et celles en cours, mieux l’organiser, mieux la structurer, mieux l’entretenir, mais en renforçant toujours plus la responsabilité citoyenne dans chaque quartier, dans chaque maison, du plus humble citoyen. Il est vrai que Dakar n’est pas le Sénégal, mais sans Dakar, le Sénégal ne serait plus tout à fait le Sénégal. Il est vrai que nous avons souffert de la guéguerre entre le Président et l’ex-maire de la ville qui a valu à ce dernier l’emprisonnement et la perte de ses fonctions électives, hélas !
Dakaroises, Dakarois
Nous avons souffert et continuons de souffrir de toutes les guéguerres politiciennes qui nous divertissent et retardent l’avancée de notre pirogue, mais ce n’est pas une raison pour priver le Peuple de Dakar de son pouvoir de se choisir ses élus, ce n’est pas une raison pour marcher à reculons sur la route de la démocratie et de la responsabilité citoyenne. Ou alors fermons aussi l’Assemblée nationale parce qu’on s’y bagarre quelquefois et que beaucoup de nos concitoyens dénoncent son inutilité ! Fermons nos Tribunaux à cause des reproches faits aux juges ! Fermons nos routes à cause des accidents de la circulation ! En vérité, tous ces dysfonctionnements doivent nous pousser à nous remettre en cause, nous aider à grandir et à accomplir le grand saut, non à renoncer, car le fleuve qui cherche la mer peut faire beaucoup de détours, mais jamais il ne recule, toujours il avance…
Dakaroises, Dakarois
Faire le grand saut, c’est crier fort notre part de refus et assumer notre part de combat, en reconnaissance aux générations passées et pour le bien de celles actuelles et futures. Faire le grand saut, c’est écrire sur tous les murs, dans toutes les têtes et dans tous les cœurs que ce pays n’appartient à personne ni à aucun clan, que le pouvoir politique appartient au Peuple qui le délègue à qui il veut et le reprend quand il veut. Ainsi seulement, nous aiderons nos hommes politiques à se départir de leur partisannerie et à exclusivement songer au bien-être des populations et au développement du pays. Ainsi seulement, nous rappellerons à ceux à qui le pouvoir est présentement confié la chance qui leur est offerte de mériter les louanges et la reconnaissance du Peuple, ou peut-être sa malédiction. Ainsi seulement, le pouvoir et l’opposition comprendront qu’il ne s’agit pas d’eux, mais de l’ouvrage qu’ils ont en partage, qu’il ne s’agit pas de compétition, mais de collaboration et parviendront à s’entendre, à cohabiter sans heurts et à travailler main dans la main pour le bien des populations.
Dakaroises, Dakarois
Faire le grand saut, ce n’est pas nous laisser arracher notre droit de choisir le maire que nous voulons pour notre ville, de le contrôler et de le sanctionner, non, mais nous battre pour le conserver et le renforcer. Faire le grand saut, c’est aussi reconquérir notre littoral, notre vue sur le grand large, nos plages et notre Finistère, c’est reconquérir nos trottoirs, nos baobabs, nos caïlcédrats et nos flamboyants, c’est reconquérir nos jardins, nos squares et nos ronds-points aménagés, nos bibliothèques, nos terrains de sport et nos salles de cinéma, notre air pur, notre brise marine et la bonne odeur de notre ville… Faire le grand saut, c’est aller de conquête en conquête… C’est un ballon qui nous est lancé, dit-on, pour sonder notre opinion et notre permissivité. Organisons-nous dans nos pénc, nos quartiers et villages, dans nos entreprises, nos ateliers et nos marchés, et crions d’une forte et intelligible voix que Dakar est nôtre et que nous ne la cèderons à personne ! Jamais ! D’aucuns pensent que le sujet ainsi posé par les porteurs d’encensoir n’est pas digne de débat et que le dédain lui suffit comme réponse, mais un ballon de sonde irrespectueux mérite un bon coup de pied pour le retourner à son envoyeur. En attendant la suite…
Abdou Khadre GAYE
Écrivain
Président de l’Emad