J’ai mal parce que Guy croupit en prison en dépit de tout bon sens. J’ai peur qu’il n’y soit gardé que parce qu’il est Guy, comme avant lui Khalifa y était parce qu’il était Khalifa et Karim parce qu’il était Karim. Notre justice devrait se rappeler qu’une justice trop juste, dégénère en injustice, comme une orange trop pressurisée donnerait un jus amer. Gare à vous opposants et activistes de tout bord : les grilles de Reubeuss crisseront derrière vous si vous daignez effleurer les grilles du palais de la République. Tel serait le message de notre justice.
Pourtant, Guy veut une vie tranquille comme chacun d’entre nous. Il veut un bon revenu, s’occuper de sa famille et avoir une maison.
Mais comme dirait l’autre, que faire d’une maison si vous ne pouvez pas vous sentir heureux et libre dès que vous en sortez ?
Pour cela il faut un pays en ordre et le Sénégal n’est pas en ordre. C’est sûrement ce qu’il a compris plus que nous. Les priorités sont inversées. L’essentiel est rejeté au second plan. Les discussions tournent autour de futilités loin des préoccupations du peuple. Ceux qui osent résister sont abandonnés par ceux-là mêmes qu’ils veulent protéger.
Lors de la grande guerre Feldman ne lancait-il pas à ceux qui le mettaient en joue pour le fusiller : “ Imbéciles, c’est pour vous que je meurs”. Aujourdhui, Guy pourrait bien nous rétorquer : “imbéciles, c’est pour vous que je vais en prison”. Et il aurait raison.
“L’ impuissance acquise” dans notre société est très forte. Une inaction quasi généralisée face aux dérives de toutes sortes. C’est le chacun pour soi qui prévaut malgré une facade de camaraderie affichée urbi et orbi.
Notre peuple qui naguère se battait ne se bat plus. Il critique énormément, il juge beaucoup et agit peu. Nos désenchantements, pour nombreux qu’ ils soient, tombent sous le coup de la fatalité. Notre promptitude à nous remettre aux dieux du ciel et aux fétiches pour conjurer les mauvais sorts, nous empêche d’ innover et de trouver des solutions à notre portée à nos maux. De fait, nous nous rendons complices des excès qu’on nous inflige. Les pouvoirs successifs nous ont méprisé en nous enquillant des lois et décisions scélérates : dauphinat de Senghor, troisème mandat de Wade, parrainage citoyen de Sall, etc. Ils nous ont méprisé parce qu’ ils savent que nous sommes paresseux, indisciplinés, couards et surtout âpres aux gains faciles, prêts à tout pour quelques poignées de francs.
C’est cela la majorité du peuple sénégalais, celui qui crache dans la rue, celui qui au volant accèlère pour ne pas vous laisser passer, celui qui entre en dernier dans une boulangerie, vous bouscule et tend la main par dessus et commande un pain. C’est ce peuple qui ne comprend pas que vous ne compreniez pas ses incivilités.
C’est le même peuple qui ne comprend pas que ceux qui, comme Guy, dénoncent au prix de leur liberté, de leur confort de tous les jours, de l’avenir de leurs enfants, les abus divers, méritent non seulement son respect mais aussi sa mobilisation.