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Le Tour De L’afrique Est À Construire Pas À DÉcrÉter

Le Tour De L’afrique Est À Construire Pas À DÉcrÉter

La pandémie du COVID 19 est-elle une occasion devant permettre l’arrivée rapide du tour de l’Afrique dans la géopolitique mondiale ? Beaucoup de réflexions vont dans le sens d’une réponse affirmative à cette question. Elles admettent que les rapports dans le monde vont changer en faveur de l’Afrique. Les africains peuvent sourire largement, les visionnaires sont formels : « Après l’échec du communisme, le capitalisme occidental va vers l’effondrement. C’est le tour de l’Afrique qui devra profiter du dividende démographique. Le COVID 19 servira d’accélérateur ». Au-delà de ces réflexions et positions optimistes, que pouvons- nous retenir des faits ?

Un fait saillant qui a fait couler beaucoup d’encre est constitué des réactions suite à un échange entre deux médecins chercheurs. Il s’agissait d’une réflexion à haute voix faite par Jean-Paul Mira et Camille Locht dans une émission télévisée. Le premier pose une question  scientifique : « Est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? » Il oriente la réponse en faisant appel à une expérience plus ou moins lointaine:  » Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas. » Le second, dans le sens du premier, dévoile une réflexion scientifique en cours :  » Vous avez raison, on est d’ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique« . Il faut noter le mot « en parallèle ».

Bien sûr les réactions des africains (stars, intellectuels, ministres, société civile, etc.) ne se sont pas fait attendre pour rappeler que nous ne sommes pas des cobayes et que nous sommes contre le néocolonialisme (conscient et inconscient). Ces analyses ont rappelé toute la dignité de l’Afrique et des africains. Il nous faut reconnaitre que l’ensemble de ces réactions relèvent, pour le mieux, de l’idéologie alors que nos deux médecins s’exprimaient dans le domaine scientifique. En effet, ces propos ont été tenu dans un contexte où « des chercheurs de plusieurs pays ont lancé, ou s’apprêtent à le faire, des essais cliniques de grande ampleur afin de déterminer si la vaccination par le BCG (appellation courante du vaccin bilié de Calmette et Guérin) offrirait une protection – au moins partielle – contre le Covid-19. » et déjà «  Les essais ont déjà commencé à grande échelle en Australie (4 000 participants) et aux Pays-Bas (1 000 participants). L’Espagne va s’y joindre, de même que la France, où l’essai est en cours de planification par l’équipe de Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Lille. Les premiers résultats de l’essai français pourraient être disponibles d’ici trois à quatre mois », selon le Monde. Une question : Pourquoi les réactions n’expriment-elle pas la manière dont l’Afrique devrait participer à l’effort de guerre que l’humanité a engagé dans la lutte contre le COVID-19, d’autant qu’elle demande de l’aide internationale et réclame l’annulation de la dette ?

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Heureusement que le professeur Iyane Sow a réagi. Pour lui, il n’y a rien de nouveau concernant le BCG. Mieux, les tests médicaux sont bien encadrés d’abord par les médecins eux-mêmes, ensuite par le comité d’éthique et enfin par le volontariat  et ceci partout dans le monde. Cette réaction donne un autre son cloche. Elle ne défend pas l’Afrique, ne crie pas au néocolonialisme et n’attaque personne. Elle n’est pas d’ordre épidermique, philosophique ou idéologique. Le Pr Sow intervient scientifiquement ; sa réaction respecte le parallélisme de forme. Ce sont ces types de réponses qu’on attend des africains quand un problème sérieux est posé. Quel doit être la contribution de l’Afrique dans la lutte contre le COVID-19 ? Idéologique ou scientifique ? 

Un autre fait qui met en opposition la démarche scientifique des occidentaux et notre démarche idéologique, est la production d’une note diplomatique française « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? » dont le résumé est le suivant : «  la crise du  Covid 19  peut être révélateur des limites des capacités des états, incapables de protéger leurs populations. En Afrique, notamment, ce pourrait être « une crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette en bas des régimes fragiles (sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). Vu d’Afrique, le Covid  19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique, qui va amplifier des facteurs de crise des sociétés et des Etats. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques ». Devant cette production fondée sur les sciences sociales et géopolitiques, nous avons répondu avec pertinence, par l’idéologie, la philosophie ou le complexe ; en disant stop à la recolonisation et à la condescendance. Nos gouvernements ont-ils mis en place des structures en charge de la production scientifique et stratégique sur ces questions ? Si oui, celles-ci ont-elles produit des notes scientifiques pour une bonne identification et une meilleure gestion d’une éventuelle crise sociopolitique ?  

Quand on était au stade d’épidémie à Wuhan, nous avions dit que c’est parce que la Chine a massacré des musulmans. Quand l’hypothèse d’un virus d’origine animale est émise, nous enchainons qu’il faut respecter les interdits du Seigneur (nous ne sommes pas des mangeurs de pangolin, serpent et autres chauve-souris). Quand la maladie s’est répandue en occident, nous crions notre aversion aux savoir et savoir-faire scientifique (Dieu va leur montrer que leurs technologies ne servent à rien).

Au Sénégal, lorsque le président de la République, en suivant les conseils du comité scientifique, a pris des décisions (interdiction de regroupement, Etat d’urgence, couvre-feu, interdiction de serrer la main, etc.) pour empêcher la circulation communautaire du virus, nous manifestons notre opposition en se fondant sur nos certitudes empiriques  (recherche effrénée de laissez-passer, contournement des check point des gendarmes, utilisation des pistes pour voyager) et religieuses (protection divine).

La population est confortée par les tactiques réfléchies de ses leaders. Un leader politico- religieux a refusé de respecter les gestes  (lavage des mains au portail et salutations sans serrer la main du président) lors des audiences au palais de la république. Devant la gravité symbolique de ce fait, le président de la République surpris (un coup KO) n’a pu réagir immédiatement. Notre sécurité présentielle non plus. Les services présidentiels n’ont pas produit de notes stratégiques sur ces phénomènes (adoption par les populations des décisions, mystification religieuse, etc.). Toute une stratégie de sensibilisation, de communication et d’éducation pour la santé ruinée par une tactique d’un leader politico-religieux ?

La tactique du président de la république, lui, a mis en place des actes lui permettant de retrouver une légitimité contestée par l’opposition significative des présidentielles de 2019. Elle lui a même permis d’enfourcher le cheval de leadership africain (selon l’expression le journal le Soleil) dans le combat contre le COVID-19, en demandant l’annulation de la dette et en adressant une contribution (« L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain »). Le chevalier va-t-il capitaliser cet engagement pour briguer une fonction internationale (ONU, OIF, etc.) après la fin de son mandat en 2024 ? Une question aux politistes !

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Plus fondamentalement, les Etats occidentaux élaborent des stratégies de gestion de la crise sanitaire et ses conséquences à travers, d’une part, des tests prophylactiques et thérapeutiques et, d’autre part, la production de documents scientifiques et stratégiques. Nos intellectuels répondent que le COVID 19 va changer la géopolitique mondiale et faciliter le tour de l’Afrique alors que nos leaders politiques élaborent des tactiques de positionnement/ repositionnement qui mettent en mal la communication scientifique sur la pandémie.

Contre la science et la stratégie, nous continuons de rêver d’un changement social et d’un bouleversement de l’ordre mondial à travers le militantisme civilo-politique et les savoirs idéologique, empirique et religieuse. Pourtant depuis longtemps, nous profitons d’une part leurs matériels et équipements (voiture, avion, téléphonique, seringue, respirateur, ordinateur, etc.) sans pouvoir nous en approprier industriellement les technologies et, d’autre part, de leurs concepts (développement économique et social, développement humain, développement durable, sécurité alimentaire, santé pour tous, éducation pour tous, etc.) sans pouvoir les opérationnaliser. 

Nous avons privilégié les savoirs empirique, idéologique et religieux ainsi que la répétition maligne des concepts forgés dans d’autres contextes. La prospective scientifique est exceptionnelle. Si elles existent, les gouvernants dans le feu de l’action les oublient, pour se référer aux directives des institutions internationales dont le rôle est, en partie, le  maintien de l’état de l’oppression. 

Fondamentalement, nous avons des difficultés quand il s’agit d’élaborer nos politiques à travers des évidences locales et des démarches scientifiques interdisciplinaires. Par exemple, lors de son discours du 3 avril 2020, prenant en compte la situation alimentaire mondiale dans le cadre du Covid 19, notre président a demandé, à juste titre, la nécessité de la réussite du programme d’autosuffisance en riz (PNAR II : 2014-2018). Allons-nous faire comme on avait fait à la fin du PNAR I (2008- 2012), écrire un autre projet à coup de milliards sans une évaluation objective et indépendance de l’actuel tout en restant dans la même perspective ? Allons- nous l’insérer dans une véritable prospective scientifique de l’agriculture sénégalaise ? Ou bien allons-nous organiser une séance de « wakh sa khalaatt : exprime ta pensée »  qu’on va dénommer « Assises ou états généraux de l’Agriculture » et qu’on va qualifier d’inclusive ?

De quelles ressources et compétences disposons-nous, nous africains,  pour faire une prospective scientifique dans des secteurs (éducation, santé, eau, pétrole, etc.) essentiels ?  Est-ce que nos universités et nos structures de recherche ainsi que nos institutions gouvernementales sont organisées pour assurer une veille stratégique ? Savons- nous nous remettre en cause scientifiquement malgré nos diplômes, grades et fonctions ?

Pour finir, le tour de l’Afrique n’est pas à décréter mais à construire à travers la veille stratégique intégrant la production de savoirs scientifiques (physique, biologique, chimique, social, mathématique, etc.) et le développement des technologies (agronomie, médicale, informatique, ingénierie sociale et autres génies). Les  autres types savoirs (idéologique, religieux, empirique) et les diverses formes de militantisme civilo- politique peuvent être mis à contribution à des degrés raisonnables.

Amadou Ndiaye est Enseignant- Chercheur, Université Gaston Berger Saint-Louis

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