On dirait que le monde s’effondre. Plus de 8 000 morts recensés depuis le début de l’épidémie du coronavirus. 3 000 morts déclarés en Chine, 2000 en Italie, 1000 en Iran. Des millions de personnes qui ne se déplacent plus pour aller au travail. En Afrique du Sud, la bourse de Johannesburg a connu une chute extraordinaire de 12%. Le Sénégal a annoncé la fermeture de toutes ses frontières aériennes, toutes ses écoles, ses universités et ses marchés. Le roi du Maroc a déclaré la fermeture de toutes les mosquées de ce pays islamique. A New York, les rassemblements sont limités à 10 personnes maximum. En France, on n’a plus le droit de rendre visite à sa famille et à ses amis. Tout déplacement qui ne relève pas de l’essentiel est tout simplement interdit. Du jamais vu.
Il y a une semaine, je débutais l’écriture d’un article sur le coronavirus vu du Sénégal. Je suis content de ne l’avoir pas publié comme cela était prévu. Pour cause, j’y disais littéralement que le coronavirus était une distraction face aux principaux défis des systèmes de santé en Afrique. Dans un monde où les actualités sont devenues plus que jamais un produit commercial, où le buzz attire comme un vase de miel devant des millions d’abeilles, le sujet du coronavirus avait brusquement surgi comme la principale menace de santé publique dans le pays. Alors que c’était faux !
Cela me paraissait d’autant plus ridicule que pas plus tard qu’en 2019, j’avais été là, à Kolda, assis devant une vingtaine de femmes qui exprimaient leur frustration de n’avoir qu’un seul gynécologue pour toute la région, comme par hasard la plus pauvre du pays. Alors que la santé mentale est un sujet négligé dans ce pays, alors que des centaines de personnes déambulent dans les couloirs des hôpitaux pour mendier de quoi payer leurs ordonnances, alors que des centaines de jeunes filles et de femmes enceintes meurent dans les villages reculés du Sénégal parce qu’il n’y a pas de centres de santé proches d’elles, j’étais sidéré que nous tournions tous si facilement le regard sur le sort des quatre seules personnes contaminées par le Covid-19 alors, mais que nous ne faisions pas de même pour résoudre les problèmes de fond de notre système de santé défaillant.
Aujourd’hui, je ne peux plus tenir ce discours. Entretemps, le coronavirus a été déclaré pandémie par l’Organisation mondiale pour la santé (OMS). La menace est devenue aussi redoutable que la trompette de l’apocalypse. Le Covid-19 ne peut plus être traité de distraction car, en plus de menacer les systèmes de santé déjà très faibles des pays africains, le virus porte un coup violent à leurs économies. A présent, deux constats me paraissent strictement incontournables sur le plan sanitaire.
Faire face avec des systèmes de santé vulnérables
Premièrement, quoi qu’il en soit, cette épidémie sera fatale pour les pays africains. Et cela parce que, en l’état actuel des choses, nos systèmes de santé ne sont pas assez robustes pour y faire face. La majeure partie des États du continent n’ont pas la capacité de recenser le nombre de cas de coronavirus sur leurs territoires. Soit, ils n’ont pratiquement pas de kits de test et ils font semblant d’ignorer que cette maladie affole le monde comme au Malawi, soit ils ont des kits mais en nombre encore très insuffisant pour estimer le nombre de cas réels si la maladie se propageait. C’est le cas du Sénégal.
A cela s’ajoute le fait que nos structures sanitaires soient exagérément pauvres en équipements. Au Sénégal, longtemps les plaintes désignaient le manque d’équipements lourds comme les machines de radiothérapie, mais la crise actuelle montre que nous n’avons même pas assez de lits pour accueillir une grande quantité de victimes du coronavirus. La recherche scientifique notamment dans le domaine médical, qui devait être hautement financée en tout temps, a été négligée. Le personnel de santé est insuffisant. Au moment où en Europe, on compte 79 infirmières et sages-femmes pour 10 000 personnes, en Afrique, il n’y en a que 11 selon l’OMS.
Si l’on s’en tient à l’expérience du virus Ebola de ces dernières années, le risque est que ces maigres ressources soient désormais consacrées à combattre le virus au détriment de la lutte contre le paludisme, des vaccinations, des soins primaires, etc.
Face à l’actuelle menace, nous devrons adopter les meilleures réponses pour contenir les risques pour la santé publique. Mais avant d’avancer, il faudra reconnaître que la vulnérabilité des pays africains face à l’épidémie du Covid-19 n’est pas seulement due à la pauvreté endémique de ces États. Est aussi à souligner leur procrastination systématique alors qu’ils auraient dû engager des réformes de leurs systèmes de santé non seulement afin qu’ils satisfassent aux besoins de leurs populations mais également pour qu’ils puissent être prêts à faire face à des chocs imprévus. Toutes les leçons n’ont pas été tirées de l’expérience de la maladie à virus Ebola. Certains pays comme le Sénégal ont certes mis en place des dispositifs pour améliorer la surveillance des risques d’épidémie mais ils n’ont pas répondu à l’appel de réforme plus profonde des systèmes de santé.
Toutefois, malgré tout le malheur et le désespoir que la pandémie génère, elle offre une petite fenêtre d’opportunité pour introduire des réformes sérieuses dans le système de santé au Sénégal. En dépit de la panique générale et de la propagation de l’épidémie sur son territoire, la gestion de cette crise sanitaire par l’État du Sénégal est pour l’instant honorable. Cela est essentiellement dû au fait que la réponse de l’État est basée sur une approche qui met en priorité la prévention.
Le ministère de la Santé nous envoie des messages pour qu’on se lave les mains et qu’on reste vigilant, les règles d’hygiène de base sont rappelées dans les espaces de travail, dans les lieux de cultes, dans les administrations, les commerces, etc. Il n’y a jamais eu autant de cohésion entre tous les acteurs importants du pays pour demander au Sénégalais de faire des questions de santé une priorité quotidienne.
La pandémie du coronavirus passera, mais ces pratiques devront rester, et être renforcées. Avec le succès des efforts qui sont en train d’être faits pour mettre la santé au cœur des préoccupations communes, le moment est bien choisi pour faire passer notre système de santé très curatif à un système de santé axé sur la prévention. Daouda Diouf, le directeur exécutif de Enda Santé, une organisation non gouvernementale, rappelait, à juste titre, dans un entretien avec WATHI que « la dimension préventive est le parent pauvre (des systèmes de santé africains), alors que les pays à ressources limitées devraient dépenser dans ce domaine plutôt que dans la prise en charge. »
Penser long terme même en temps de crise
Outre cet élément, plusieurs autres secteurs devront être réformés pour faire face au potentiel accroissement des besoins en services de santé qu’entrainera l’épidémie. Dans son Mataki sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest publié le 24 février 2019, le think tank citoyen pour l’Afrique de l’Ouest WATHI détaille certaines pistes d’action stratégiques pour s’y atteler.
Pour le gouvernement du Sénégal, il s’agit de ne pas réagir à la crise sanitaire avec des mesures efficaces sur le court terme seulement. Certes endiguer la propagation du coronavirus sur le territoire est la priorité, mais il est également décisif d’exploiter les opportunités rares de corriger les défaillances structurelles qui font que notre système de santé est si vulnérable, en se basant si nécessaire sur les réflexions stratégiques de la société civile qui existent.
Le second constat que j’ai annoncé sera plus rapide à brosser. Il est le suivant. Il n’a fallu qu’un virus pour faire ressortir les instincts les plus individualistes des États. A tout bout de champ, chacun décide unilatéralement de mesures drastiques pour faire face à une menace qui pèse sur tout le monde. Le coronavirus révèle à quel point les institutions de gouvernance mondiale comme régionale ont été prises de court par une menace brusque.
L’Union européenne, qui a été longtemps un modèle d’intégration, a été paralysée par la crise transnationale. En Afrique de l’Ouest par contre, les ministres de la santé des pays de la CEDEAO se sont réunis au mois de février sous l’égide de l’Organisation ouest-africaine de la santé. L’OOAS est l’institution de la CEDEAO en charge de la santé. Elle souffre cependant d’un manque de moyens et d’une confiance politique de la part des chefs d’État comme c’est le cas de plusieurs institutions régionales. Plus que jamais, il est nécessaire d’en faire le pôle régional principal dans plusieurs domaines de la santé comme le détaille WATHI dans son Mataki.
Là encore, il faut que les pays de la région comprennent que la faiblesse structurelle de leurs systèmes de santé leur exige de combattre cette pandémie dans la solidarité et non pas par des démarches individualistes. A ce propos, l’Union africaine devrait faire preuve de plus de leadership en renforçant son initiative « Investir dans la santé » afin de ne pas laisser les États africains attendre l’aide des organisations internationales dont les démarches peuvent être surprenantes et instrumentalisées par les grandes puissances en situation de crise.