Il flotte dans notre atmosphère, ici au Sénégal, un « je-ne-sais-quoi », une sensation d’un « presque-rien », qui appelle à prendre et du recul et de la hauteur, vis-à-vis du torrent tumultueux d’informations, qu’elles soient approximatives, péremptoires ou définitives, que nous recevons, absorbons, comprenons, ou pas, sur cette pandémie mondiale du Covid-19, appelée Coronavirus partout, sauf dans notre pays où nous l’avons baptisée, histoire de la minimiser, « CORONA ». « VIRUS » est en option. C’est facultatif… Alors que « CORONA » a un côté primesautier, qui pourrait être une danse, ou le surnom d’un copain. « Corona », ça s’apprivoise… « Virus », ça trimballe une sonorité honteuse pour nos augustes personnes forcément admirées par la terre entière, ringardisée par notre punchline nationaliste « Fi Sénégal la », dès qu’on évoque un tant soit peu, l’idée même de normalité. « Virus », c’est bon pour ces peuples qui n’ont même pas des Saints protecteurs, capables de faire leurs prières sur des océans démontés, qui ont construit des villes scintillantes et propres, abritant les plus grosses fortunes du monde, qui nous attirent au point de nous faire braver les océans et déserts les plus dangereux, et qui à cause d’un truc plus petit qu’un moustique, décèdent par centaines de milliers, et mettent des millions de gens au chômage. C’est grâce à ce « je-ne-sais-quoi » et à ce « presque rien », que notre exceptionnalité sénégalaise permet de dissocier « Corona » et « Virus ».
De là naissent alors tous les problèmes de compréhension de cette situation inédite provoquée par le Coronavirus, incompréhensions qui ont pour effet, par exemple, de fêter le retour de quarantaine de personnes accueillies au seuil de leurs maisons comme Sadio Mané de retour d’une CAN victorieuse, ce qui n’est pas recommandé en guise de respect de la distanciation sociale. Ou alors quand les chauffeurs de taxis et leurs passagers mettent leurs masques juste à la vue d’un policier, par peur du gendarme et non du Corona. En fait, on a du mal à y croire, à cette prétendue pandémie qui ne fait que sept morts chez nous, singularité qui vient nous conforter dans l’idée, que déjà rescapés de la sélection naturelle que nous imposent un environnement et un système hospitalier mortifères, on n’allait pas se laisser abattre par un truc invisible, qui ne va tout de même pas se mesurer aux nids de microbes, bactéries et virus qui se pavanent allègres, dans une indifférence générale, à travers nos rues, nos canaux et nos marchés. Alors on danse…
Si en plus notre « compatriote » chercheur et sauveur Raoult affirme que ce virus va non seulement disparaître de lui-même dès les grosses chaleurs, ce qui semble se dessiner en France où il peine à trouver corps à infecter de nouveau, et si comme le divulgue notre Saint Raoult de la Blanche Chloroquine, son remède soigne des malades comme ils le sont bien d’ailleurs au Sénégal, et que nos esprits l’associent à notre bonne nivaquine, dont nos organismes de paludéens chroniques seraient imbibés, alors oui, rajoutés à notre solidité présumée historique de rescapés de la sélection naturelle, il ne pourra rien nous arriver de fâcheux. On a donc du mal à y croire… Tout ce chaos s’évaporera dans 6 semaines, se dit-on.
Les interrogations qui nous viennent à l’esprit suggèrent de la vigilance citoyenne. Quelles informations, le cas échéant, auraient nos gouvernants pour valider une telle issue positive, et en fait, « faire comme si »…le désastre était toujours imminent ? 1000 milliards mobilisés et déjà distribués en partie dans une certaine cacophonie, les versements prochains du FMI, de la Banque mondiale, de l’UE, de la BCEAO, de la BAD, de la BOAD, la liste est non exhaustive, ont mis à la disposition de notre pays et de son gouvernement un énorme trésor de guerre pour lutter contre une pandémie qui a fait perdre la vie à…7 personnes. Cette manne tombée de la peur du virus, à laquelle il faudra rajouter les effets de l’annulation de nos dettes, que va-t-on en faire si d’aventure, toute cette paranoïa du Covid-19 faisait « pschitt » ? Et si ils faisaient comme si… Vigilance donc. Observons la sémantique qui nous a fait évoluer de « Force Covid19 » à « Fonds Force Covid19 » puis vers un inquiétant « Comité de suivi des Fonds de la Force Covid 19 ». Que de monde ! Quelle chaîne d’irresponsabilités ! C’est vrai qu’il était devenu urgent de poser un faux-nez aux images d’un ministre dégoulinant de sueur à l’évocation d’une possible évaporation de milliards de francs dans des marchés de transports de riz. Il a été utile de nommer un Général pour mettre de l’ordre à tout ça, ce qui faisait un peu vaciller le plan de secours proposé aux institutions financières internationales, qui voyaient déjà ces milliards finir en piscines, villas et 4×4 rutilants.
Vigilance donc. Et pourquoi ne pas associer la presse et ses instances comme le CNRA, le Synpics ou le CDEPS, à ce comité de suivi d’ailleurs, car en plus d’éviter les bourdes qui désinforment nos populations, elle pourrait diffuser les bonnes informations, tout en jouant le rôle d’un regard sous lequel ils ne pourront pas forcément tout faire et n’importe comment.
Car si ce scénario favorable se dessine et prospère, et que la réalité rencontre la décrue du virus, ce trésor de guerre devra alors servir à autre chose qu’à trouver du gel hydro-alcoolique, des masques, soigner et acheter des respirateurs en urgence. Ce trésor mis à la disposition de nos gouvernants devra être orienté avec le contrôle de nos citoyens et aussi des bailleurs, vers ce qui devrait nous mettre à l’abri d’un futur tsunami sanitaire, sachant que ce virus qui affole la planète sera alors devenu saisonnier, mais aussi servir à la reconstruction de tout notre système sanitaire dont nos gouvernants ne connaissaient point les contours, puisqu’allant se faire soigner la moindre grippe en Europe. Ces milliards pourraient-ils être orientés vers l’amélioration de notre plateau technico-médical, vers de la formation, vers la recherche scientifique, l’éducation, l’assainissement, l’hygiène, le renforcement des secteurs productifs pour notre économie en dépendance, pour notre agriculture et la consolidation de notre tissu économique, notamment nos PMI et PME, sans oublier l’éducation, pour être au sortir de cette crise en situation de réécrire notre histoire, ou au moins de nous insérer avec fierté et puissance créatrice dans l’histoire du monde nouveau qui s’ouvre devant nous et qui va être celui dans lequel évoluera notre jeunesse. Entre le Coronavirus qui nous guette et le monde qui nous observe en cas de sa disparition temporaire, notre citoyenneté doit être toute en vigilance et en exigences de salut. Pour une émergence qui ne serait pas qu’un slogan de campagne abscons.
Si ça, ce n’est pas un programme politique d’un grand homme d’Etat, c’est qu’on est définitivement confiné dans la malédiction dans laquelle nos irresponsabilités prennent leurs aises et prospèrent.