« Dans la décennie 2002-2012, j’ai dit ce que je pensais du gouvernement de Wade. (…) Il se trouve que je l’ai fait quand j’étais journaliste. J’ai décidé librement de ne plus être journaliste et de faire de la politique. Ne me demander pas moi, Latif Coulibaly, engagé dans un gouvernement, d’aller parler de ce gouvernement en mal, ni de dénoncer quoi que ce soit dans ce gouvernement ». Abdou Latif Coulibaly C’est avec stupéfaction et désolation que j’ai lu votre entretien. L’homme que j’ai respecté pour avoir toujours décrié l’injustice, l’homme que j’ai respecté pour son amour pour notre cher pays. Cet homme est descendu aussi bas pour dire qu’il était un homme intègre quand il était journaliste, et que maintenant qu’il a décidé d’être politicien, il ne peut malheureusement plus être un homme intègre. C’est ça la politique au Sénégal ? Et pourtant dans son livre, Abdoul Mbaye disait : « Monsieur Thierno Alassane Sall est un technocrate membre influent du parti présidentiel. J’ai eu le net sentiment qu’il faisait de la politique par conviction. Je me souviens un jour lui avoir dit : quand je te vois, je regrette de ne m’être pas engagé en politique, car j’ai conscience qu’on peut faire de la politique dans notre pays sans vendre son âme. » Il est, en effet, possible de faire de la politique sans vendre son âme, surtout quand notre âme commence à prendre de l’âge. Pourquoi vous Abdou Latif Coulibaly et pourquoi à ce stade de votre vie ? L’argent et le pouvoir valent-ils la peine de sortir par la petite porte ?
Accusation du journaliste ou du politicien ?
Dans son livre intitulé « Sénégal Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande », le journaliste Abdou Latif Coulibaly accuse le président Wade d’avoir incité à l’assassinat du juge de la Cour Suprême, Maitre Babacar Sèye. Trois hommes avaient été reconnus coupables et condamnés à 18-20 ans de prison. Le président Wade lui-même avait été emprisonné pendant sept mois avant d’être libéré faute de preuves tangibles. Afin de clore le débat sur cette question avant la campagne électorale de 2007, la majorité parlementaire avait adopté la loi Ezzan, qui avait pour but d’amnistier tous les crimes politiques depuis 1993 y compris l’affaire Sèye. Le livre d’Abdou Latif Coulibaly est largement basé sur le témoignage d’un des accusés, qui a donné des détails sur l’exécution, affirmant que le président Wade, sa femme et certains membres de leur entourage ont ordonné l’assassinat. Selon le livre, le président Wade a été grandement déçu par les résultats des élections présidentielles de 1993 et a en conséquence décidé de concentrer ses ambitions politiques sur les élections législatives. Lorsque le président du Conseil constitutionnel a démissionné, il fut remplacé par le juge Youssou Ndiaye ; le président Wade craignait que ce dernier n’annule toute victoire du président Wade et de son parti. Par conséquent, il aurait dit aux accusés de l’assassiner. Il y ajoute que Madame Viviane Wade leur avait donné de l’argent avant l’assassinat pour acheter des armes et louer une voiture. Après avoir déterminé que l’assassinat de Youssou Ndiaye n’était pas réalisable du point de vue logistique, ils ont décidé de prouver leur loyauté au président Wade en tuant l’adjoint de Youssou Ndiaye, Maitre Babacar Sèye. Vu que vous êtes un homme qui en cache un autre, je pense que c’est plus sûr de ne plus se fier à vos écrits.
Ce que le Sénégalais lambda connaît de ce dossier
Après le meurtre du juge Sèye, le président Wade, Ousmane Ngom et Jean Paul Dias furent arrêtés le 15 mai 1993. Le président Wade paie ses propos de campagne en disant « je ne donne aucun crédit aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l’influence des hommes d’Abdou Diouf, en particulier de son vice-président, Me Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps un député socialiste ». Ces propos méprisants à l’envers du Conseil constitutionnel lui coûtèrent cette interpellation. Les enquêteurs n’ayant rien trouvé ni chez le président Wade ni au quartier général du PDS, relâchent le président Wade le 18 mai 1993. Cependant, la situation change soudainement après l’interpellation des trois suspects à savoir Amadou Clédor Sène, Ibrahima Diakhaté et Assane Diop. Clédor affirme avoir reçu 500 000 F CFA du président Wade par le biais de Mody Sy, puis 500 000 F CFA supplémentaires de Madame Viviane Wade. Il change immédiatement de version et incrimine cette fois-ci les socialistes. Il dira aux enquêteurs qu’Habib Thiam, par le biais d’Amath Diène, l’aurait contacté pour lui demander d’orchestrer l’assassinat. Il dira clairement qu’on leur avait promis après une courte détention, un exil aux Etats-Unis et près de 200 millions par an pendant cinq ans. Le juge n’a pas pris cette sortie en compte et l’investigation se porte plutôt sur le rôle de Mody Sy, qui aurait été torturé en prison
Une enquête bâclée
Moustapha Sy, fondateur des Moustarchidines, déclare quelques mois plus tard : « (…) Si nous avions voulu tuer quelqu’un, ce serait le président de la République (…) et au cours d’un meeting, il dira aussi que « des gens sont venus nous voir, nous ont dits comment Me Babacar Sèye a été assassiné. Nous avons des documents en notre possession, mais le moment est inopportun pour les sortir ». Il sera malheureusement inculpé pour ne pas avoir dénoncé le ou les commanditaire (s). Il n’y a jusque-là aucune preuve contre le président Wade, et l’enquête a été trop politisée, on ne nous a jamais communiqué s’il y avait un rapport balistique, une autopsie et Habib Thiam n’a pas été convoqué. En mai 1994, le président Wade bénéficie d’un non-lieu. Le trio est condamné entre 18 et 20 ans de travaux forcés et vu que la peine capitale fut requise, ils n’ont pas fait appel. L’unique objectif de ce procès était de connaître les commanditaires de ce meurtre. A quoi a servi ce procès ?
Enfin
Latif, vous faisiez l’immense admiration de tout un peuple, car vous étiez du côté de la vérité, même si c’est le côté des difficultés et des fins de mois difficiles. Latif, si vous dites de ne pas vous demander de dénoncer quoi que ce soit dans ce gouvernement, c’est tragique. Latif, vous êtes descendu trop bas à cause du pouvoir et de l’argent qui ne sont qu’éphémères. Vous, qui étiez le vaillant défenseur de notre nation, aviez retourné librement votre élégante veste pour des raisons qui vous sont propres et que je respecte. Latif, vous avez parfaitement le droit de changer de métier et de camp autant que vous voudrez, mais de là à dire quoi qui puisse se passer dans ce gouvernement vous n’allez pas dénoncer, c’est trahir le Sénégal. Cela, étant dit, n’est-il pas nécessaire de demander pardon au président Wade et d’abroger la loi Ezzan-même si à la fin on risque se heurter à l’autorité de la chose jugée- pour connaitre toute la vérité dans ce dossier ?
Mohamed DIA
Consultant bancaire Dakar Sénégal