Tant d’autres voies s’offraient à nous. Nous aurions pu emprunter tant d’autres chemins. Rien, en effet, ne nous condamnait à échouer sur ces bords.
(…) Le siècle sera peut-être celui au cours duquel l’humanité, finalement, ingèrera ses artefacts. Elle ne fera plus qu’un avec ceux-ci et avec le monde extérieur, lequel aura, par la même, disparu, enseveli dans ses entrailles. (…) Transcender nos limites corporelles, la dernière frontière, tel à toujours été notre rêve. Il nous aura coûté la Terre.
À présent, le chemin du choc est largement ouvert (…). L’époque n’est donc pas seulement étrange. Elle est propice à toutes sortes de débordements sans finalité apparente.
(…) La Terre sera l’oasis à partir duquel l’humanité toute entière entreprendra la gigantesque œuvre de régénération du vivant. Ou elle en sera le tombeau universel, son mausolée, dans la continuité de la période géologique de l’histoire de l’univers.
Ce mausolée accueillera non pas la dépouille de l’humanité, mais sa momie. Les funérailles de l’humanité n’auront pas lieu dans le grand secret, mais dans un tumulte absolu. Elle attiseront une gamme de passions et convoqueront l’histoire intime de chacun. Certains y viendront armes de funestes souvenirs et de poisons, et d’autres de cadeaux, toutes sortes d’objets inutiles, des bibelots, du rhum, de la cocaine et du tabac, des peaux d’animaux et des fusils de chasse, quelques cabris et d’énormes miroirs, des fétiches usés, et peut-être aussi de l’encens. Tout sera remis en question. Mais il y a longtemps que le temps des réponses aura été définitivement clos.
Extrait de la conclusion de BRUTALISME (Paris, La Découverte, 2020), pages 233-234, puis 236.