Excellence, monsieur le président de la République,
Au moment où vous vivez sans doute les heures sombres d’un dirigeant face au destin de son peuple, permettez-moi de vous adresser cette lettre ouverte, de façon solennelle et en toute déférence.
Monsieur le président,
Dans l’histoire des grands hommes, il y en a eu des petits, des nerveux, des bedonnants, des athlétiques. Ce sont là des détails bien dérisoires qui n’ont guère encombré de paragraphe dans les manuels scolaires car, au fond, personne n’en a jamais eu cure.
Dans l’histoire des grands hommes toujours, il s’en est fallût parfois de peu ou de beaucoup, d’une déclaration par-ci, d’une correspondance par-là, mais bien plus souvent d’une décision, d’un acte fort, pour changer la face du monde.
De l’histoire des grands hommes enfin, Victor Cherbulliez écrivait ceci : « de toutes les sciences, la plus nécessaire pour faire un vrai grand homme est la science du malheur ».
Dans l’histoire qui est la nôtre, nous avons successivement porté à la magistrature suprême un président poète à l’esprit fin, un administrateur rodé et charismatique, un visionnaire démesuré mais incontestable. Puis vous. On ne s’empressera pas de vous caractériser, de la même manière qu’il serait maladroit et précipité de rédiger une épitaphe pour un vivant. Seule l’Histoire veille. Et l’Histoire retiendra.
Dans l’histoire du continent, notre pays, le Sénégal, a toujours figuré comme un modèle de paix et de stabilité. C’est bien la raison pour laquelle, ni les tablettes de nos vestiges ni les récits de nos griots ni les tiroirs de nos archives nationales ne se sont jamais soucié de nous laisser quelque trace empirique du modus operandi dans l’art de guerre. Faute de précédent, notre Constitution elle-même, pourtant si prévoyante dans ses dispositions, ses articles et ses amendements, est victime de cette négligence.
Dans notre histoire récente, le peuple, par un suffrage retentissant et inédit, vous a élu pour un autre mandat (que l’on se dispensera de dénombrer pour éviter de tomber dans le piège du polémiste).
A l’heure où notre planète subit de plein fouet la « crise sanitaire mondiale majeure de notre époque », le Tout-Haut et Très-Puissant, seule vraie constante, maître des sept cieux empilés et de leurs 400 milliards d’étoiles, l’avait planifié ainsi : c’est vous qui seriez aux commandes ce jour-là. Mektoub (c’était écrit).
Plongé dans une incertitude obscure, le monde entier se prépare, dans les prochains jours, à manquer de tout ce qui compose la chaîne de valeur de notre existence, telle que décrite dans la représentation pyramidale de Maslow. Dans cette situation de guerre où l’ennemi est biologique, les démographies vont rapetisser, les économies vont s’effondrer, les systèmes seront désemparés, et aucune nation ne sera épargnée, directement ou indirectement.
Devant la nation inquiète et déboussolée, les attentes à votre égard sont donc colossales, faramineuses. D’ores et déjà, votre posture exacerbe tous nos sens : on vous a à l’œil, au vu, au su et au dit, dans tous les espaces d’expression publics et privés. On vous veut père et mère, général de guerre, médecin-chef, soufi, économiste, patron d’entreprise. On attend de vous que vous puissiez changer de casquette, à tour de bras, passant d’artisan de la science du malheur à stratège de l’autarcie rampante. On vous en demande beaucoup. Certes. Mais votre coupe ne devrait déborder si tant est que, en réalité, c’est le Tout-Puissant qui vous a choisi et qu’il est le seul « Provider ». « Thou shalt not worry ».
Cependant, bien qu’Il soit celui qui attribue (Provider) et qu’Il sait fort bien doter ses mandataires, le miséricordieux ne manque jamais de poser ses conditions en filigrane. Car « en vérité, Allah SWT ne modifie point la condition d’un peuple tant que les individus qui le composent ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes » (sourate Le Tonnerre, verset 11).
Aussi, attentiste et alerte comme votre peuple, Il attendra de jauger.
De par Son omniscience, Il sait déjà qu’aucun Général n’a jamais gagné aucune guerre dans la solitude.
Il attendra alors de vous que, magnanime comme à son image car ainsi nous a-t-Il créé, vous instauriez une démarche « all hands on deck », comme on le fait quand l’heure est grave, invitant dans vos conseils de guerre ceux qui vous ont porté au pouvoir et l’assument, ceux qui vous y ont porté et le regrettent, et même ceux qui ne l’ont jamais ni fait ni envisagé.
Dans Sa justice équitable, Il attendra en retour de ceux-là qu’ils n’osent point rejeter l’appel de celui qui a été démocratiquement élu pour présider à leurs destinées, et qui par Lui a été désigné maître de guerre.
Seulement alors, dans Son omnipotence, vous assistera-t-Il en « dissipant les ténèbres…soleil sur nos terreurs, soleil sur notre espoir…le Sénégal rassemblé, épaule contre épaule, vos plus que frères, ô Sénégalais debout … forts comme le muscle… de l’est à l’ouest, du nord au sud… dressés comme un même peuple… un peuple sans couture, tourné vers tous les vents du monde… les armes au poing… jeunes et vieux, hommes et femmes… un peuple dans sa foi défiant tous les malheurs. » (L.S. Senghor)
Seulement alors, vous l’emporterez, à l’unisson avec un peuple, un but, une foi. Et dans les manuels scolaires, on contera alors la nation à jamais reconnaissante au Plus Grand Président de notre Histoire.
Monsieur le Président de la République, le coche est à vous.
Yalla na la yalla diapalé.
Respectueusement,