Miles Davis tenait Louis Amstrong pour l’un des plus grands génies de la musique que l’humanité ait jamais produit et le classait au niveau de Beethoven. Il considérait que l’Amérique blanche avait cherché délibérément à escamoter et à phagocyter ce génie en en faisant un vulgaire « entertainer », une vedette de cabaret et de disque.
Satchmo, disait-il, pas dupe s’était prêté de bonne grâce pourtant au jeu « du showbusiness » avec sa gouaille, sa bonne humeur et son gros rire de Nègre qui lui étaient naturels. Mais ajoutait Miles, le génie de Louis ‘ Satchmo’ Amstrong, cet homme qui avait plus que tout autre crée le « Jazz » cet art majeur, unique, qui devait définir les USA plus que toute autre forme artistique était irrépressible.
C’est ainsi que sa contribution inestimable au patrimoine matériel et immatériel de l’humanité a fini d’être reconnue et célébrée.
De même le génie fulgurant du créateur de Soul Makossa n’a-t-il pas été contenu, perverti et détourné, quand on en a fait de Manu Dibango une « vedette » de la « world music » version « monde francophone » ? Quand on en a fait cet animateur indispensable de Radio France Internationale, TV5 et autres chaines audiovisuelles destinées à l’Afrique et aux « territoires outre marins » ?
Quand on en a fait – je ne dis pas que c’était à son corps défendant – cet arrangeur indispensable, capable de mettre en même temps de la sonorité jazz et de la sonorité africaine, mais pas trop, à n’importe quelle rengaine renvoyant à l’Afrique et à ses cocotiers ?
Enchainant les tubes, comme on disait à l’époque, avec des paroles mièvres, à la limite débiles, qu’on associe aux Africains transfigurées par le souffle unique de ce sax, courant les spectacles à travers toutes les scènes de la Francophonie, des Francofolies de Montréal, aux scènes parisiennes et belges, il débitait son savoir-faire à la demande.
Si bien que se répétant sans cesse, se pastichant à l’excès, tel cet Albatros enchainé sur le pont du navire, il était incapable de s’élever désormais vers les cimes. Les cimes que Soul Makossa avait attient d’emblée
Le Graal, c’est-à-dire la fusion avec les pulsions de l’Afrique Mère et l’harmonie de la musique moderne, par la voix et l’instrument, ce Graal dont la poursuite est l’essence même du jazz, était là.
Quincy Jones qui travaillait à la production de l’album de rupture d’un certain Michael Jackson à l’époque, en 1972, ne s’y était pas trompé : il a immédiatement piqué à Soul Mokossa un ou deux rifs, de ces rifs qui définissent toute la texture d’une production pour en faire un « son ».
Si Manu Dibango avait été Américain, il aurait été immortalisé de son vivant dans le « Hall of Fame » des Légendes du Jazz, comme Louis Amstrong avait fini par l’être ou nommé « ambassadeur itinérant du Jazz » comme Dizzy Gillepsie le fut. Ou titularisé Professeur dans une université pour lui permettre de produire sa musique à son gré tout en formant les jeunes générations. Comme Herbie Hancock par exemple.
S’il avait été Français, de France, il aurait été sacré « compositeur » comme un Michel Legrand ou un Maurice Jarre et on lui aurait confié régulièrement la direction de grands orchestres et la réalisation de musiques de films.
Américain ou Français, il serait entré de son vivant dans la légende. Mais Manu Dibango était Africain, Camerounais, ou Franco-Camerounais comme diraient d’autres. Il n’empêche que comme Louis Amstrong, il aura laissé sa marque. Non pas seulement par une discographie de plus de 30 « albums » mais par un « son » particulier.
Ce son épuré de la gangue de la « world music » et des contraintes de la variété française, sera recyclé et fondu avec celui des Tabu Ley, Fela Kuti, Pierre Akendeengue, Bembeya Jazz, Hugh Masekela entre autres dans la nouvelle musique africaine que la jeunesse africaine est en train de créer. Une musique qui sera l’hymne de la Renaissance Africaine.
C’est pourquoi Manu Dibango mérite un hommage particulier de l’Afrique toute entière. C’est le basiste de Jazz Richard Bona, camerounais lui aussi, qui je crois, a suggéré que l’aéroport international de Douala soit baptisé à son nom.
Le Cameroun et l’Afrique lui doivent au moins cela.