L’instauration de l’état d’urgence donne des pouvoirs exceptionnels à l’État dans toutes ses dimensions, pas seulement au Président de la République, mais aussi à tout l’appareil exécutif à travers ses différents représentants.
C’est une machinerie lourde, complexe, particulièrement difficile à maîtriser tant les comportements des représentants légaux sont de différents niveaux de responsabilité, d’éducation, d’éthique, de probité et de maîtrise de soi, sont divers et peuvent s’entrechoquer. Nombre de citoyens ont été témoins de dérives ( citoyens battus ou humiliés) lors des premiers jours de l’état d’urgence et ont eu tout le loisir de les filmer de leurs fenêtres ou du toit de leur maison et de les diffuser sur les réseaux sociaux. Alors qu’une attitude pédagogique eût été bien plus efficace
et efficiente pour l’adhésion volontaire et porteuse d’un engagement à populariser à son tour le message de responsabilité citoyenne à respecter les mesures de protection et de distanciation pour lutter contre l’épidémie en cours. On constate aussi certaines dérives individuelles de policiers qui exigent d’automobilistes le port du masque quand celui-ci n’est absolument pas pas obligatoire.
Des dérives aussi dans un contexte de tension chaque jour un peu plus exacerbée liée à l’angoisse du lendemain, angoisse nourrie tant au niveau sanitaire qu’à celui de la sécurité alimentaire et professionnelle, avec cette crise économique amplifiée par l’incapacité des pouvoirs publics des grands pays à répondre de façon adéquate à la crise sanitaire, et que leurs propres citoyens et les petits pays subissent de plein fouet leur faillite.
Des dérives liées aussi à l’exacerbation des affirmations identitaires dans ce contexte de crise et dont certains semblent chercher à assouvir des plaisirs sadiques non plus contre le citoyen lambda mais contre certaines minorités ethniques. On l’a vu lors de la récente épidémie d’ébola contre les peuhls foutas, entendus par là les guinéens, nos voisins immédiats et non moins concitoyens pour nombre d’entre eux. On le voit aujourd’hui où certains s’amusent à ruer contre nos concitoyens d’origine libanaise pris dans leur ensemble dès que l’un deux est mis en cause pour telle ou telle raison, jusqu’à en traquer ceux qui s’aventurent sur une plage, ou même à côté d’une plage, sous prétexte que les rassemblements sur les plages ont été interdits. Ainsi un libanais qui joue avec sa fille et accompagné de son épouse enceinte de huit mois est considéré comme un rassemblement, un groupe de six jeunes jouant à se jeter une balle à la main est considéré comme contrevenant à un décret promulgué la veille, idem pour un jeune pourtant seul sur le parking de cette même plage debout à côté de son scooter à admirer la mer parce que, simple coïncidence, il se trouve au mauvais moment au mauvais endroit, certains policiers, (de leur propre initiative ou sur commande particulière par on ne saurait quel apprenti sorcier en mal de se faire du boye naar et chercher à attiser le ressentiment et la zizanie ?) ont débarqué, estimant que ces individus et bandes de copains éloignés les uns des autres de plusieurs mètres, voire dizaines de mètres, étaient en fait un seul et même groupe , entassés sur cette plage
tels qu’on l’est à longueur de journée à Sandaga ou à Colobane. Qui, en plus de cette prétendue promiscuité terrifiante, veulent transformer notre superbe plage, totalement souillée il y a encore tout juste quelques semaines tant elle était devenue le dépotoir des déchets sanitaires de l’hôpital Le Dantec, en stade de football. De football, il n’y en avait point sinon quelques compatriotes de souche ( si l’on peut s’exprimer ainsi) qui ont été proprement invités à prendre leurs cliques et leurs claques pour aller regarder ailleurs, ce qu’ils ont fait sans demander leurs restes.
Et pour ces seuls jeunes concitoyens d’origine libanaise, invités à suivre les policiers au commissariat du Plateau pour y retirer leurs papiers confisqués et payer une amende, ce qu’ils ont fait de bon gré d’eux-mêmes, pour en réalité se retrouver enfermés en cellule et mis en garde à vue tout le long weekend de Pâques, c’est à dire trois jours et nuits durant, pour être présentés enfin devant le procureur et être libérés sans aucune charge et sans autre forme de procès qu’un simple avertissement, comme pour juste marquer le coup.
Encore une preuve de ces « libanais au-dessus des lois » diront certains esprits chagrins, un simple acte de bon sens de représentants de la justice que salueront en face ceux qui croient fermement que l’état de droit n’a pas déserté notre pays malgré les vississitudes de la crise et les dérives que peut toujours charier l’état d’urgence. L’état de droit, mais aussi l’esprit d’ouverture et de bienveillance. Les jeunes libérés, revenus aux abords du commissariat du Plateau, récupérer leur véhicules ou scooter, y croiseront leurs geôliers de la veille, tout à fait accueillants et souriants, plaisantant de leur mésaventure, avec comme un clin d’œil que tout cela n’était après tout qu’une simple pièce de théâtre (sur commande ? À quel profit ?).
Que, malgré les faux procès et les campagnes de dénigrement (souvent alimentés et systématiquement amplifiés par des trolls), dans le très fond du peuple sénégalais demeure un fondement, la téranga. Je me permettrai juste une suggestion pour terminer. Le grand danger craint par les pouvoirs publics, en particulier les autorités sanitaires, est la transmission communautaire. D’entasser des personnes mises en garde à vue dans des cellules de police comme dans celles du Palais de justice, sans masque, sans gel hydroalcoolique, sans test de Covid-19 est en contradiction totale avec les exigences de distanciation émises et risque fort de propager l’épidémie. Car à quoi cela servirait-il d’interdire des rassemblements quand c’est l’État lui-même qui entasse chaque jour plusieurs centaines, voire quelques milliers de personnes sur tout le territoire national, de nouvelles personnes arrêtées et mises en garde à vue pour quelque raison que ce soit dans ces cellules en attendant de passer devant le procureur ou d’être jugés. C’est en quelque sorte se tirer une balle dans les pieds et annihiler tous les efforts tous les efforts entrepris par ailleurs.
Ne serait-il pas urgent de réfléchir à d’autres solutions plus adéquates et conformes aux exigences de
la lutte contre la propagation de l’épidémie ?
Scandre Hachem