(L’exemple du Docteur Samba, d’Adama Gaye et de tant d’autres internautes)
Chaque soir, à 19h15, la France décompte son nombre de morts. C’est une projection statistique inquiétante et morbide d’un cabinet anglo-saxon qui a fait agir Emmanuel Macron et l’a fait décider à fermer les écoles. L’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis d’Amérique et la France enterrent leurs morts, jour après jour, parfois dans des conditions impensables pour ces pays dits développés. La peur collective de la mort, à forte contagiosité en conséquence, provoque une angoisse jusque-là inconnue auprès des générations de l’après-guerre. Les rues quasi-désertes de Paris laissent planer un parfum de fin du monde !
A cet instant, je pense à nos jeunes, à nos enfants. Comment vont-ils sortir de cette épreuve, cette génération de PlayStation, accoutumée à vivre dans le virtuel ? Euxmêmes, à rares exceptions certes, peuvent être frappés comme cette jeune parisienne de 16 ans ! Comment vont-ils conjurer, exorciser cette rencontre inattendue d’une Nation avec la mort ? C’est violent, très violent d’être confiné alors que la nature, dehors, se réveille dans l’hémisphère nord après son hibernation. C’est terrifiant de leur apprendre à ne pas être libre pour leur bien et le bien des autres. Cette liberté, pourtant, est si consubstantielle à l’homme moderne et aux luttes démocratiques.
Dans ce contexte difficile pour l’humanité, certains s’improvisent médecins comme dans le malade imaginaire de Molière, satire de la médecine. A cette époque, la révolution scientifique en cours se confrontait aux traditions des saignées et des purges. C’est à peu près la même chose qui se passe avec le Covid-19 : comment des sociétés en pointe dans les technologies sont-elles contraintes de confiner toute leur population, de même qu’au Moyen-âge ? Le contraste est saisissant ! C’est sans doute un appel à révolutionner notre médecine, encore à la croisée des chemins, entre le passé et le futur. C’est aussi un appel à lui consacrer plus de moyens, d’attention, de respect et d’amour.
Au Sénégal, c’est un arnaqueur, le présumé Docteur Samba, qui fait la une de la presse. D’autres inconnus se révèlent tout aussi dangereux que lui : ils propagent des fake news, des complots internationaux, qui convainquent les plus ignorants d’entre nous. En pleine peur collective, ils sont assurés d’un succès d’audience. Ils créent des groupes WhatsApp où tout le monde devient plus savant que le savant lui-même ! De la géopolitique à la recette de grand-mère, tout y passe ! Semblable au faux Docteur Samba, il suffit de porter la blouse blanche et le stéthoscope autour du cou, et le tour est joué ! Comme dans le malade imaginaire, il suffit d’imiter Sganarelle et Toinette, tous deux domestiques, en recourant à des mots savants. En un mois, nous avons enrichi notre vocabulaire épidémiologiste qu’un professeur de lycée en biologie n’aurait su faire en une année auprès de ses élèves. Quel exploit ! Nous sommes tous devenus des savants du coronavirus.
Je vous avoue humblement mon incapacité à trancher des polémiques d’hommes de science. Je suis juste convaincu que le Pr Didier Raoult est devenu, malgré lui ou pas, la satire de la peur de notre mort. Les livres comme La peste d’Albert Camus partent comme des petits pains ! Mais relisez avec le recul nécessaire « Le malade imaginaire » de Molière ! Avons-nous changé depuis ? Pas si sûr ! Le Pr Didier Raoult n’est pas n’importe qui. Il a, peut-être, sans doute, peu ou prou raison, mais le problème en l’espèce c’est que des activistes se l’approprient pour concocter un dangereux cocktail entre médecine et politique. Or la science en général et la médecine et la recherche en particulier, s’exercent dans la sérénité et selon des règles déontologiques. Tout le contraire du landerneau politique et du monde des activistes !
Sous l’effet de l’émotion, de la crainte de mourir, la chloroquine est présentée comme le médicament miracle. Je comprends ceux qui s’y accrochent car il y a urgence. Pourtant, certains instrumentalisent le Pr Didier Raoult comme une figure de proue de l’antisystème, de l’anti-occidentalisme, de l’anti-mondialisme et de la lutte contre le capitalisme. J’aimerais l’entendre dire stop à tout cela avant que cela ne dégénère en cacophonie dangereuse pour les patients ! A moins qu’il s’en délecte ! C’est le 2ème acte des gilets jaunes qui se jouerait devant nos yeux, avec à la clé un schisme mondialisé entre l’establishment et le petit peuple ? Sur les réseaux sociaux, la paternité d’un message contre un vaccin de Bill Gates est faussement attribuée au professeur français. C’est la nouvelle trouvaille largement relayée : l’Afrique serait en danger ; ses habitants seraient les prochains cobayes d’un vaccin contre le covid-19 ! Le délire à l’état pur d’un soi-disant dépeuplement organisé par les grands de ce monde sous l’égide des Nations unies et de son agence l’OMS !
Adama Gaye, lui non plus, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère ! Il s’en est pris au secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Ce dernier a eu le tort de vouloir mobiliser la communauté internationale pour que l’Afrique ne soit pas le laissépour-compte. S’il n’avait pas lancé cet appel, n’aurions-nous pas reproché son silence, son inaction ? Ce faisant, le responsable des Nations unies a évoqué des millions de morts. Il est alors perçu comme un oiseau de mauvais augure ! Un argentier qui veut se faire de l’argent sur le dos de l’Afrique ! Et si Antonio Guterres ne faisait qu’obéir à la modélisation de l’évolution de la pandémie. Nous prions tous pour que l’Afrique soit épargnée mais c’est de sa responsabilité de dirigeant d’agir. Peu importe qu’il en déplaise au grand savant Adama Gaye ! Croyez-vous que, ce matin, j’ai pris plaisir à entendre Catherine Hill, une épidémiologiste et lanceuse d’alerte, nous soutenir que, selon sa modélisation, plus de 64.000 français mourront du coronavirus. Me suis-je emporté en invoquant les dieux africains, le panafricanisme, la souveraineté nationale, le patriotisme, et je ne sais quoi encore !
Le covid-19 est la biopic de notre humanité d’aujourd’hui, à savoir de la peur de notre mort et de la crainte de l’autre. Un étranger devient soudainement un sénégalais car né à Dakar mais a fortiori car il symbolise l’espérance de vie, c’est le fameux Pr Didier Raoult. Des professeurs de médecine sénégalais, plus prudents sur les traitements, sont au contraire vilipendés par les leurs ! Ils pourraient se faire lapider sur la place publique que cela ne m’étonnerait guère. Tandis qu’une statue du Pr Didier Raoult serait érigée en lieu et place de celle du général Faidherbe ! Le coronavirus nous fait marcher sur la tête ou alors à y regarder de près révèle en pleine lumière ce que nous sommes : une bête humaine incontrôlable tant nos contradictions nous empêchent d’aller de l’avant ! Les activistes qui appelaient au retour des étudiants de Wuhan, sont les premiers à avoir pesté contre le retour des « modou-modou », porteurs de la maladie ! La peur de la mort et de l’autre font perdre la tête à beaucoup d’entre nous. Ce qui est plus grave, c’est que certains, conscients de cet état de fragilité psychique, avancent leurs pions pour tirer profit des peuples désemparés. Ce sont les nouveaux gourous du coronavirus ! Ils se filment, ils s’auto-proclament savants !
Il y aura le temps de se pencher sur le multilatéralisme et ses défaillances. Dans les démocraties à l’inverse des dictatures, il y aura le temps de rendre compte au moment venu dès lors que des régimes d’exception ont été mis en place. C’est le cas de la France et du Sénégal. Les conflits d’intérêt s’il y en a, seront jugés. Les fautes politiques s’il y en a, seront sanctionnées. Il y aura le temps de s’interroger sur la faillite du politique qui, dans sa façon de gouverner, ne sait plus prévoir mais seulement administrer, et encore ! Pour l’heure, laissons nos héros, les médecins, faire leur travail ! Laissons nos chercheurs infatigables trouver un vaccin pour éradiquer ce virus ! Laissons nos autorités politiques prendre mesure de toutes leurs responsabilités ! Et nous, pendant ce laps de temps, n’essayons surtout pas de devenir des savants du coronavirus et de suivre bêtement des charlatans !