On a connu l’à-propos de professer. Pour cerner la pandémie, il a fallu se restreindre, cohabiter plus sobrement, rester chez soi. On a effectivement décru. Ce fut faisable alors que c’était invraisemblable auparavant. Rien de plus pédagogique que de comparer des photos par satellite de la pollution dakaroise. Par le seul effet de limitation des déplacements, elle avait pratiquement disparu.
Macky Sall a amorcé un plan idéal, il faut oser le dire. C’est tellement bien fait que l’on croit que la suite, saurait être maîtrisée mécaniquement par l’effet pédagogique de la pandémie.
Or, il ne suffit pas de le désirer en mots, il faut l’opérer en actes. La décroissance forcée a suscité les pires inquiétudes. La décroissance volontaire signifierait une mutation culturelle beaucoup trop radicale pour un pouvoir faible et des citoyens complices. A savoir : la fin complète de l’extraction des combustibles fossiles, charbon, pétrole, gaz ; l’abandon de la délocalisation des productions essentielles ; un pouvoir d’achat réorienté vers la production locale non seulement de biens mais aussi de services ; plus d’éducation, de culture et de soins de santé ; plus de recherche fondamentale pour être armé en cas d’imprévu ; moins de tourisme de masse, moins de vacances sur les plages; moins d’incitation par la mode à acheter et à jeter des vêtements ; peu ou pas de publicité ; des médias orientés vers l’information, la formation, l’éducation, la culture, plutôt que le divertissement stérile ; une Toile débarrassée de ses parasites ; une gérance rationnelle de la démographie nationale ; moins de démagogie populiste et plus de compétence en politique ; plus de solidarité internationale et moins de repli nationaliste ; un retour vers une croyance axée sur une foi humaniste et non sur la croyance en la magie et au merveilleux.
Quel programme et quel défi ! Rien de moins qu’un changement radical du système économique, industriel, politique, culturel, l’équivalent en sens inverse de la révolution industrielle du XIXe siècle. Non pas le retour au passé antérieur mais l’invention d’un nouveau futur, construire un sénégalais spécifiquement.
Et après ?
Le goulet économique, qui est le défi à venir, est soumis à plusieurs couples d’impératifs contradictoires, très exigeants à l’égard du pouvoir. Il faut en même temps : agir sur la consommation locale en surtaxant les taxes sur l’importation; faire croitre les entreprises locales, avant de faire décroître des secteurs traditionnels, pour ne pas susciter le chômage ; agir résolument au niveau national, bien qu’un effort planétaire gouverné par une instance exécutive internationale soit indispensable ; décourager l’émigration etc. Pour atteindre en même temps ces objectifs antinomiques, il faudra beaucoup d’imagination, plus culturelle que politique, plus spirituelle que publicitaire.
L’assortiment est maintenant clair : faut-il entrer en décroissance, pour sauver des vies ? La réponse n’est pas évidente. Face à une crise sérieuse, il n’y a que des solutions douteuses, car il existe des problèmes insolubles par définition. Tout est donc dans le compromis, le consensus, la confiance mutuelle entre les sénégalais et le pouvoir.
Certes le chenal climatique est la plus flagrante, mais d’autres, qui en découlent, nous attendent encore plus vite. Chaque fois un défi existentiel sera proposé qui demandera une démonstration de civisme. Nous avons été placés devant une occasion de nous entraîner à surmonter les épreuves et nous n’avons pas si mal réagi. Que ferons-nous devant le défi suivant, beaucoup plus pointilleux.
Camus l’avait vu dès 1942 en publiant La Peste dont on peut adapter la dernière phrase : « …le jour viendra où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillera ses rats et les enverra mourir dans une cité heureuse. » Cette t« leçon » donnera-t-il la sagesse d’émerger dans la survie de l’espèce ?
Boubacar SYLLA