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Charles Onana, La Version Trop AchevÉe De Pierre Pean

Charles Onana, La Version Trop AchevÉe De Pierre Pean

«La grenouille au fond du puit croit que le ciel est rond», Vieux conte chinois

Monsieur Onana, à 56 ans, vous avez déjà une riche production intellectuelle. C’est honorable. Nonobstant cela, il est vraiment dommage que sur l’un des sujets ou l’un des pays qui vous passionne le plus, à savoir le Rwanda ou son histoire la plus récente, votre attitude est inhabituelle, votre acharnement aussi. Vous trouverez certainement certains de mes propos assez durs puisque vous avez l’habitude d’accuser ceux qui contredisent votre manière de voir concernant le dossier rwandais, de « terrorisme intellectuel ». Je m’attends à être traité de « terroriste intellectuel ». Qu’importe ! Sur RFI, vous aviez dit qu’au lieu de vous opposer des arguments, l’on vous insulte. Je compte, avec beaucoup de respect, démontrer avec des arguments, des faits précis, que votre manière de voir est loin d’être la plus convenable. A bien des égards, vous vous êtes engagé dans une vaste entreprise d’auto-duperie volontaire. Vous ne vous êtes pas trompé de bonne foi, pas parce que « les archives parlent », vous vous êtes trompé parce que vous le voulez, surtout parce que volontairement ou involontairement, vous avez décidé de vous tromper en ne sélectionnant que les archives qui étayent votre thèse, votre « intime conviction », thèse que vous défendez depuis presque vingt ans.

Concernant le génocide des tutsi au Rwanda en 1994, comme votre défunt grand ami Pierre Péan, vous ne faites qu’ajouter l’insulte à la douleur, la terrible douleur de ceux qui sont morts, « machettés » et humiliés, l’indicible douleur de ces rescapés, à jamais psychologiquement mutilés. Il est peut-être vrai que c’est vous qui avez initié Péan au Rwanda. Il est aussi certain que quelqu’un d’autre lui a chuchoté quelque chose à l’oreille, lui qui n’a jamais mis les pieds au Rwanda. En ce qui vous concerne, je n’ai pas encore la certitude mais je doute que vous ayez beaucoup visité le pays des mille collines. Pour votre dernier ouvrage :  Rwanda, la vérité sur l’opération turquoise (et vous y ajoutez « Quand les archives parlent »), d’entrée de jeu, vous avez choisi vos hommes. Comme un clin d’œil à l’au-delà ou comme dans un acte de provocation, vous réservez votre dédicace (et à lui tout seul) à l’homme de Noires fureurs, blancs menteurs : « A mon cher Pierre Péan ». Vous semblez pressé. Décidément votre complicité est profonde. N’est-ce pas lui qui avait aussi préfacé votre livre « Les secrets de la justice internationale : enquêtes truquées sur le génocide rwandais » en 2005 ?

Et pour la préface de votre ouvrage, vous avez fait recours aux bienveillants services du Colonel Luc Marchal. Non, il ne pouvait pas refuser. Il faut quand même que l’officier supérieur belge continue à chercher à se donner bonne conscience. Bonne conscience qu’il cherche naturellement depuis avril 1994, date à laquelle lui et le contingent belge qu’il dirigeait au sein de la MINUAR sont partis. Qu’il soit parti contre son gré, il est quand même parti. Que voulez-vous ? Dix morts ça suffit. Il ne faudrait pas un mort de plus pour le petit Rwanda. N’est-ce pas Colonel ?

Maintenant que vous avez vos hommes et vos archives, (il est quand même étonnant que vous ne fassiez pas parler d’autres archives plus nombreuses, plus vivantes et plus accessibles), vous pouvez défendre votre patrie : la France et son opération turquoise au Rwanda. Selon vous, tous ceux qui ont critiqué l’opération turquoise n’ont apporté que « des accusations ignominieuses et diffamatoires ».

Sachez que vous ne pouvez pas être plus royaliste que le roi. Vous rejetez les écrits et les témoignages de deux français qui ont été au Rwanda et qui sont mieux placés que vous pour décrire l’horreur, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry le militaire Guillaume Ancel. Etonnant ! Pendant ce déploiement militaire, SAINT-EXUPERY était au Rwanda, il a visité les collines de Bisesero, là où l’horreur a atteint son paroxysme. S’adressant à une autorité française, il écrit : « votre intervention strictement humanitaire était une farce, une mascarade. »

De son côté, Guillaume Ancel, à l’époque officier français de l’armée de terre, présent sur le terrain des opérations soutient que l’objectif « humanitaire » de l’opération turquoise affiché par Paris se confond avec un autre, beaucoup moins avouable : celui de freiner ou de stopper l’avancée militaire du FPR (Front Patriotique Rwandais, les Inkotanyi), tout en veillant à ce que les forces gouvernementales génocidaires soient ménagées.

Monsieur Onana, avec vos « archives qui parlent », et dans vos bureaux de Lyon ou de Paris, vous croyez pouvoir dire la vérité plus que ces deux acteurs ?

Mieux, le Général Dallaire que vous citez souvent a écrit dans son livre témoignage (J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda) : « Je dis à Kouchner que je n’arrivais pas à croire l’effronterie des français. D’après moi, ils se servaient du prétexte humanitaire pour intervenir au Rwanda, permettant à l’AGR (Armée Gouvernementale Rwandaise) de maintenir une bande du territoire du pays et un peu de légitimité face à une défaite certaine. »

Certainement ceci mettait mal à l’aise les quelques autorités françaises qui décidaient selon leur niveau de responsabilité. Il fallait trouver quelqu’un qui a une belle plume pour brouiller les pistes. Le journaliste et enquêteur (comme vous surnommez Pierre Péan), fut la personne idéale. Il était le confident de Mitterrand, n’est-ce pas ? Peut-être qu’un jour Hubert Vedrine voudra bien nous livrer sa totale et franche part de vérité sur ce sujet. Charles Onana, vous êtes aujourd’hui la version vraiment trop achevée de Pierre Péan : même thèse, même angle d’attaque, même acharnement. 

Cet acharnement est encore plus perceptible dans votre présent ouvrage, avec des mots durs, avec l’intention manifeste de blesser un Chef d’Etat : vous parlez de « l’arrogance et l’acrimonie de Paul Kagame, d’« imposture » (terme déjà plusieurs utilisé par votre ami Péan) et vous ajoutez « héros imaginaire » et « propagande ».

Cet acharnement incompréhensible date de longtemps chez vous. En « enquêtant » sur la tragédie au Congo-Zaïre, vous avez publié en 2009 un livre avec un titre provocateur comme s’il manifestait une haine difficilement dissimulée :  Ces tueurs tutsi : au cœur de la tragédie congolaise. Pourquoi pas simplement « ces tueurs rwandais » ? Ou bien « ces tueurs rwandais et congolais » ? Pourquoi il te fallait le « tutsi » ? Et sur la page de couverture, trois photos à l’appui (les photos de Paul Kagame, de James Kabarebe et de Laurent Nkunda). Et subitement Laurent Nkunda n’est plus congolais mais simplement « tutsi ». Vous oubliez sa nationalité pour ne mentionner que son ethnie d’origine. Et pourtant votre collègue journaliste, je veux nommer Maria Malagardis a publié en 2012 un ouvrage retraçant la traque que menait le couple Dafroza et Alain Gauthier en France pour débusquer des rwandais qui étaient hutu et qui étaient soupçonnés du pire crime de génocide et qui avaient refait leur vie à l’hexagone. Ces personnes sont identifiées, leurs fonctions actuelles et anciennes connues. Pourtant Malagardis a choisi un titre simple :  Sur la piste des tueurs rwandais. Ni plus, ni moins, et avec aucune photo à titre d’illustration.

L’acharnement se manifeste aussi et surtout au niveau de l’épine dorsale de votre point de vue : vous soutenez que l’invasion du Congo est un plan de Kagame, bien avant le génocide. Vous défendez cette thèse avec vigueur. La réalité est toute autre. Sur ce point, je vais laisser parler une grande figure emblématique de la politique Congo- zaïroise. Sur ce sujet, je vous fais même l’économie des précisions faites sur ce point par un professeur rwandais au cours d’un long entretien qu’il m’avait accordé en 2018, je donne la parole à Etienne Tshisekedi (homme d’Etat de la RDC, ex Zaïre, ancien Premier ministre et père de l’actuel chef de l’Etat Felix Tshisekedi). Au cours d’un entretien télévisé à l’allure de testament, il dit : « Dans ce que vous appelez le conflit avec les voisins, si vous examinez bien, vous verrez aussi la responsabilité du Congo. Tout le monde a dit que nous avions été agressé par le Rwanda. Mais si vous regardez bien, les hutus qui avaient commis leurs bêtises là-bas, ont fui face à l’offensive de Kagamé et se sont refusés au Congo. Au Congo, ils devaient respecter la règle internationale qui dit que les réfugiés devraient être désarmés, mais nous ne les avons pas désarmés. En plus, ils devaient se placer à au moins 150 km de la frontière commune or, ils se sont installés à quelques mètres seulement de la frontière. Et ces gens, à partir du Congo, agressaient leur pays d’origine. Et quand ce pays prend des dispositions pour se défendre, vous dites qu’il agresse le Congo. Au lieu de dire qu’on nous a agressé, il faut d’abord voir notre responsabilité dans cette affaire. »

Vous parlez des fosses communes à Goma (témoignage que vous dites avoir reçu des soldats français) avec un réel enthousiasme mais vous ne dites rien des innombrables fosses communes, des cadavres superposés à la merci des charognards et des chiens découverts dans tout le Rwanda, sur les collines, dans les marais, dans les maisons vidées et brulées, dans les églises, dans la cour et salles de classe des écoles, au niveau des barrages où des milliers de tutsi et hutu modérés étaient ensevelis ou exposés sous la pluie et le soleil, après une mort longue, douloureuse et atroce, mort donnée par les milices Interahamwe et des forces de l’ordre , encadrées par un gouvernement génocidaire. En 1944, il y a eu bel et bien génocide contre les tutsi et ce génocide a été planifié. Il est étonnant que vous ne faites pas référence aux archives de la RTLM (Radio Télévision des Milles Collines) et du jour Kangura. Il est étonnant que vous ne faites qu’une lecture superficielle de l’arrêt sur l’affaire n°ICTR-98-41-T du TPIR (Tribunal Pénal International sur le Rwanda), « le procureur c. Théoneste Bagosora et consorts ».

Il est incroyable le fait que vous essayiez par tous les moyens de disculper la France, de montrer le caractère « humanitaire » de l’opération turquoise, de nier le soutien des français au FAR. Vous savez quand même que le Falcon 50 qui transportait le Président Juvénal Habyarimana lui a été donné par François Mitterand et que tout l’équipage était français. D’un autre côté, il est aussi incroyable que vous tentiez de prouver que les forces spéciales américaines et britanniques étaient du côté des FPR. Vous savez, et presque tous les observateurs avertis le savent, que le soutien de la France au gouvernement de Habyarimana est beaucoup plus facile à prouver que le soutien américain et britannique au FPR. Mon compatriote Boubacar Boris Diop, dans Murambi, le livre des ossements avait écrit, il y a longtemps que « ce qui est arrivé au Rwanda est, que cela vous plaise ou non, un moment de l’histoire de France au XXe siècle. » mais vous avez choisi votre héros : le « journaliste et enquêteur » Pierre Péan, là où Colette Braeckman devient simplement chez vous… « cette journaliste ». Et subitement aussi les travaux de Jean Pierre Chrétien disparaissent de vos radars et pour terminer, chez Bernard Lugan, vous ne prenez que ce qui vous intéresse.

Au demeurant, il y a certains passages de votre ouvrage, certaines affirmations que vous faites qui sont difficilement soutenables. Je le dis pour être courtois, mais en définitive, il s’agit d’affirmations qui ne correspondent pas du tout à la vérité des faits historiques. J’en citerai juste quelques-unes à titre illustratif :

A la page 71 de votre livre, vous affirmez ceci : « Trente ans plus tard, lorsque les rebelles tutsi du FPR/APR attaquent le Rwanda du Président Juvénal Habyarimana depuis l’Ouganda, le 1er Octobre 1990, il s’agit d’abord d’une action de reconquête du pouvoir par des descendants et des sympathisants des exilés de 1959 et en aucun cas une initiative visant l’instauration de la démocratie, même si « la démocratie » reste le leitmotiv du discours des conquérants du FPR. C’est plutôt d’une réappropriation du pouvoir perdu en 1959 dont il est question de rien d’autre ». Non ! Affirmer cela c’est insulter ces milliers de rwandais chassés de leur propre pays, dans lequel ils vécurent pendant des millénaires et subitement contraints à l’exil après avoir été pillés, volés, écrasés. Ce que vous ne dites pas est que ces exilés ont maintes fois tenté de revenir, et même des fois sous la conduite du HCR mais le régime Kigali de l’époque avait opposé un niet catégorique. Votre affirmation vise tout simplement à ôter tout caractère héroïque à l’action des Inkotanyi. Mieux, le FPR n’était pas exclusivement tutsi. Vous connaissez le colonel Alexis Kanyarengwe ? Il était hutu. Il a eu à occuper des hautes fonctions à la fois sous Kayinbanda et sous Habyarimana. Il a été Président du Front Patriotique Rwandais, devenant ainsi le numéro 1. Il est aussi important d’ajouter que le principe de l’unité, du développement harmonieux était déjà dans le programme du FPR, depuis le maquis. A ce titre, j’ai eu le privilège d’avoir rencontré un doyen, le sénégalais Amadou Ly. Il était le représentant du PNUD au Rwanda à l’époque, actif et discret. Malgré sa discrétion légendaire, il a quand même eu à me dire ceci et en insistant : « J’ai connu Kagamé en 1992, il est toujours le même. Cette idée de faire du Rwanda, un pays uni, tourné vers la promotion de la paix et du développement était bien ancré en lui depuis le début, depuis la période de l’affrontement. Il est unique. Il est resté fidèle à ce principe. »

Un peu plus loin vous écrivez : « Il faut néanmoins souligner qu’entre 1960 et 1994, les tutsi qui sont restés au Rwanda, dits « tutsi de l’intérieur », n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque extermination ni même d’une tentative de génocide. » Faux ! en 1963, après l’attaque de certains exilés qui ont quitté le Rwanda à la suite des événements de 1959, beaucoup de tutsi de l’intérieur furent massacrés, leurs maisons brûlées, les femmes violées. C’était la façon du gouvernement de riposter. Seulement dans la préfecture de Gikongoro, il y a eu entre 8000 et 10000 morts. Savez-vous que c’est deux ans auparavant, c’est-à-dire en 1961 que Paul Kagame a quitté le Rwanda avec sa famille pour fuir les persécutions contre les tutsi ? Ces mêmes persécutions suivies de tueries à grande échelle ont aussi eu lieu en 1973 contraignant encore des milliers de personnes à l’exil. De surcroit, en 1992, au milieu de la guerre, la population principalement tutsi fut l’objet de massacres systématiques dans la région du Bugesera dès le début du mois de mars. Plusieurs articles de presses relatant ces tueries sont encore disponibles. L’italienne Antonia Locateli, venue au Rwanda en 1972, s’était engagée dans des œuvres caritatives à Nyamata à travers l’éducation des jeunes filles. Elle a été assassinée le 09 mars par le gendarme Epimaque Ulimubenshi devant les bâtiments de son école où elle avait caché des tutsi fuyant les tueries du régime Habyarimana. Elle a été assassinée, surtout parce qu’elle dénonçait ces massacres dans la presse internationale. Sur ce point, les archives qui parlent vous contredisent.

A la page 628, parlant de la population catégorisée comme hutu, vous dites : « Marqués au fer rouge comme étant tous ou presque des génocidaires, ils n’ont plus voix au chapitre ». Comme qui dirait que vous voulez continuer à semer encore les graines de la division.

Jetez un coup sur le premier gouvernement formé à la suite de la victoire du FPR. Qui était le Président de la République ? Qui en était le Premier ministre ? Vous connaissez certainement le Général Marcel Gatsinzi, un ancien membre des forces armées rwandaises (FAR), il a été ministre de la défense bien après le génocide. Je n’entre pas dans les détails. Je pourrai citer beaucoup d’exemples, des personnalités politiques, des ministres, des ambassadeurs, des présidents d’institutions, des piliers de l’armée et de l’administration. La décence m’interdit de me prêter à ce jeu.  Je connais physiquement le Rwanda, j’y ai rencontré des gens formidables, un pays propre, résolument tourné vers l’avenir, vers le progrès. Je n’ai pas rencontré de tutsi au Rwanda. Je n’y ai pas rencontré des hutu. Je n’y ai pas rencontré non plus de twa. J’y ai rencontré des rwandais, des Banyarwanda. Les autorités ont depuis fort longtemps appelé à l’unité, au rassemblement et au pardon. Si ce n’était pas pour des raisons d’écriture qui demandent une posture historique, scientifique, je ne mentionnerai point ces termes : hutu et tutsi. J’ai des amis rwandais, je n’ai jamais demandé à quelle ethnie ils appartenaient. Au Rwanda, il n’y a pas donc de marquage au fer rouge. Tous les citoyens, sans aucune distinction travaillent, bougent. Le Président a permis au Rwanda de réaliser d’innombrables progrès, visibles partout. Ça doit vous faire enragé certainement. La nouvelle génération doit prier pour que de telles horreurs ne se reproduisent plus. Nous prions pour un Rwanda uni et prospère, pour une Afrique débarrassée des démons de la division, pour une Afrique tournée vers l’avenir. Le Rwanda est sur la bonne voie. Ce pays mérite le soutien de tous. Réjouissez-vous alors, réjouissez-vous, chantez avec nous aux rythmes des chants de l’espoir. Dansez avec nous au rythme de Tuzarwubaka !







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