Le président Macky Sall milite pour une vielle problématique, à savoir l’annulation de la dette africaine. Mais qu’en est-il de la dette du Sénégal depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2012 ?
Les raisons de l’endettement
Le Sénégal a toujours emprunté. Mais sous Macky Sall, la dette a plus que doublé, de 30 % du PIB en 2012 à 67,4 % aujourd’hui, selon le FMI. Le régime a emprunté de manière abusive, en misant sur les prochaines recettes financières du pétrole et du Gaz. Il a compté les œufs avant qu’ils aient été pondus, disait un ami économiste.
Le gouvernement se réjouit d’avoir emprunté pour les infrastructures et l’énergie. Cependant, les infrastructures réalisées ou en cours sont trop coûteuses et ont peu d’utilité pour les Sénégalais ordinaires. Les résultats dans le secteur de l’énergie laissent à désirer, puisque le taux d’électrification se situe aujourd’hui à 30 % en milieu rural, contre 88 % dans les villes.
Contrairement à ce qui est annoncé par le régime, les infrastructures et l’énergie n’ont pas été les seules responsables de l’endettement du Sénégal. Selon le FMI, « les dépenses hors investissement sont apparues dans un contexte pré-électoral, ce qui a conduit l’État à ne pas honorer certaines obligations dans les secteurs de la construction et de l’énergie ». Autrement dit, des montants empruntés à l’extérieur pour développer les infrastructures et l’énergie ont été détournés et dépensés dans la campagne électorale de 2019. Ce qui explique l’arrêt de plusieurs projets après les élections.
Pétrole et gaz : la malédiction des attentes
Le gouvernement du Sénégal et les bailleurs de fonds avaient placé beaucoup d’attentes sur le pétrole et le gaz. Par exemple, le FMI avait prévu qu’avec le démarrage de la production d’hydrocarbures, la croissance du Sénégal sera portée à 10 % entre 2022 et 2024. C’était sans compter le choc lié à la pandémie.
La production de pétrole prévue en 2022 sera retardée à cause de la crise. Et les recettes réelles seront bien loin des attentes, pour plusieurs raisons. Les prix du pétrole sont trop volatiles, ce qui crée une vulnérabilité économique et financière. Le prix du baril est à 20$ actuellement. La crise risque de durer. À la fin de la crise, les sources d’énergie alternative auront davantage de place et contribueront à la fin du pétrole.
Sur le front de l’emploi, les attentes seront également déçues. Le secteur du pétrole n’embauche généralement que peu de personnes qualifiées. Donc, peu de Sénégalais seront embauchés dans ce domaine.
En matière de transparence et de redevabilité, l’administration Sall ne dispose pas encore de solides mécanismes qui permettront d’éviter la « malédiction des ressources naturelles ». Il y a un risque réel que les revenus du pétrole et du gaz seront captés par la classe politique au pouvoir et ses alliés. Le scandale impliquant le frère du président au sujet de l’octroi de permis d’exploitation est déjà une indication que les recettes ne seront pas redistribuées de manière équitable.
Aggraver la dette pour éviter la faillite ?
L’État du Sénégal a trop emprunté ces dernières années sous l’effet du pétrole et du gaz. Il ne dispose plus de beaucoup de marge de manœuvre pour solliciter d’autres prêts. Le pays ne peut payer une partie de la dette sans augmenter les impôts et/ou faire des coupes budgétaires. Augmenter les impôts dans ce contexte s’avère impensable. Ce qui veut dire qu’en l’absence de mesures solides de réduction des dettes/moratoires sur le remboursement, le Sénégal devra réduire ses dépenses pour payer les intérêts, et cela ne fera qu’empirer la crise.
L’idéal serait même d’augmenter les dépenses pour atténuer la crise ; c’est ce que font les pays occidentaux actuellement. Encore faut-il avoir de l’argent à dépenser. Le régime de Macky Sall est à court d’option. L’annulation de la dette n’est pas réaliste. Il va continuer d’emprunter. Et comme le pays est trop endetté et au bord de la faillite, les prêteurs vont appliquer des taux d’intérêt élevés du fait des risques qu’ils prennent. Ainsi va le surendettement…
Moda Dieng est Professeur agrégé à l’École d’études de conflits de l’Université Saint-Paul à Ottawa, Canada