La pandémie du coronavirus doit elle nous faire oublier le fléau de l’épidémie du criquet pèlerin en Afrique de l’Est (Kenya, Somalie, Ethiopie, et environnants) ? Nul doute que non, car s’il est vrai que le covid 19 a déjà fait des milliers de victimes dans le monde en l’espace de deux mois et continue sa progression macabre, il n’en demeure pas moins que l’invasion du criquet pèlerin pendant la même période est entrain de mettre en insécurité alimentaire plus d’une dizaines de millions d’africains et de bétails à l’Est de l’Afrique selon le dernier rapport de la FAO et sa progression continue ,et si on n’y prend garde, les essaims pourraient atteindre l’Afrique du Nord et de l’Ouest par leur couloir habituel quand les conditions météorologiques seront favorables.
Et au moment où le covid 19 bénéficie d’une stratégie de communication sans précédent sur tous les médias du monde à juste raison me diriez-vous et où des mesures préventives sont prises çà et là, des frontières fermées pour limiter sa propagation ; qu’en est-il pour le criquet pèlerin qui ne comprend nullement le langage des humains, qui se fie éperdument des frontières physiques tracées par l’homme, qui ne bénéficie pas de campagne médiatique à la hauteur du danger qu’il constitue et qui continue tranquillement de se multiplier et se propager dans sa zone printanière de reproduction qui lui encore très favorable.
Cette zone lui est d’autant plus favorable que les conditions météorologiques sont idéales, favorable par le manque d’expérience avérée dans la lutte antiacridienne des pays concernés si l’on en juge par les moyens de ripostes utilisés, favorable sur le plan de l’inaccessibilité dans certaines zones d’insécurité (zone des Shebab somaliens et zone de conflit du yéménite). L’Afrique de l’Est malgré les moyens utilisés n’arrive pas à contrôler la situation, bien au contraire ça empire de jour en jour et on voit des criquets de tous les stades pullulés de partout sans être inquiéter. Pour dire que la lutte contre le Schistocerca grégaria (SGR) est avant tout une affaire d’experts, de techniciens expérimentés, de populations impliquées avant d’être militaire et paramilitaire puisqu’on ne peut pas lutter efficacement contre un ennemi dont on ne connait ni ses mœurs , ni sa bio écologie, ni sa stratégie de survie, etc.
Dés lors le défis à mon avis n’est plus d’empêcher les criquets de commettre leur forfait en Afrique de le l’Est, la bataille étant déjà perdue quand on se fie aux images diffusées et l’évolution de la situation sur le terrain ,ni de les empêcher de regagner leur zone estivale reproduction de l’Afrique du Nord et de l’Ouest quand les conditions météorologiques y seront favorables et hostiles dans la zone printanière dans les mois d’avril et mai , à moins qu’on ne puisque changer les conditions climatiques qui favorisent leurs déplacements , ce qui n’est pas encore à la portée des scientifiques. La solution serait alors de les attendre de pieds fermes quand ils arriveront matures dans la zone Ouest-africaine en début d’hivernage (juin-juillet) comme se fut le cas en 2004, scenario très possible.
Heureusement nous avons en Afrique de l’Ouest l’expérience pour avoir été envahi par le criquet sous toutes ses formes à trois reprises en 1988,1993 et 2004 même si les résultats obtenus dans la lutte n’ont pas été à la hauteur des attentes. Il s’agira à mon avis de mettre toutes ces expériences et compétences en contribution, pour localiser ou de géo localiser exhaustivement tous les champs de pontes qu’ils auraient laissés derrière eux, puisque quand ils arrivent matures ils ne sont pas très voraces leur préoccupation première étant de trouver des sites de pontes favorables pour assurer la survie de leurs progénitures.
Ensuite on déploie suffisamment de moyens humains et matériels(et c’est d’ailleurs là où je vois le rôle des populations locales des militaires et paramilitaires) dans la semaine qui suit les pontes pour que dès l’éclosion des œufs (9e,10e ,11e 12e) quand les conditions seront favorables ,ses équipes de traitements pré positionnées puissent intervenir très rapidement avec moins de pesticides donc moins d’impact sur l’environnement (le traitement étant localisé) ou pour agir plus écologiquement, creuser des tranchés tout autour des champs de ponte pour y piéger les larves néonates.
C’est difficile mais c’est la seule voie de salut pour venir à bout de ce scenario d’invasion. Cette stratégie devra être commune entre le Sénégal et la Mauritanie puisque si ce n’était pas le cas, les larves arrivées au stade imago en Mauritanie pourraient traverser la frontière et venir envahir le Sénégal au milieu de l’hivernage. Cela nécessite évidemment une collaboration étroite et des échanges d’informations entre les deux pays, des prospecteurs expérimentés et aguerris, une population avertie et impliquée dans la surveillance de proximité et des équipes de traitement dynamiques et bien formées dans le maniement des appareils de traitements et la manipulation des pesticides.
Une autre stratégie qui me semble plus difficile, plus couteuse et plus nocif à l’environnement est de cibler les adultes en déplacements pour les empêcher de pondre ou de se nourrir par des pulvérisations aériennes ou terrestres. Il s’agira ici de suivre un essaim depuis son envol le matin (aux environs de 9h) jusqu’à sa pause au crépuscule (aux environs de19h), le géo localisé et avertir les équipes de traitements pour une intervention immédiate pour empêcher les femelles gravides de pondre et plus tard jusqu’à 9h pour empêcher les imagos de redécoller s’il s’agit d’essaim immature.
Quelque soit le scénario auquel on pourrait faire face, c’est maintenant qu’il faut prendre toutes les dispositions utiles pour une riposte adéquate et efficace. Les autorités, les décideurs, les techniciens, les populations sont tous interpelés aux risques de voir notre prochaine production agricole et pastorale anéantie par des déprédateurs sans vergogne. Ceci n’est qu’une alerte, à ceux qui ont en charge la question d’en faire l’usage qu’ils en jugeront utile.
Ely THIAO
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