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Rufisque, Ville RuinÉe (1)

Jeudi 9 avril 2019. Il est bientôt 16 heures. Nous sortons de l’autoroute, et prenons le chemin qui va à Bargny. Le sol en calcaire s’étend sur le lointain paysage. Des déchets sont jetés tout le long de l’accotement. Une fumée s’échappe. En filet mince. Un homme muni d’un tuyau jaune arrose une petite parcelle rectangulaire. Des terrains défrichés entourent sa culture de laitue. Un peu de fumier est disposé à côté. Quelques mètres plus loin, sur le bord de la route, d’autres individus s’affairent. Les uns piquent des semis. Les autres cueillent les fruits de leurs potagers. Certains tiennent des arrosoirs. Quelques-uns bavardent.

Des maisons bordent le chemin, sur le côté droit de la route. Elles sont, pour la plupart, en construction. Une pluie de poussière commence à barrer l’horizon. Le panorama est un peu apocalyptique. La Sococim se dévoile. Comme une balafre. Sa silhouette est large. Elle ne s’est jamais montrée autrement que sous cet aspect moche. Cendreux. Des camions reviennent des carrières et avancent vers l’entrée de l’usine. L’air qui s’infiltre dans la voiture est irrespirable. Une concentration élevée de particules obstrue l’atmosphère. La voiture qui roule devant nous piétine la poussière. Une nuée de poudre blanche vient se déposer sur le pare-brise. On n’y voit plus grand chose.

Un tapis de cendres. La Sococim défigure l’environnement entre Rufisque et Bargny. De l’autre côté, sur la route nationale, c’est le même paysage de désolation qui s’offre à nos yeux. Là-bas aussi, la poussière envahit la route et colonise les arbres. La vue splendide qui donne sur la mer, juste à l’entrée de Bargny, est gâchée. Les cendres qui proviennent de l’usine rendent le tableau grisâtre et laid. Trop vulgaire. Qui contraste avec la beauté naturelle de cet espace entre mer et forêt.

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La Sococim, créée en 1948, est la première cimenterie d’Afrique de l’Ouest. Elle produit plus de 3,5 millions de tonnes de ciment chaque année[1]. L’entreprise est l’une des premières sources d’emplois de la ville de Rufisque. Sa main d’œuvre est constituée de 400 employés permanents et de 600 ouvriers temporaires[2]. Elle mène aussi des actions socio-économiques, à travers sa fondation. Elle est l’une des plus grandes contributrices au budget de Rufisque. Elle verse une patente d’un 1,3 milliard[3] chaque année à la ville. 

La Sococim pollue. Beaucoup. Les quartiers riverains de l’usine sont directement impactés. Guy Murid, Arafaat, Kolobaan, Cité Castors, Cité Sococim, Joorga du côté de Rufisque. L’exposition des populations à la pollution va au-delà des quartiers alentours. Elle concerne toute la ville de Rufisque. Bargny aussi. L’activité de la Sococim a aussi une incidence négative sur les habitations. Avec les fissures et les dégradations causées par les explosions. Pour extraire le calcaire, la société procède à des tirs de mines. Les habitants doivent aussi subir les vibrations et les pollutions sonores. Ce sont les populations qui sont venues construire autour de l’usine, pourrait-on objecter. Cela ne dispense pas de penser les conséquences de l’activité de la cimenterie sur la santé et le bien-être des habitants de la ville de Rufisque. Et, au-delà, sur l’environnement.

L’indispensable métamorphose. Y a-t-il des solutions pour juguler cette bombe écologique ? Deux pistes sont envisageables. Il s’agit pour la première de délocaliser les habitations à proximité de l’usine. Ce serait un coût logistique et financier énorme. Que la Sococim et l’Etat pourraient prendre en charge. Une telle mesure permettrait de limiter les risques sanitaires. D’adopter un principe de précaution. La Sococim dit investir dans des technologies moins polluantes pour limiter son empreinte carbone. Mais ce n’est pas suffisant. Sans jouer au catastrophisme, il ne faut pas exclure la possibilité d’un accident industriel. Qui serait dramatique et inattendu.

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L’autre solution serait le démantèlement de l’usine. L’Etat pourrait attribuer un autre site d’exploitation à la Sococim. Ici aussi les capitaux à dégager seraient très lourds. Les recettes de la ville de Rufisque s’en trouveraient affectées. Mais le bien-être des populations est prééminent. ll ne faut pas attendre une catastrophe industrielle pour apporter des changements radicaux. Ni la responsabilité sociétale de l’entreprise, ni le mécénat ne peuvent compenser les indispositions à l’environnement. Désaffectée, cette zone industrielle pourrait devenir une mini-forêt urbaine. Un poumon vert pour toute la région de Dakar. Mieux, ce serait une aubaine pour créer un grand espace-test pour le maraîchage.

Cela serait une occasion d’expérimenter des coopératives autogérées. Qui seraient des vecteurs d’emplois. Et pourquoi pas y développer des circuits économiques solidaires, ainsi qu’une agriculture urbaine. La municipalité, si elle est bien organisée, y trouvera des ressources additionnelles. Le fondement moral ne manque pas : le droit à la santé et à un cadre de vie salubre. D’ailleurs, la Constitution du Sénégal consacre “le droit à un environnement sain”. Rufisque doit mener sa transition. Et reconstruire un environnement naturel et bâti humainement décent. C’est un combat que la jeunesse rufisquoise doit porter.

La dépollution de la ville est un enjeu crucial. Elle doit passer par des décisions radicales. Il s’agit d’inventer et de mettre en exergue des politiques alternatives. Nous ne pouvons pas nous résigner et continuer d’accepter tous les spectacles désolants qui compromettent notre milieu de vie et notre santé. Dégradent l’environnement. Au-delà de la ville de Rufisque, c’est la politique industrielle du Sénégal qu’il faut corriger. Comment des usines polluantes et dangereuses peuvent être nichées au cœur de nos villes, avec tous les risques que cela peut engendrer ? Il y a une forme d’impensé dans la politique industrielle du Sénégal. Il ne s’agit pas uniquement de la grande dépendance de ce secteur vis-à-vis de l’étranger. Mais de son ancrage dans la société, et des problèmes écologiques qu’il soulève.

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[1] http://www.sococim.com/PRODUITS-QUALITE/Les-produits

[2] http://www.fondation-sococim.com/La-Fondation-SOCOCIM/A-l-origine-SOCOCIM-Industries

[3] https://www.business-humanrights.org/fr/s%C3%A9n%C3%A9gal-11

Retrouvez sur SenePlus, « Notes de terrain », la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.

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